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— Que cherchez-vous ? demanda le chevalier.

— Mais… je… je voudrais bien… une échelle.

Un rire général éclata. Et Saval, s’avançant :

— Nous allons vous aider.

Il l’enleva dans ses bras d’hercule, en recommandant :

— Accrochez-vous au balcon.

Le prince aussitôt s’accrocha, et Saval l’ayant lâché, il demeura suspendu, agitant ses pieds dans le vide. Alors, Servigny saisissant ces jambes affolées qui cherchaient un point d’appui, tira dessus de toute sa force ; les mains lâchèrent et le prince tomba comme un bloc sur le ventre de M. de Belvigne qui s’avançait pour le soutenir.

— À qui le tour ? demanda Servigny.

Mais personne ne se présenta.

— Voyons, Belvigne, de l’audace.

— Merci, mon cher, je tiens à mes os.

— Voyons, chevalier, vous devez avoir l’habitude des escalades. Je vous cède la place, mon cher duc.

— Heu !… heu !… c’est que je n’y tiens plus tant que ça.

Et Servigny, l’œil en éveil, tournait autour du pilier.

Puis, d’un saut, s’accrochant au balcon, il s’enleva par les poignets, fit un rétablissement comme un gymnaste et franchit la balustrade.

Tous les spectateurs, le nez en l’air, applaudissaient. Mais il reparut aussitôt en criant :

— Venez vite ! Venez vite ! Yvette est sans connaissance !

La marquise poussa un grand cri et s’élança dans l’escalier.

La jeune fille, les yeux fermés, faisait la morte. Sa mère entra, affolée, et se jeta sur elle.

— Dites, qu’est-ce qu’elle a ? Qu’est-ce qu’elle a ?

Servigny ramassait la bouteille de chloroforme tombée sur le parquet :

— Elle s’est asphyxiée, dit-il.

Et il colla son oreille sur le cœur, puis il ajouta :

— Mais elle n’est pas morte ; nous la ranimerons. Avez-vous ici de l’ammoniaque ?

La femme de chambre, éperdue, répétait :

— De quoi… de quoi… Monsieur ?

— De l’eau sédative.

— Oui, Monsieur.

— Apportez tout de suite, et laissez la porte ouverte pour établir un courant d’air.

La marquise, tombée sur les genoux, sanglotait.

— Yvette ! Yvette ! Ma fille, ma petite fille, ma fille, écoute, réponds-moi, Yvette, mon enfant. Oh ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Qu’est-ce qu’elle a ?

Et les hommes effarés remuaient sans rien faire, apportaient de l’eau, des serviettes, des verres, du vinaigre.

Quelqu’un dit : « Il faut la déshabiller ! »

Et la marquise, qui perdait la tête, essaya de dévêtir sa fille ; mais elle ne savait plus ce qu’elle faisait. Ses mains tremblaient, s’embrouillaient, se perdaient et elle gémissait : « Je… je… je ne peux pas, je ne peux pas… »

La femme de chambre était rentrée apportant une bouteille de pharmacien que Servigny déboucha et dont il versa la moitié sur un mouchoir. Puis il le colla sous le nez d’Yvette, qui eut une suffocation.

— Bon, elle respire, dit-il. Ça ne sera rien.

Et il lui lava les tempes, les joues, le cou avec le liquide à la rude senteur.

Puis il fit signe à la femme de chambre de délacer la jeune fille, et quand elle n’eut plus qu’une jupe sur sa chemise, il l’enleva dans ses bras, et la porta jusqu’au lit en frémissant, remué par l’odeur de ce corps presque nu, par le contact de cette chair, par la moiteur des seins à peine cachés qu’il faisait fléchir sous sa bouche.

Lorsqu’elle fut couchée, il se releva fort pâle. « Elle va revenir à elle, dit-il, ce n’est rien. » Car il l’avait entendue respirer d’une façon continue et régulière. Mais, apercevant tous les hommes, les yeux fixés sur Yvette étendue en son lit, une irritation jalouse le fit tressaillir, et s’avançant vers eux :

— Messieurs, nous sommes beaucoup trop dans cette chambre ; veuillez nous laisser seuls, M. Saval et moi, avec la marquise.

Il parlait d’un ton sec et plein d’autorité. Les autres s’en allèrent aussitôt.

Mme Obardi avait saisi son amant à pleins bras, et, la tête levée vers lui, elle lui criait :

— Sauvez-la… Oh ! Sauvez-la !…

Mais Servigny, s’étant retourné, vit une lettre sur la table. Il la saisit d’un mouvement rapide et lut l’adresse. Il comprit et pensa : « Peut-être ne faut-il pas que la marquise ait connaissance de cela. » Et, déchirant l’enveloppe, il parcourut d’un regard les deux lignes qu’elle contenait :

« Je meurs pour ne pas devenir une fille entretenue.

YVETTE.

Adieu, ma chère maman. Pardon. »

— Diable, pensa-t-il, ça demande réflexion.

Et il cacha la lettre dans sa poche.

Puis il se rapprocha du lit, et aussitôt la pensée lui vint que la jeune fille avait repris connaissance, mais qu’elle n’osait pas le montrer par honte, par humiliation, par crainte des questions.

La marquise était tombée à genoux, maintenant, et elle pleurait, la tête sur le pied du lit. Tout à coup elle prononça : « Un médecin, il faut un médecin. »

Mais Servigny, qui venait de parler bas avec Saval, lui dit : « Non, c’est fini. Tenez, allez vous-en une minute, rien qu’une minute, et je vous promets qu’elle vous embrassera quand vous reviendrez. » Et le baron, soulevant Mme Obardi par le bras, l’entraîna.

Alors, Servigny, s’asseyant près de la couche, prit la main d’Yvette et prononça : « Mam’zelle, écoutez-moi… »

Elle ne répondit pas. Elle se sentait si bien, si doucement, si chaudement couchée, qu’elle aurait voulu ne plus jamais remuer, ne plus jamais parler, et vivre comme ça toujours. Un bien-être infini l’avait envahie, un bien-être tel qu’elle n’en avait jamais senti de pareil.

L’air tiède de la nuit entrant par souffles légers, par souffles de velours, lui passait de temps en temps sur la face d’une façon exquise, imperceptible. C’était une caresse, quelque chose comme un baiser du vent, comme l’haleine lente et rafraîchissante d’un éventail qui aurait été fait de toutes les feuilles des bois et de toutes les ombres de la nuit, de la brume des rivières, et de toutes les fleurs aussi, car les roses jetées d’en bas dans sa chambre et sur son lit, et les roses grimpées au balcon, mêlaient leur senteur languissante à la saveur saine de la brise nocturne.

Elle buvait cet air si bon, les yeux fermés, le cœur reposé dans l’ivresse encore persistante de l’opium, elle n’avait plus du tout le désir de mourir, mais une envie forte, impérieuse, de vivre, d’être heureuse, n’importe comment, d’être aimée, oui, aimée.

Servigny répéta :

— Mam’zelle Yvette, écoutez-moi.

Et elle se décida à ouvrir les yeux. Il reprit, la voyant ranimée :

— Voyons, voyons, qu’est-ce que c’est que des folies pareilles ?

Elle murmura :

— Mon pauvre Muscade, j’avais tant de chagrin.

Il lui serrait la main paternellement :

— C’est ça qui vous avançait à grand-chose, ah oui ! Voyons, vous allez me promettre de ne pas recommencer ?

Elle ne répondit pas, mais elle fit un petit mouvement de tête qu’accentuait un sourire plutôt sensible que visible.