— Un gros diamant constituerait, en effet, le capital idéal. Vous l’avez vendu chérot ?
Ma question lui déplaît. Il a de la pudeur, ce brave homme.
— Oui, très cher. Mais pourtant au tiers de sa valeur.
— C’est l’inconvénient de la carambouille, fais-je en tapotant la cendre de mon Havane au-dessus d’un cendrier.
Il serre un peu les dents.
— Continuez !
— Ce diamant a été volé quelques mois plus tard à Jean.
— Où l’avait-il caché ?
— Dans sa cave.
— Ensuite ?
— Il s’est mis dans l’idée que j’étais à l’origine de ce vol. J’étais pratiquement le seul à savoir qu’il était en possession de ce caillou, comprenez-vous ?
— Bien sûr. La déduction s’imposait. Pourquoi dites-vous : pratiquement ?
Il hausse les épaules.
— J’avais fait la couennerie d’en parler à ma femme.
— Compris. Et madame a eu la langue trop longue, si je puis dire ?
— Exact. On croit pouvoir se fier à la compagne de sa vie, et vous voyez…
— S’il n’y avait pas les femmes, la police aurait moins de succès. Il est vrai que par contre on commettrait beaucoup moins de délits. Je vous écoute !
— Ma femme est Polonaise.
— Oh ! je vois… Et amie d’enfance ou quelque chose comme ça de Mme Vachanski ?
— Voilà. Lors de son dernier séjour en Europe, Estella, c’est ma femme, a raconté à Maria Vachanski l’histoire de notre fortune, un soir qu’elles avaient porté trop de toasts à la Pologne. Je l’ai su par la suite…
— Alors ?
— Devant la colère de Brasseton, j’ai décidé d’agir. Vu les circonstances, il ne pouvait porter plainte, vous comprenez ?
— Bien sûr, comment parler du diamant sans mentionner ses origines ?
— Estella m’a fait part de son imprudence. Je suis allé en France, j’ai retrouvé Mme Vachanski, sans me faire connaître d’elle, et je l’ai fait surveiller étroitement par un détective privé. Celui-ci m’a appris que Maria Vachanski fréquentait un type très douteux et qu’ensemble ils visitaient les grands joailliers de Paris. J’ai compris que c’était eux les coupables. J’en ai été tout à fait certain lorsque le détective m’a dit que le couple avait fait un séjour au Congo, incognito, à l’époque du vol.
— Je vois, ça s’éclaircit.
— J’ai prévenu immédiatement Brasseton qui m’a rejoint par le premier avion. L’ambassade congolaise donnait une grande soirée à laquelle j’étais convié. J’y ai fait inviter la Vachanski et mon ami. Et je la lui ai désignée ainsi que son complice. C’est tout.
— Ce complice, c’est l’homme mort d’en bas ?
— Oui.
— Qu’avez-vous fait ensuite ?
— Je suis revenu ici car mon absence aurait paru suspecte. J’avais été obligé d’invoquer la mort d’un proche parent pour pouvoir m’en aller.
— Vous ne savez rien de plus ?
Il étend le bras et prononce d’un ton pénétré :
— Je vous le jure, monsieur le commissaire. J’ignore ce qu’a pu faire Brasseton. J’attendais son retour d’un moment à l’autre… Je ne savais pas…
Il me semble qu’il ne ment pas. En tout cas, si la situation s’est un peu défrichée, le mystère de ces trois morts reste entier et je n’ai pas progressé d’un iota pour récupérer Béru et Pinuche. Sont-ils seulement encore vivants, les pauvres chéris ?
— La mère Brasseton est folle, n’est-ce pas ?
— Pas exactement. Disons qu’elle a des absences…
— Et pendant ces absences elle tue les gens à coups de barre de fer ?
— Hein ?
Je lui raconte mes démêlés avec la vioque et il secoue la tête.
— Son état s’aggravait aux dires de Jean. L’absence prolongée de son fils a dû lui porter le coup décisif.
— M’est avis que c’est plutôt elle qui les porte, les coups décisifs…
Je me lève et retourne à la bibliothèque afin de carillonner l’Hôtel Albert 1er. Le portier de noye auquel je demande Mme Vachanski, me rétorque que la dame n’a toujours pas reparu.
Van Danléwal me rejoint, timidement.
— Monsieur le commissaire ?
— Oui ?
— Je… Je vous ai dit tout ce que je savais…
— Et alors ?
Oh ! c’est vrai. J’oubliais de lui restituer son fameux papelard.
Comme San-Antonio n’a qu’une parole je lui remets le bout de bristol cause de tant de drames.
— Tenez, mon vieux. Mais je vais avoir besoin de vous encore.
Il est bien disposé à mon endroit (Charpini dirait à mon envers).
— Oui ?
— La Vachanski est à E-ville en ce moment.
— Non ?
— Si je vous le dis c’est que je le sais.
— Vous l’avez vue ? demande-t-il.
— J’ai fait mieux que la voir.
— Vous lui avez parlé ?
J’ai fait mieux que lui parler, mais ça c’est trop intime pour que j’en fasse état.
— Oui. Seulement elle a disparu au cours de la soirée. Il faut la récupérer coûte que coûte. Vous connaissez la ville, moi pas. Aidez-moi, vous me devez bien ça.
— Élisabethville est grand.
— Ce qui accroît mes difficultés. D’autant plus que j’ai un problème personnel à résoudre.
Et je lui raconte l’enlèvement de mes deux lascars, succédant au mien.
Van Danléwal réfléchit.
— Donc, elle disposait de complices ?
— La preuve. Il y a eu ces Noirs de la forêt qui m’ont agressé, puis les hommes en voiture tous-terrains.
— Je pense à quelque chose, fait-il soudain.
— Pensez à haute voix, ça gagnera du temps !
— Maria Vachanski est Polonaise, mariée à un diplomate, donc très militante pour les républiques de l’Est.
— C’est vraisemblable. Alors ?
— Il existe ici, un groupe d’activistes qui mènent une guerre sourde pour la libération totale du Katanga. Ce sont des fanatiques. Il se pourrait qu’elle ait fait appel à eux…
— Très possible en effet. Où siègent ces aimables gentilshommes ?
— Dans la forêt.
— J’imagine mal l’élégante Maria Vachanski se lançant avec ses escarpins dans la jungle à la recherche d’hommes de main !
— Moi aussi, mais on peut supposer qu’elle a eu le tuyau par son consulat…
Je sursaute !
— Bon Dieu oui ! Le consulat de Pologne ! C’est la planque idéale pour elle. Le consul assiste-t-il à la soirée française ?
— Évidemment.
— Alors il n’y a pas à hésiter, emmenez-moi au Consulat de Pologne.
— Mais vous n’y pensez pas, bredouille Van Danléwal.
— Je ne pense qu’à cela au contraire. En route, et ne me faites pas de giries, je ne suis pas d’humeur badine.
CHAPITRE XI
Contrairement au consulat de France qui se trouve dans un immeuble, celui de Pologne occupe une maison particulière dans une partie calme de la ville.
— C’est là, me dit mon compagnon. Vous… Vous n’avez plus besoin de moi, j’espère ?
— De vous non, mais de votre voiture peut-être. Passez-moi la clé et rentrez à pied. Je vous la restituerai demain. Elle sera aux aurores devant l’Hôtel Albert 1er. Si vous ne la voyez pas, déposez une plainte pour vol et laissez uriner le mérinos.
Il ne cherche pas à biaiser et, sans un mot me tend un petit trousseau de clés.
— Quelle aventure ! soupire-t-il.
— À qui la faute, monsieur Van Danléwal ? Si vous étiez un honnête homme, rien de ceci n’aurait eu lieu. Vous seriez sans doute moins riche, mais votre conscience aurait la blancheur Persil.