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Je m'abîme dans la louche contemplation de ces deux morts. Des cadavres dans un sous-marin, croyez-moi, c'est terrible.

— Qui étaient ces garçons ? demandé-je au commandant.

L'officier à des larmes aux yeux.

— Des types très bien. Mon équipage a été trié sur le volet et cela fait trois ans que nous naviguons de conserve.

— Il est certain qu'ils ont été assassinés, a priori que pouvait-on attendre de leur mort ?

Il réfléchit.

— Je ne vois qu'une seule explication : on veut nous obliger à rebrousser chemin.

— Sans eux, la marche de l'Impitoyable est compromise ?

— Non, mais il va falloir augmenter la durée des quarts, si j'ose dire.

— Donc on peut continuer ?

— Naturellement.

— Vous avez un endroit à bord où déposer leurs corps ?

Il hoche la tête.

— Commissaire, un sous-marin n'est pas un paquebot. L'espace réservé aux vivants est trop rationné pour qu'on puisse envisager une morgue.

— Vous allez donc devoir les immerger ?

— Hélas, oui ! Je vais faire le nécessaire. Dès que nous aurons refait surface, on procédera à la cérémonie.

— Et en attendant, on procédera à une petite formalité, dit l'un des zigs de la Défense, n'est-ce pas, monsieur le commissaire ?

J'ai pigé ses intentions qui coïncident avec les miennes.

— Exact, mon cher. Vous et votre collègue allez fouiller les cabines tandis que mon collaborateur et moi perquisitionnerons dans les autres secteurs.

— Pourquoi perquisitionner ? demande timidement le blondin à moustache.

Je lui souris.

— Mais, mon bon ami, parce que le gaz toxique dont parle le professeur était bien contenu dans un emballage. Il faut que nous mettions la main sur cet aspirateur avant que le meurtrier n'ait la possibilité de le jeter à la mer. Commandant, je vous demande de ne pas refaire surface avant que nous ayons retrouvé l'objet en question. Car une chose est évidente : il y a un assassin parmi nous !

* * *

Une heure plus tard, nous nous retrouvons tous au mess. Nous sommes bredouilles les uns et les autres. Pas la moindre trace de capsule ou même de flacon.

Une atmosphère sinistre règne à bord. J'ai rarement connu climat plus éprouvant. Nos peaux luisent d'angoisse. Pour ma part j'ai fouillé tout mon secteur avec une minutie, un acharnement jamais égalés.

— Etes-vous certains d'avoir exploré les cabines très à fond ? demandé-je à mes collègues de la Défense.

Ils sont vexés par ma question.

— On ne peut plus à fond, rétorquent lés deux hommes. Y compris la vôtre et celle du commandant, monsieur le commissaire.

Je dénoue ma cravate. Il me semble qu'on respire plus mal, comme si le gaz mortel fusait lentement de quelque orifice caché et investissait progressivement nos poumons.

— Peut-être les a-t-on assassinés en leur faisant absorber des comprimés ? suggéré-je au savant.

Il ne semble pas convaincu.

— On trouverait des traces dans leurs bouches. Or, je les ai examinés sans rien découvrir. Il faudrait procéder à une autopsie, mais ici…

L'heure des grandes décisions a carillonné.

— Très bien, on va refaire surface, monsieur le professeur, et vous pratiquerez les autopsies sur le pont, avant l'immersion des cadavres.

C'est causé en chef, hein ? Chassez le meneur d'hommes, il revient au galop, chez San-A.

Le commandant de l'Impitoyable ordonne qu'on chasse l'eau des ballasts et, doucement, notre bâtiment pointe le museau vers les surfaces bienheureuses. Bérurier, pour la première fois de sa robuste existence, se fait expliquer le principe de l'immersion et de l'émersion dans un sous-marin. Je le lui explique avec la sobriété de termes nécessaires à sa compréhension.

— Des réservoirs de part et d'autre du barlu, mon pote. Quand on les remplit de flotte, le sous-marin sous-marine et quand on chasse l'eau des réservoirs, il remonte, a capito ? Le seul hic, c'est que lorsque tu n'arrives pas à chasser l'eau, tu restes au fond, ajouté-je.

Il hausse les épaules :

— Dans ce dernier cas, objecte le pertinent personnage, t'as qu'à percer un trou dans les réservoirs pour que l'eau s'écoulasse !

Je renonce à convaincre ce second Lavoisier de l'utopie de ce système car le haut-parleur du mess annonce que l'appareil a refait surface.

Ouf ! Ça va nous faire du bien de renifler une goulée d'air.

* * *

L'océan a une vilaine teinte grise, probablement à cause du ciel plombé qui rase les flots. L'air est vif et vous flagelle le visage.

— Dans le fond, on est mieux dans le fond ! résume Bérurier.

Quatre marins en larmes (les larmes gèlent illico sur leurs figures, car ici on a des chagrins à larmes blanches) transportent les corps de leurs compagnons morts sur le pont balayé par des embruns et les déposent sur de la toile de bâche.

Le professeur a passé une blouse blanche et des gants de caoutchouc.

— Laissez-moi, maintenant, messieurs, nous fait-il gentiment, car c'est un bien triste spectacle.

Rien ne nous soulage autant que de lui donner satisfaction[7]. Nous réintégrons donc le sous-marin et attendons, bercés par la houle.

C'est bon de savoir qu'on est à la surface. Il y a dans nos tripes quelque chose de content, malgré la gravité de l'heure.

Le commandant reste immobile, ses belles mains pâles allongées sur la table, soucieux, meurtri. Les sous-marins-men ne sont jamais bien bronzés, niais Hiscaupe alors bat tous les records de pâleur.

— Un assassin à bord, ne cesse-t-il de psalmodier, comme s'il n'arrivait pas à s'ancrer ça dans le bol, lui qui pourtant a l'habitude de s'ancrer n'importe où.

On écluse du scotch avec frénésie, principalement Béru qui sait admirablement travailler sur une biture de la veille. Excepté Dominique Lancin, le blondinet de l'Observatoire, nous possédons tous un solide coup de glotte. Très vite la bouteille est asséchée. Le commandant décide alors d'en faire amener une autre. De toute évidence, ce qui se passe sur le pont lui déboulonne le mental, et aussi ce qui va s'y passer après l'autopsie. Ça n'a rien de marrant de balancer au jus les carcasses de gars qu'on estime.

Il sonne le steward, mais le steward ne répond pas. Impatienté, l'officier se lève pour aller chercher lui-même un flacon de rechange à la cambuse voisine. Nous le voyons revenir titubant moins d'une minute plus tard.

— Mon Dieu, balbutie-t-il, ô mon Dieu !

Doué d'une intelligence particulièrement développée, j'ai déjà compris qu'un nouveau drame vient de se produire. Effectivement, Prosper Hiscaupe annonce :

— Messieurs, le steward est mort !

J'aurais pas la conscience professionnelle chevillée au stylo, je pourrais terminer là le présent chapitre. En coup de cymbale ! Mais moi, vous me connaissez ? J'ai pas l'habitude de pleurer mes méninges.

— Asphyxié ? mugis-je.

— Comme les deux autres, lamente le pauvre officier, hagard.

Nouvelle ruée générale.

Le steward est bel et bien affalé sur le plancher de la cambuse, la tête sur une caisse de bouteilles. Lui aussi est tout noir, avec les yeux hors de la tête.

J'ai dard-dard une réaction de flic.

— Le meurtrier se trouve parmi l'équipage, commandant !

— Impossible ! balbutie-t-il, absolument impossible. Des hommes, je vous le répète, triés sur le volet.

— Il est à claire-voie, vot' volet, tranche le Mammouth, y a des parasites qui doivent passer au travers.

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7

J'sais pas si vous l'avez remarqué, mais, depuis quelque temps, mon langage s'académise ; faut que je fasse gaffe.