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J’ouvre de grands yeux.

— Comment ça ?

Il se racle la gorge.

— Tu as entendu parler de l’offensive du Têt ?

— Comme tout le monde.

Je comprends à son froncement de nez que ce n’est pas la bonne réponse.

— Je vais te rafraîchir la mémoire.

L’air grave, il m’explique qu’en 1968 les images d’horreur des combats dans Saïgon ont inondé les canards. Les Amerloques ont vu leurs boys tomber dans la pluie, la boue et le sang. Le moindre village US avait un gamin qui rentrait au pays dans un sac à viande.

— Le Vietnam a été la première guerre retransmise en direct et en couleurs à la télé. Le sang était rouge et les cris réels. En l’espace d’un mois, l’opinion publique s’est retournée. Le Têt a marqué le début de la fin du photojournalisme. Ça explique le peu d’images que l’on a reçues des conflits en Irak et en Afghanistan.

En revanche, l’esprit de synthèse n’est pas son point fort. Le lien avec ma question est nébuleux. Près d’un demi-siècle s’est écoulé depuis.

Je tente un raccourci.

— C’est la raison pour laquelle les Américains contrôlent les journalistes et engagent des mercenaires ?

Il soulève un sourcil.

— Tu es pressé ?

Le ton est glaçant.

— Pas vraiment.

Il pointe son stylo dans ma direction.

— Si tu me poses une question et que tu n’as pas le temps d’écouter la réponse, il ne faut pas venir me voir.

Mon iPhone vibre au fond de ma poche. Camille entame les préliminaires virtuels.

Robert reprend, développe. Le mercenariat a toujours existé. Les Français perpétuent une grande tradition dans ce domaine. Selon lui, la Légion étrangère est un corps de chiens de guerre. Aujourd’hui, les contractants sont partout et viennent d’un tas de pays. La Tchétchénie en a fait un produit d’exportation.

— Ils se substituent à l’armée régulière ?

Il plisse les yeux.

— Ils travaillent en parallèle. En principe, ils ne sont là que pour exfiltrer des hommes d’affaires, escorter des journalistes ou protéger des huiles. En pratique, c’est eux qui font le sale boulot. S’ils se font tuer, ils n’apparaissent dans aucune statistique.

Il poursuit sur sa lancée, m’apprend que bon nombre de ces types sont payés entre 7 000 et 15 000 euros par mois par des sociétés privées qui agissent en sous-main pour le compte d’États, ce qui évite les retombées politiques en cas de débâcle.

La plus connue est Blackwater. À Bagdad, en 2007, quatre consultants ont ouvert le feu sur des civils. Dix-sept morts, une vingtaine de blessés. Après cette bavure, la société a changé de nom, elle est devenue Xe, puis Academi. Aujourd’hui, cette boîte est une pièce maîtresse de la machine militaire américaine.

D’après lui, c’est l’armée privée la plus puissante de la planète. Elle est truffée de barbouzes, d’anciens bidasses et d’ex-cadres de la CIA. En plus d’avoir le plus important stock privé d’armes, elle dispose d’une flotte d’avions, d’hélicoptères, de navires et de véhicules blindés.

Il termine en évoquant George Bush. Celui-ci a commencé à faire massivement appel à eux après les attentats du 11 Septembre, entre autres pour traquer les leaders d’Al-Qaïda.

— Retiens une chose, Fred. La privatisation de la guerre est devenue irréversible.

— Tu penses qu’Academi emploie des Belges ?

Il acquiesce.

— Ils ont même une excellente réputation. En Ukraine, on a capté des communications radio en anglais, polonais, français et flamand.

— Merci, Robert.

Il ne compte pas en rester là.

— Pourquoi tu veux savoir ça ?

Je lui adresse un clin d’œil.

— Je songe à réorienter ma carrière. Avec 15 000 euros par mois, je pourrais m’offrir une Porsche.

H-8

Cigarette.

Hasselt. Radisson Blu. Tu parles flamand ?

H-7

Je furète sur le Web. Les infos confirment les propos de Robert. Academi a son siège à Reston, en Virginie, et des antennes à San Diego, Raleigh et Rabat, autant de destinations présentes dans le passeport de Bernier.

Je copie l’adresse de contact des ressources humaines et rédige un mail expliquant que j’aimerais recevoir des informations sur un de leurs employés, Régis Bernier. Je précise que je suis journaliste et que j’agis dans le cadre d’une enquête que je réalise au sujet de sa mort.

Le culot fait partie des qualités intrinsèques du bon reporter.

H-6

Cigarette. Pause sandwich chez Paul.

Éloïse me rejoint et s’assied en face de moi.

— Je peux ?

— Sois la bienvenue.

Elle jette un coup d’œil autour d’elle.

— Après-demain ?

— Ça devrait aller.

Elle ôte sa chaussure, tend son pied sous la table, le glisse entre mes jambes.

— Tu sais pourquoi j’y reviens chaque fois ?

— Parce que je suis beau et intelligent ?

Elle fait une grimace.

— Pas du tout. Ce que j’aime, c’est que tu es complètement barge. Là où les autres mecs sont prévisibles, toi, c’est le feu d’artifice. Je ne sais jamais quelle connerie tu vas inventer. Tu es dingue, Fred, c’est ça qui me plaît, chez toi.

Ses doigts de pied taquinent ma virilité.

— Je dois le prendre comme un compliment ?

Elle approuve d’un hochement de tête.

— À propos de connerie, n’oublie pas ton matos. Mes voisins me parlent encore de la fois où tu es descendu chercher tes capotes dans la voiture.

— Pourtant, j’ai été discret.

— Tu étais à poil, je te rappelle.

H-4

Gilbert me tape une cigarette.

— Je t’ai déjà raconté l’histoire des deux meilleurs joueurs de foot ?

Cent fois.

— Possible.

— Chaque mardi, on publiait le classement des top footballeurs de la division 1. Un jour, le journaliste a changé les prénoms des deux premiers pour déconner. Il pensait que le rédac final le verrait. Le meilleur joueur est devenu Poilalabite Katana et le deuxième Trouducu Okpara.

Il part dans un fou rire.

La tempête passée, Gilbert sort son drap de lit et fait le tour de ma bagnole. Comme d’habitude, elle est garée sur le trottoir, entre les deux entrées de parking.

L’inspection terminée, il se gratte le menton.

— Tu prends souvent le Ring ?

— Jamais, c’est trop dangereux.

H-3

Réponse d’Academi.

Nos registres du personnel ne contiennent aucun dénommé Régis Bernier. Best regards.

H-2

Je me rue vers la sortie, clope au bec, le briquet dans les mains. L’hôtesse m’apostrophe alors que je franchis le bureau d’accueil. Elle a reçu un appel pour moi, en anglais. Le type lui a demandé qui j’étais. Il a raccroché au moment où elle a voulu me passer la communication.

H-1

E314, je frise les 150. Un flash crépite dans mon dos.

H

Je fais irruption dans le hall du Radisson Blu.

Camille se tient devant la réception, carte magnétique et plan de la ville en main. Elle écoute avec attention la litanie que le préposé lui débite en roulant ses r comme un acteur shakespearien.