Guily-Guilyx prend le bras du Gros et le lève pour le proclamer vainqueur de la première manche. Dans le mouvement, le futal du Gros lui tombe sur les pieds, déclenchant coup sur coup de la stupeur et le plus formidable éclat de rire jamais enregistré en Tasmanie. Sans s'émouvoir, Sa Majesté relève son grimpant.
— Escusez, méàmes et messieurs, fait-il, c'est consécutif aux trépidations dont votre bestiau m’a occasionnées.
A tout hasard on l'applaudit. C'est fou ce qu'ils sont gentils et compréhensifs, les Tasmaniens. Le présentateur nous convie à prendre place sur l'estrade, entre le lord maire et le révérend père du pays.
L'émission continue. La seconde épreuve est celle du mât de cocagne. Il est savonné, of course, et, tout en haut, on a placé un baquet d'eau en équilibre ! Dans le baquet se trouve un poisson rouge. Celui qui parvient à attraper le poisson rouge avec les dents a gagné. Béru sollcité refuse de participer à cette épreuve.
— Le mât de gascogne, dit-il, ça n'a jamais été mon fort.
— Mais, lui demandé-je, poussé par quelque curiosité, conunent se fait-il, Gros, que tu aies pu tenir le coup sur ton autruche ?
Un sourire matois badigeonne son visage d'optimisme.
— Dans la vie, y a le système D, mec !
— C'est-à-dire ?
— Si t'aurais remarqué, les pieds des projecteurs sont calés avec des petits blocs de fonte.
— Alors ?
— Je m'en ai chopé deux, mine de rien, je les ai attachés à chaque bout de mes pantalons avec mes bretelles, ça été l'affaire de vingt secondes. Ça me faisait des contrepoids magistraux, comprends-tu ? L'autruche avait beau se démener le fignedé, je restais positivement plaqué sur elle. Bien sûr, j'ai été obligé de sacrifier la paire de bretelles neuves que ma Berthe m'a offertes y a deux ans pour mon anniversaire, mais ça ne fait rien…
Il rit.
— Si tu voudrais mon avis, les gens de par-là, ils sont gentils mais pas démerdes…
Il se tait pour suivre l'ascension d'un guignol le long du mât. Le malheureux concurrent se hisse d'un mètre, mais glisse presque aussitôt de quatre-vingt-dix-neuf centimètres et demi. Au bout d'un instant, le seau sommant le mât bascule et l'escaladeur chope son contenu sur les endosses, à la grande satisfaction générale.
D'autres essais infructueux suivent. L'épreuve s'avère négative et l'on prépare la troisième épreuve : le match de boxe contre un kangourou.
— Ça promet de l'intéressant, jubile Béru, lequel concrétise son triomphe en fumant un cigare long connue un bâton d'agent.
Les machinos roulent un ring au mitan de la place. On amène un solide kangourou drivé par un soigneur qui ressemble à un singe.
— Celui qui tient deux rounds devant Kid Punch sera proclamé vainqueur, annonce Guily-Guilyx. Je précise, ladies and gentlemen, que Kid Punch appartient à la catégorie des kangourous moyens. Il est invaincu jusqu'à ce jour et totalise cent vingt-deux victoires avant la limite. Allons, qui veut tenter sa chance ?
Un grand rouquin de deux mètres se présente. Musculeux, menton carré, nez camard, bouche lippue, œil enfoncé, front bombé, cheveux ras, oreilles décollées : une brute.
Il enjambe les cordes et, témérairement, lève les deux bras pour se faire acclamer. On applaudit à son courage en attendant d'applaudir à sa victoire. Un soigneur bénévole lui passe les gants. L'arbitre réunit les deux adversaires au milieu du ring pour les dernières recommandations d'usage. C'est un gars qui est éleveur de kangourous et qui parle couramment leur langue. Les adversaires se serrent les cuirs. Gong !
Le rouquin tombe en garde. Le kangourou fait de même. Ce dernier danse devant la brute qu'on lui oppose. Le rouquin y va alors d'un crochet. Le kangourou a eu une brève dérobade et jaillit dans l'ouverture.
En deux coups de pattes c'est réglé. Le fier-à-bras gît dans la résine. L'arbitre lève le bras du vainqueur, mais dans sa précipitation lui marche sur la queue.
On ne marche pas, fût-on arbitre de boxe, sur la queue d'un vainqueur. Le kangourou ajuste une chiquenaude au menton de l'arbitre qui rejoint le vaincu dans les vapes.
C'est un supplément passionnant. La foule délire. On évacue les victimes pendant que, sagement, Kid Punch retourne s'asseoir dans son coin où son soigneur lui donne un banane.
Guily-Guiiyx sollicite un nouveau postulant, mais la séance a calmé les ardeurs, aussi personne ne se présente.
— Allons, gentlemen ! clame l'animateur en s'animant lui-même, je suis sûr qu'il y a d'autres courageux volontaires parmi vous !
— Aïe ! hurle Béru qui vient de se cruellement brûler la bouche en fumant distraitement son cigare à l'envers.
Une vigoureuse acclamation retentit. Le présentateur se tourne vers mon camarade et le complimente.
— Qu'est-ce qu'il me veut ? demande la Grosse Pomme, surpris et vaguement inquiet.
Il a compris que tu te déclarais partant pour rencontrer le kangourou, Béru. Tu as crié Aïe, c'est en anglais l'équivalent de « Je ». Or, comme il demandait qui voulait combattre, en disant « Je », tu as accepté, c'est une tournure de phrase typiquement britannouille.
— Des clous, s'insurge le Dodu, chez nous, aïe, c'est quand on se fait mal, j'ai pas dit aïe en anglais, mais en français.
— Seulement nous sommes dans un pays de langue anglaise, et ces gens vont penser que tu te dégonfles.
Ce sont bien là les mots susceptibles de galvaniser un Bérurier.
— Moi, me déballonner, ronchonne le cher homme, déclarer forfait devant un kangourou que généralement je m'en sers comme slip ! Oh, dis, San-A., tu fermentes de la calbombe, mon gars !
Il se lève.
— Explique au téloche-mec que je veux bien me chicorner avec son gros lapin, mais sans gants. Je me bats toujours à poings nus.
Je traduis au démeneur de jeux, lequel se déclare d'accord. Voilà donc mon Béru qui pose sa veste et son pantalon afin d'avoir sa liberté de mouvement. En chemise à col danton, en slip à grilles, en chaussettes dépareillées et en chaussures de ville éculées, Béru enjambe les cordes. La foule frénétiquement salue l'indomptable courage de ce frenshman pour qui, semble-t-il, la zoonomie n'a pas de secrets.
Les deux adversaires sont déjà au centre du ring, en train de se dévisager d'un air sournois. L’arbitre qu'on a vinaigré et bassiné a repris son poste périlleux. Il vient de parler (sans la moindre rancune) au kangourou.
— Rinc-rinc haourlulu ! lui a-t-il dit, ce qui, m'explique-t-on, signifie chez ces marsupiaux : défense de frapper au-dessous de la poche ventrale.
Après quoi il se tourne vers Béru :
— Vous ne devez pas marcher sur la queue de votre adversaire, ni lui tirer les oreilles.
Il a parlé en anglais, ce qui revient à dire qu'il aurait aussi bien pu le dire en kangourou ou avec des fleurs.
Le gars Béru opine pourtant, comme s'il avait pigé. Gong !
Comme précédemment, le kangourou sautille devant son robuste vis-à-vis. Béru, bien en ligne, ne se laisse pas impressionner. Il est embusqué derrière ses poings monstrueux comme derrière les créneaux d'un château féodal. Il attend, Pépère. Prudent, un œil mi-clos, les réflexes branchés sur le 220. Soudain, sans qu'on s'explique trop pourquoi, le kangourou baisse sa garde et paraît se désintéresser de son adversaire. Est-ce l'œil béruréen qui le fascine ? Est-il impressionné par ce noble échantillon de la race humaine ? Toujours est-il qu'il met ses mains gantées à la hauteur de son bide, comme pour masser une colique.
Vzzoum !
Le direct du Mastar a jailli, en vrille, bien français, classique, pur, efficace. Le kangourou morfle le gnon à la pointe du menton et titube. La populace s'est dressée en poussant un râle d'alcôve. Superbe de self-contrôle, Bérurier place son une-deux habituel et l'animal qui a tant infligé de K.O. subit le premier de sa carrière. Il se couche sur le flanc en tricotant des cuissots.