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Il encaisse l’info sans broncher.

Gwen avale une rasade et fait tournoyer les restes de bière.

— Ben, tiens. Tant qu’à faire, pourquoi se priver ?

Elle commence à me bassiner, la catcheuse.

— Ce n’est pas tout. J’ai aussi trouvé ceci.

Je sors la photo de la femme, la pose devant lui.

Gwen la prend, jette un coup d’œil et la file à Raf.

Il l’examine, la retourne, regarde l’annotation.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— D’après mes recherches sur le Web, une date en ukrainien, le 16 avril 2014.

— Où elle était ?

— Collée sur le mur, en face du divan. Tu la connais ?

— Jamais vue.

Gwen reprend la photo et la fourre dans son sac. J’aimerais intervenir, mais cette photo ne m’appartient pas. Comme Raf ne bronche pas, je me tais.

Elle termine sa bière et scrute le fond de son verre.

Silence.

Raf reprend, hésitant.

— Il y a quelques mois, il a perdu son job. Il est rentré en Belgique, la queue entre les jambes. Il n’était plus le même.

Il aimerait en dire plus, mais la présence de Gwen le freine. Il appelle le serveur, lui demande de remettre la même chose.

J’en profite pour enfoncer le clou.

— Où travaillait-il ?

Il m’en lâche un peu plus.

Après l’armée, son père est devenu garde du corps à l’étranger. Il assurait la sécurité des journalistes, des mômes de friqués et des diplomates belges, vu que le rapt de mioches est un sport national au Venezuela. Ensuite, il a bossé pour des boîtes installées dans des endroits chauds, mais ne lui a jamais donné plus de détails.

— Tu l’as revu souvent après son retour ?

— Quelques fois. Il insistait pour que je vienne chez lui.

Gwen l’interrompt.

— Il voulait se faire pardonner d’avoir été un mauvais père, mais c’était trop tard.

Raf reprend.

— Il y a trois ans, il s’est acheté cette baraque dans ce trou perdu. Un tas de trucs ont suivi, cette bagnole de m’as-tu-vu, ces équipements de bourge, ce bocal à poissons et toutes ces conneries. Il a dû toucher le gros lot. Ça me foutait le cafard d’aller là-bas.

Gwen le fustige.

— Fallait pas y aller.

Il se rebiffe.

— C’est bon, tu l’as déjà dit.

La tournée arrive.

Deux vieux et leur clebs s’installent à la table contiguë. L’homme lâche un long pet en s’asseyant. L’incident ne déride ni Raf ni Gwen.

J’écrase mon mégot.

— Selon la police, tu aurais déclaré que ton père était dépressif.

Il soupire, m’explique que c’est sa mère qui a raconté ça. Elle ne voyait plus son ex et le détestait, mais trouvait suspect qu’il veuille tout le temps voir son fils. Elle en a déduit qu’il était devenu taré.

Il s’arrête, renifle.

— Le dimanche où ça s’est passé, il m’a envoyé quelques lignes. J’ai lu sans faire attention. Quand j’ai appris sa mort, jeudi dernier, ça m’a fait bizarre. Je me suis demandé ce qu’il voulait me dire.

— Qu’est-ce qu’il avait écrit ?

Il sort son téléphone, me montre l’icône de Telegram Messenger et me demande si ça me dit quelque chose.

Demander à un geek s’il connaît Telegram Messenger, c’est demander à un Italien s’il connaît Ferrari.

Les développeurs de l’appli prétendent avoir créé la messagerie la plus sécurisée du monde. On peut programmer l’autodestruction des envois, comme dans Mission impossible, l’outil rêvé pour les paranos et tous ceux qui ont des choses à cacher : journalistes, avocats, truands, terroristes, amants. Potentiellement, 90 % de la planète.

— Je connais. Je présume que le message s’est effacé après quelques heures ?

Gwen.

— Gagné.

Raf.

— C’est lui qui voulait que j’utilise cette merde. J’aurais aimé garder ses derniers mots. Il disait qu’il aurait préféré que ça se passe autrement entre nous, que certains cauchemars ne s’effacent jamais, qu’on emporte ses démons avec soi où qu’on aille. Pour terminer, il a écrit qu’il m’aimait. C’était la première fois de sa vie qu’il me le disait.

Gwen lève les yeux au ciel, ulcérée.

Silence, clope, bière.

— Malgré ça, tu ne crois pas qu’il s’est suicidé ?

Il me fixe dans les yeux.

— Vendredi, je suis allé chez lui. Ça puait la mort. J’ai vu les éclaboussures de sang sur le mur. Je ne suis pas resté longtemps, le temps de prendre quelques affaires. Entre autres, j’ai trouvé ça.

Il sort un passeport de sa poche.

Je l’ouvre et découvre la photo de Régis Bernier vivant. Visage carré, yeux rapprochés, coupe militaire.

Les pages sont bourrées de coups de tampons, le passeport du grand bourlingueur.

Je termine la lecture et m’apprête à lui rendre le document.

Il pointe son index.

— Regarde derrière.

Je retourne le carnet.

Sur la couverture arrière, quelques mots sont griffonnés au marqueur, en anglais.

L’avertissement est clair.

« Tu fermes ta gueule, sinon tu crèves, et ton fils aussi. »

15. Proxy fighter

— Celle-là.

Une Ice Watch orange devrait en jeter sur sa peau hâlée. Je ne l’ai jamais vue avec une montre. Je n’en porte pas non plus, sauf lors des mariages et des fêtes de famille, pour frimer et marquer ma réussite sociale.

Je sors de la boutique.

« J’ai envie de toi. »

Je l’entends me les murmurer.

Ils me ramènent à notre première fois. On prétend que ce n’est pas la meilleure, mais que c’est celle dont on se souvient toujours.

« J’ai envie de toi. »

Il n’aura fallu que cette phrase pour que mes appréhensions s’envolent. À peine ces mots prononcés, nos bouches se sont happées, nos langues se sont entremêlées. Nous nous sommes déshabillés en moins de deux en éparpillant nos fringues aux quatre coins de la piaule. Chancelants, nous nous sommes précipités sur le lit.

Je me suis emparé de ses seins, les ai mordillés avec avidité. Enivré par son odeur, je me suis aventuré le long de son ventre. Elle a emprisonné ma tête entre ses mains, m’a ramené à elle.

Le regard trouble, elle a cambré les reins.

« Prends-moi. »

Je l’ai pénétrée sans ménagement.

Nous étions déchaînés. Son bassin allait, venait, répondait sans retenue à mes assauts.

Alors que j’approchais de l’explosion, un sentiment étrange m’a parcouru. Pour la première fois, j’étais dans les bras d’une femme mariée. Je croquais le fruit défendu à belles dents. Je m’appropriais un bien qui ne m’appartenait pas. L’espace d’un instant, j’ai oscillé entre orgueil et culpabilité.

Étrangère à mes scrupules, elle m’exhortait.

« Viens. »

Ses ongles plantés dans mon dos, nous avons joui de concert, ma semence se répandant en elle, nos cris libérateurs ameutant l’hôtel.

Nous sommes restés suspendus au milieu de l’univers, muets, nos peaux couvertes de sueur, nos jambes enchevêtrées.

D’un bond, elle s’est levée et m’a tendu les mains.

« Douche. »

Nous avons passé un siècle sous le jet brûlant. Mes mains exploraient les moindres parcelles de son corps. Encore ruisselants, nous nous sommes enveloppés dans les peignoirs et sommes sortis sur le balcon.