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C’est sur cette déclaration pertinente que je le quitte ou plutôt que je le laisse me quitter. J’attends que sa silhouette massive ait disparu, puis je sors de l’auto et je m’approche de la maison. Il est deux heures du mat et on entendrait voler l’intelligence de mon pauvre Bérurier. Pourtant il y a de la lumière un peu partout dans la propriété. Je me convoque de toute urgence pour une conférence au sommet et je me dis ceci : « San-Antonio tant aimé, si tu pénètres par effraction dans ce logis, réputé terre étrangère, tu risques de te faire dessouder bassement, ce qui n’est rien ; mais ton décès en de telles circonstances flétrirait la valeureuse police françouaise dont la réputation est ce qu’elle est mais en vaut bien une autre.

Et puis, blague dans le coing, comme disait un planteur de cognassiers, je ne suis pas sûr du tout que la Vachanski soit ici. Il s’agit d’une supposition qui n’est peut-être pas absolument gratuite, mais que je suis décidé de payer à tempérament (j’en ai un du tonnerre). Je vais donc agir très normalement, presque protocolairement.

Je grimpe la volée de marches du perron, laquelle vaut mieux qu’une volée de bois vert et je me mets à jouer sur la sonnette « Pologne, ô mon pays bien aimé ». Un type très ému et très rébarbatif, au poitrail consterné de décorations (Béru dixit) délourde.

— Salut, fais-je gentiment en lui refilant la publicité Gibbs de mes trente-deux dents soigneusement répertoriées. Je viens de la part de M. le consul. Je suis le secrétaire particulier du consulat de France où il se trouve actuellement, et il m’a chargé d’un message pour la dame qui vient d’arriver ici.

Culotté, non ? Faut être gonflé au gaz de ville pour oser jouer une saynète pareille. Elle porte ses fruits, comme disait une marchande des quat’ saisons. Le gars hoche la tête.

— La dame est dans sa chambre, dit-il.

— C’est très important, si vous voulez bien me montrer le chemin !

J’ai le cœur qui fait un bruit de casseroles dévalant un escalier. Je joue gros et serré, mes fils. Si jamais y a du pet, le ravissant San-A., l’homme qui n’a peur ni des mouches ni des maris qui manquent leur train, risque de voir sa brillante situation brisée comme les claouis d’un monsieur aux prises avec un démarcheur d’assurances.

Nous escaladons un escalier en faux marbre tout en bois et le domestique me désigne une banquette recouverte de velours cramoisi.

— Si vous voulez attendre.

Il s’approche d’une porte, frappe, et une voix dit quelque chose que je ne comprends pas. Le valet répond sans hésiter :

— Czzzkyc wlopfftz cklapolski niapprzx y lwwklz.

Ceux d’entre vous qui parlent polonais n’auront aucune difficulté à traduire.

La lourde s’entrouvre. Je perçois un chuchotement. Ensuite de quoi, mon amie Maria passe sa tête par l’entrebâillement.

Je me dis que si j’attends trois secondes de plus sans broncher, tout peut être fichu. Je me lève et m’approche en souriant.

— Chère Maria, dis-je, j’avais bien pensé que vous étiez ici. Figurez-vous que je tenais absolument à vous parler…

Maintenant je suis devant la porte. Le valet attend, car la Vachanski vient de lui dire un mot dans sa langue si maternelle. Il faut avant tout s’occuper de ce garçon.

Au moment où il s’y attend le moins je lui place un direct-maison au creux de l’estom’. Le zig a un hoquet et crache séance tenante trois pépins de poires avocates catégorie Floriot. Un crochet au menton le finit. Je le biche par la cravate et je le traîne dans la chambre de Maria.

La femme ne dit rien. Elle me regarde gravement. Elle a vu mon pétard à ma main gauche et la petite friction que je viens d’administrer au lourdier lui explique mieux qu’une lettre recommandée que je suis prêt à tout en commençant par le pire.

— Venez avec moi ! lui dis-je. Et pas un geste ou je vous liquide comme on écrase une punaise.

Ses yeux sont pareils à deux petites banquises et ses mâchoires sautillent sous ses joues fardées.

Je lui chope une aile et la pousse dans l’escadrin.

— Ce que vous faites est très grave, proteste-t-elle.

— Moins grave que ce que vous avez fait, vous ! lui réponds-je.

Nous fonçons jusqu’à ma bagnole.

Ce qui me surprend chez la dame, c’est son profond abattement. On dirait quelqu’un de choqué. Un jour que j’avais emmené un matou recueilli par Félicie chez le vétérinaire pour le faire opérer des castagnettes turques, j’ai vu l’animal prendre le même air désapprobateur et navré.

Je démarre. L’auto de Van Danléwal est une Mercédès puissante. J’appuie sur le décarreur et je m’éloigne rapidos des quartiers peuplés. Ce qu’il me faut, c’est un coinceteau pépère où nous pourrons faire, non plus des galipettes, mais le tour de la situation. Je pilote la brouette vers cette banlieue de Bokono où disparurent corps et biens mes chers copains.

Maria est comme dans un rêve. Je la bigle à la dérobée et je m’aperçois qu’elle a chialé. Alors je me dis, avec ma mignonne cervelle de commissaire San-Antonio, qu’elle est dans cet état parce qu’elle connaît la mort de son Jules. Et toujours au moyen de la même cervelle, je m’ajoute que si elle est au courant-de ce décès, c’est parce qu’elle se trouvait chez Brasseton lorsqu’il a eu lieu.

Et puis, comme je suis nettement en forme, il me vient une pensée superfétatoire qui aurait tendance à annuler les précédentes : comment Maria et James ont-ils pu pénétrer dans la strass avec un guépard qui vadrouillait et qui ne demandait qu’à se cogner un gigot d’homme et des abats de dame à la sauce barbare, hein ?

— Où m’emmenez-vous ? soupire-t-elle néanmoins au bout d’un long moment de silence.

— Tiens, on ne se tutoie plus, réponds-je.

J’ai un petit rire suffisant (suffisant pour mes moyens) et je stoppe l’auto de Danléwal à l’entrée de ce fameux chemin où le chauffeur de taxi vit disparaître les Laurel et Hardy de la Rousse.

— Je pense que nous sommes sur le bon chemin, n’est-ce pas, ma ravissante ?

Elle se contente de hausser imperceptiblement les épaules. Elle a beau être commotionnée, je crois qu’il ne sera pas aisé de lui tirer les vers du pif. En matière de police, il y a deux catégories d’individu qu’on a du mal à faire jacter : les terreux et les gonzesses qui ont décidé de ne pas parler. Vous pouvez leur chanter du Dargeot Moréno, leur braquer une lampe à souder aux noix, voire même les traiter de mots orduriers tels que : salaud, ordure, député ou lyonnais, ces gens-là ne mouftent pas.

— Écoutez, Maria, attaqué-je, plus sérieux de ton et d’expression qu’un lord d’Angleterre expliquant à un chirurgien qu’il a avalé un parapluie, il y a des moments dans la vie où la vérité la plus dégueulasse est préférable au mensonge.

« J’en sais déjà tellement long sur vous que si je l’écrivais, l’œuvre de Balzac à côté, ressemblerait à la notice explicative du jeu de dominos. C’est pourquoi je vais vous demander un complément d’information. Si vous me le donnez, je vous fiche la paix ; si vous ne me le donnez pas, je vous fiche la guerre, vous pigez, mon petit ?

Elle a une moue lamentable.

— Que de blabla !

Ça me pique un peu, naturlich.

— Votre bonhomme est mort, je suppose que la vie ne vous paraît pas très agréable en ce moment ?

Elle tressaille et me regarde, stupéfaite.

— Quand je vous disais que je savais énormément de trucs, ma gosse. L’histoire du diamant fauché à Brasseton ; l’assassinat de James par la vieille folle et tout…

« Ce qu’il me faut, c’est votre version des faits. Je ne sais si vous êtes au courant de mon identité, bien que vous la soupçonniez…