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Et, tout d’un coup, il se mit à rire.

— Ah ! Oui, je vais vous raconter une drôle d’affaire qui date de mes premiers temps d’Algérie.

Nous avions alors dans l’armée d’Afrique des types extraordinaires, comme on n’en voit plus et comme on n’en fait plus, des types qui vous auraient amusé, vous, à vous faire passer toute votre vie dans ce pays.

J’étais simple spahi, un petit spahi de vingt ans, tout blond, et crâne, souple et vigoureux, mon cher, un vrai soldat d’Algérie. On m’avait attaché au commandement militaire de Boghar. Vous connaissez Boghar, qu’on appelle le balcon du Sud ; vous avez vu du sommet du fort le commencement de ce pays de feu, rongé, nu, tourmenté, pierreux et rouge. C’est bien là l’antichambre du désert, la frontière brûlante et superbe de l’immense région des solitudes jaunes.

Donc, nous étions à Boghar une quarantaine de spahis, une compagnie de joyeux, plus un escadron de chasseurs d’Afrique, quand on apprit que la tribu des Ouled-Berghi avait assassiné un voyageur anglais venu on ne sait comment dans ce pays, car les Anglais ont le diable au corps.

Il fallait faire justice de ce crime commis sur un Européen ; mais le commandant supérieur hésitait à envoyer une colonne, trouvant vraiment qu’un Anglais ne valait pas tant de mouvement.

Or, comme il causait de cette affaire avec le capitaine et le lieutenant, un maréchal des logis des spahis, qui attendait pour le rapport, proposa, tout à coup, d’aller châtier la tribu si on lui donnait six hommes seulement.

Vous savez que dans le Sud on est plus libre que dans les garnisons des villes, et il existe, entre l’officier et le soldat, une sorte de camaraderie qu’on ne retrouve pas ailleurs.

Le capitaine se mit à rire :

— Toi, mon brave ?

— Oui, mon cap’taine, et, si vous le désirez, je vous ramènerai toute la tribu prisonnière.

Le commandant, qui était un fantaisiste, le prit au mot :

— Tu partiras demain matin avec six hommes de ton choix et, si tu n’accomplis pas ta promesse, gare à toi !

Le sous-officier souriait dans sa moustache.

— Ne craignez rien, mon commandant. Mes prisonniers seront ici mercredi midi, au plus tard.

Ce maréchal des logis, Mohammed-Fripouille, comme on l’appelait, était un homme vraiment surprenant, un Turc, un vrai Turc, entré au service de la France après une vie très ballottée, et pas très claire, sans doute. Il avait voyagé en beaucoup de lieux, en Grèce, en Asie Mineure, en Égypte, en Palestine, et il avait dû laisser pas mal de forfaits sur sa route. C’était un vrai bachi-bouzouk, hardi, noceur, féroce et gai, d’une gaieté calme d’Oriental. Il était gros, très gros, mais souple comme un singe, et il montait à cheval d’une façon merveilleuse. Ses moustaches, invraisemblablement épaisses et longues, éveillaient toujours en moi une idée confuse de croissant de lune et de cimeterre. Il haïssait les Arabes d’une haine exaspérée, et il les traitait avec une cruauté sournoise épouvantable, inventant sans cesse des ruses nouvelles, des perfidies calculées et terribles.

Il était, en outre, d’une force incroyable et d’une audace invraisemblable.

Le commandant lui dit :

— Choisis tes hommes, mon gaillard.

Mohammed me prit. Il avait confiance en moi, ce brave, et je lui demeurai dévoué corps et âme pour ce choix, qui me fit autant de plaisir que la croix d’honneur, plus tard.

Donc nous partîmes le lendemain matin, dès l’aurore, tous les sept, rien que nous sept. Mes camarades étaient de ces bandits, de ces forbans qui, après avoir maraudé et vagabondé dans tous les pays possibles, finissent par prendre du service dans une légion étrangère quelconque. Notre armée d’Afrique était alors pleine de ces crapules, excellents soldats, mais peu scrupuleux.

Mohammed avait donné à porter à chacun de nous une dizaine de bouts de corde, longs d’un mètre environ. J’étais chargé, en outre, comme étant le plus jeune et le moins lourd, d’une grande corde entière, de cent mètres. Comme on lui demandait ce qu’il voulait faire avec toute cette ficelle, il répondit de son air sournois et placide :

— C’est pour la pêche à l’Arabe.

Et il clignait de l’œil avec malice, mouvement qu’il avait appris d’un vieux chasseur d’Afrique parisien.

Il marchait en tête de notre troupe, coiffé d’un turban rouge qu’il portait toujours en campagne, et il souriait d’un air ravi dans son énorme moustache.

Il était vraiment beau, ce large Turc, avec son ventre puissant, ses épaules de colosse et son air tranquille. Il montait un cheval blanc, de taille moyenne, mais robuste ; et le cavalier semblait dix fois trop gros pour sa monture.

Nous nous étions engagés dans un petit vallon pierreux, nu, tout jaune qui tombe dans la vallée du Chélif, et nous causions de notre expédition. Mes compagnons avaient tous les accents possibles, car on trouvait parmi eux un Espagnol, deux Grecs, un Américain et trois Français. Quant à Mohammed-Fripouille, il grasseyait d’une façon invraisemblable.

Le soleil, le terrible soleil, le soleil du Sud, qu’on ne connaît point de l’autre côté de la Méditerranée, nous tombait sur les épaules, et nous avancions au pas, comme on fait toujours là-bas.

Tout le jour, on marcha sans rencontrer un arbre, ni un Arabe.

Vers une heure de l’après-midi, nous avions mangé, auprès d’une petite source qui coulait entre les pierres, le pain et le mouton sec emportés dans notre sac, puis, au bout de vingt minutes de repos, on s’était remis en route.

Vers six heures du soir, enfin, après un long détour que nous avait fait faire notre chef, nous découvrîmes, derrière un mamelon, une tribu campée. Les tentes brunes, basses, faisaient des taches sombres sur la terre jaune, semblaient de gros champignons du désert poussés au pied de ce monticule rouge calciné par le soleil.

C’étaient nos gens. Un peu plus loin, au bord d’une plaine d’alfa d’un vert sombre, les chevaux attachés pâturaient.

Mohammed ordonna : « Au galop ! » et nous arrivâmes comme un ouragan au milieu du campement. Les femmes, affolées, couvertes de haillons blancs qui pendaient et flottaient autour d’elles, rentraient vivement dans leurs tanières de toile, rampant et se courbant, et criant comme des bêtes chassées. Les hommes, au contraire, sortaient de tous les côtés pour songer à se défendre.

Nous allions droit sur la tente la plus haute, celle de l’agha.

Nous gardions le sabre au fourreau, à l’exemple de Mohammed, qui galopait d’une façon singulière. Il demeurait absolument immobile, assis tout droit sur son petit cheval qui se démenait sous lui comme un furieux pour porter cette masse. Et la tranquillité du cavalier aux longues moustaches contrastait étrangement avec la vivacité de l’animal.

Le chef indigène sortit de sa tente comme nous arrivions devant. C’était un grand homme maigre, noir, avec un œil luisant, le front en saillie, le sourcil en arc de cercle. Il cria, en arabe :

— Que voulez-vous ?

Mohammed, arrêtant net son cheval, lui répondit, dans sa langue :

— C’est toi qui as tué le voyageur anglais ?

L’agha prononça, d’une voix forte :