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— C'est-à-dire ? demande un de mes collègues.

— A l'air libre.

— Qu'est-ce que ça change ?

— Beaucoup de choses. L'assassin a dû gravir et redescendre l'échelle conduisant au pont. Il est impensable que ces allées et venues soient passées inaperçues.

— En effet, admet le commandant. Je vous propose donc, commissaire, de faire défiler ici chacun des neuf hommes restant à bord, en commençant par mes officiers.

Je le trouve vachement coopératif, le commandant de l’Impitoyable, pas vous ?

Il sonne le mataf préposé au poste de steward resté vacant.

— Yvon, lui dit-il, demande au second de venir nous rejoindre.

A peine a-t-il donné cet ordre que la porte s'ouvre, précisément sur le second. Il a l'air un peu survolté, le marin. La cravate dénouée, la casquette de travers, une pommette éclatée, une lèvre sanguinolente, une oreille grosse comme une pomme de terre de comice agricole.

— Commandant, c'est une indignité, halète-t-il. Je réclame des sanctions impitoyables. Je…

Il étouffe. Il violacé. Il violente.

— De quoi s'agit-il ? demande le se-le-mettre-d'abord-âpre-odieux.

L'organe fracassant du gros Béru nous déboule dans les trompes d'Eustache.

— Il s'agit de moi-même, mon commandant !

Il est en manches de chemise, avec les phalanges tout écorchées, Pépère. Je pige qu'il vit à l'heure du passage à tabac. Il respire du nez et un filet de bave débabine sur sa frime apoplectique.

— Commandant, fait le second ! Je vous demande de faire mettre cet énergumène aux fers !

Il en dirait sans doute davantage si une mandale de Béru ne l'envoyait dinguer contre la couchette.

— Nergumène, toi-même, fesse de rat ! vocifère le con casseur.

— Messieurs, messieurs ! Un peu de décence, je vous en prie ! fait sévèrement le commandant.

Je pense opportun de sortir ma salière des grandes occasions pour mêler mon grain de sel à l'altercation.

— Qu'est-ce qui te prend, Béru ?

Le Gros prend à son compte exclusif l'oxygène puisé par l'appareil de ventilation. Il s'en flanque une poumonée formidable et explique :

— Y me prend que c'est ce vilain qu'est un des cents[9], déclare Alexandre-Benoît. M'aginèz-vous que je m'ai tenu la raisonnance suivante : le prof s'est fait effacer pendant qu'il charcutait la viande froide sur le pont. Conséquemment, me m'ai-je dit, l'assassin a été obligé de sortir par la tourelle pour aller y faire renifler son flacon de Marie-Rose.

Brave Bérurier. Ça raisonne comme son prestigieux chef, ça, madame ! On ne peut pas croire, à le voir, qu'il possède un cerveau en ordre de marche.

— Alors ? me passionné-je.

— Alors, discrètement, je me documente auprès de l'équipage, et qu'apprends-je ? Que le second a passé le temps de lotopsie à bricoler le père iscope. « Tiens-tiens-tiens, me pensé-je, voilà qu'est intéressant. » Je me mets à entreprendre cézigue. Biscotte, je pense que vous l'avez remarqué, mon commandant, mais votre père iscope passe par la tourelle au même titre que l'échelle, ce qui revient à dire qu'on ne peut pas sortir du sous-marin sans être vu d'un type qui se tient près du père iscope, je me fais bien comprendre ?

— Que faisiez-vous au périscope, Leborgne-Daideux ? demande le commandant à son capitaine de corvée.

— Je profitais de ce que nous faisions surface pour vasculer le débrideur optique, commandant, se rebiffe l'incriminé (qui est peut-être un criminel). Vous me faisiez remarquer hier que le mollisseur à basse tension fourvoyait du brunisseur.

— En effet, reconnaît le semelle-ras bord-ah ! — crédieu !

Le tuméfié explose.

— Cet horrible flic est entré dans ma cabine comme aux cabinets, il m'a demandé à brûle-pourpoint qui était remonté sur le pont pendant l'autopsie. Je lui ai répondu « personne », ce qui est la. vérité. Alors il s'est jeté sur moi à bras raccourcis en me couvrant d'injures.

— Et s'sus prêt à continuer la séance ! affirme le Tonitruant.

Cette fois je m'emporte.

— Ça suffit, Béru. Je vais tirer cette affaire au clair.

Le Dodu se renfrogne et rabat ses manches de chemise en maugréant des choses funestes.

— Capitaine, poursuis-je en m'adressant au second, vous reconnaissez ne pas avoir quitté la tourelle depuis que nous sommes redescendus ?

— Je reconnais, je reconnais, déclare l'interpellé.

— Vous ne vous êtes pas absenté un seul instant ?

— Absolument pas !

Il a un visage sympa, énergique, avec de grands yeux bleus assombris par l'indignation.

— Alors comment expliquez-vous que quelqu'un soit remonté sur le pont pendant l'autopsie, ait tué le professeur, et soit redescendu sans attirer votre attention ?

Il hausse les épaules.

— Je n'explique rien, monsieur le commissaire. Mais j'affirme que personne n'est monté ou descendu pendant que je vérifiais le périscope, un point c'est tout. Et ce ne sont pas les voies de fait de votre gorille qui me feront dire autre chose !

— Vu que c'est toi l'assassin, pardine ! ne peut s'empêcher de clamer le Gros.

L'officier se tourne vers moi.

— Si cet imbécile continue de m'injurier, nous allons au-devant de nouveaux malheurs, m'avertit Leborgne-Daideux.

— Ecoutez, enchaîné-je, vous sentez bien que quelque chose ne va pas dans vos déclarations. Capitaine, les faits sont là, tout crus : le professeur a été assassiné sur le pont. Nous l'avons laissé en compagnie de deux morts. Lorsque nous sommes remontés, on l'avait tué. Vous, vous affirmez que personne n'est allé sur le pont, mais puisqu'on l'y a tué… Vous niez une évidence !

Il secoue la tête.

— Je dis la vérité. La vérité ! La vérité !

— Rappelez bien vos souvenirs. A un moment ou à un autre, vous avez quitté le périscope pour aller chercher un outil, ou pour donner un ordre…

— Non !

— Mais…

Il s'emporte.

— Non, vous dis-je ! Il me suffirait de vous répondre oui pour me laver de l'infamant soupçon qui pèse sur moi. Mais je ne peux vous répondre oui car ce serait un mensonge, et dans la marine française on n'a pas pour habitude de mentir, termine-t-il en complétant par un soupir dans lequel je crois déceler les deux premières mesures de la Marseillaise.

Un de mes collègues de la Défense suggère :

— Et si l'assassin était resté caché sur le pont ? Je sais bien que les cachettes y sont peu nombreuses, mais enfin la chose est tout de même réalisable. Une fois que nous sommes redescendus, le meurtrier accomplit son forfait, retourne à sa cachette et attend que nous remontions. Il lui a été alors facile de se mêler discrètement à nous pendant la confusion qui a suivi.

La thèse est valable. Je m'apprête à en convenir lorsque le capitaine intervient :

— J'ai le regret de vous dire que c'est impossible, monsieur.

— Pourquoi ?

— Mais parce que le steward a été tué PENDANT que le professeur était sur le pont. Donc, l'assassin ne s'y trouvait plus !

— Conclusion, risque le Mastar en désignant le second…

Un silence de vingt tonnes se met à peser sur nous.

Il est heureusement rompu par l'évanescent Dominique Lancin.

— D'après l'avis du professeur, les deux matelots sont morts pour avoir respiré un gaz extrêmement toxique, peut-être qu'en pratiquant l'autopsie, le professeur a libéré une infime partie du gaz qui subsistait dans les cadavres. Il l'a respiré et en est mort à son tour !

Assassiné par des cadavres, en somme ? L'idée n'est pas à repousser. Il n'empêche que notre raison commence à branler sérieusement du manche, mes amis. Je me dis que les crimes les plus audacieux sont les plus difficiles à élucider. On trouve un gars zigouillé en plein Paris, illico on met en œuvre un dispositif qui, onze fois sur dix, permet l'arrestation du coupable. Là, nous sommes une poignée d'hommes dans un espace réduit. Quatre personnes sont tuées et on n'arrive pas à déterminer qui a fait le coup. C'est obsédant. On est quatre flicards à bord. Fins limiers réputés ! Quatre craks abasourdis et on tournicote dans notre mystère, comme des bouts de bois dans un remous.

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9

Employé ici pour indécent. Du moins nous le croyons.