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Dans ce cas, pourquoi en a-t-elle épousé un ?

Je hurle à m’en péter les cordes vocales.

— Connards d’Ucclois !

J’empoigne la lampe de bureau et la balance de toutes mes forces dans le miroir. Il vole en éclats dans un vacarme cristallin. Les débris de verre s’éparpillent autour de moi.

Je saisis le dossier du fauteuil, le soulève à bout de bras et le projette contre la porte.

« Tu as autre chose à faire dans ta vie que de m’attendre. »

— Putain de merde ! Qu’ai-je d’autre à attendre de la vie, à part la mort ?

Je me suspends aux tentures, pèse de tout mon poids. Dans un nuage de plâtre, le support cède, la draperie s’effondre sur la moquette, m’entraînant dans sa course.

Je me relève, fou de rage. Je retourne le matelas, déchire les draps, crève le duvet, m’attaque aux oreillers. Les plumes voltigent dans la pièce.

« Tu es un homme à part. »

— À part de quoi ? De qui ?

Des fourmillements dans le ventre, je plonge dans la salle de bains.

J’arrache le rideau de douche, agrippe le sèche-cheveux et m’en sers comme marteau. Tout y passe, les flacons, le miroir, le carrelage. Tout pète, gicle, éclate.

« Dans trois ans, j’aurai peut-être un enfant. Cela fait partie de nos projets. »

Pourquoi m’a-t-elle laissé espérer ? Pourquoi m’a-t-elle caché la vérité ? Pourquoi m’a-t-elle menti ?

Je reviens dans la chambre, règle le compte de l’armoire à coups de pied.

On tambourine à la porte.

Je gueule à pleins poumons.

— Allez vous faire foutre !

Ma vue se brouille. Je déracine l’écran mural en me servant de mes pieds comme levier.

Les coups redoublent. Quelqu’un m’invective en flamand.

La télévision à bout de bras, je claudique jusqu’au balcon, la brandis au-dessus de ma tête et la projette dans les airs.

Elle s’écrase six étages plus bas et explose dans un bruit d’apocalypse.

18. Entre deux battements

Cette fois, mon arrivée ne passe pas inaperçue. Christophe m’attend, planté au milieu de l’allée, poings sur les hanches, visage fermé.

D’après le regard qu’il me lance, il ne se réjouit pas de m’accueillir.

— Salut, Fred. On peut se voir ?

— Bien sûr.

Je n’ai quitté Hasselt que vers midi.

Le directeur de l’hôtel a appelé les flics pour porter plainte. Je leur ai expliqué que j’étais spasmophile, que ce genre de crise m’arrivait de temps en temps, qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que j’allais régler la facture des dégâts.

Ils m’ont cru. Pour la spasmophilie et le remboursement. Le dirlo m’a fait signer une reconnaissance de dettes et m’a laissé partir. Je suis rentré pied au plancher, ce qui m’a valu un nouveau contrôle radar.

Il m’indique son bureau.

J’entre, je m’assieds.

Il ferme la porte et se met à beugler.

— C’est quoi, ce bordel que tu as foutu à Hasselt ?

— Quel bordel à Hasselt ?

Il pointe un doigt accusateur.

— Ne joue pas au con avec moi, Fred. Le directeur du Radisson m’a téléphoné pour m’expliquer que tu as saccagé une chambre. Tu te prends pour Mick Jagger ?

J’aurais choisi Chester Hanks, plus actuel.

— Saccager est un grand mot. Une nouvelle télé, deux miroirs, un petit coup de peinture et on n’y verra plus rien.

Il est apoplectique.

Son poing s’abat sur la table.

— Arrête ton show tout de suite, Fred. Je ne sais pas pourquoi tu étais là-bas, et je m’en fous. Tu gères ta vie comme tu veux, mais tu connais les règles. J’exige que mon personnel soit irréprochable. Les fouille-merdes, les pique-assiettes et les caractériels n’ont pas leur place ici.

Je bous intérieurement, je meurs d’envie de griller une clope. Je lui collerais bien ma démission séance tenante.

Je baisse la voix.

— Je suis désolé. J’ai pété un plomb.

Il renchérit.

— Qu’est-ce qui se passe avec toi ? L’autre jour, tu as failli t’endormir pendant la réunion. Tu avais une tête de déterré et tu puais la gnôle. Fais la java si tu as envie, mais le lendemain, tu dois être impeccable.

— D’accord.

— Je n’ai rien à te reprocher sur le plan professionnel. Tu es un bon journaliste. Ton travail répond aux objectifs. C’est au niveau de ton comportement que j’attends un changement, rapide et à long terme.

— OK, j’arrête les conneries.

Il se calme aussi soudainement qu’il s’est emporté, se lève et pose une main sur mon épaule.

— C’est bon, on n’en parle plus. J’ai dit au type de l’hôtel que tu étais quelqu’un de sérieux, et que tu allais payer les frais. Si tu as besoin d’une avance sur salaire, fais-moi signe. Maintenant, va bosser.

Je sors et traverse le plateau sous les regards embarrassés.

Loïc m’accueille, l’air effaré.

— Houla ! Ça a bardé.

Les autres se contentent d’une grimace de compassion.

— Salut tout le monde.

Je m’installe sans ajouter un mot, ouvre la feuille de route et me mets au boulot.

Bruxelles. Fusion entre Delhaize et Ahold.

Paris. Chauffeurs de taxis en grève.

Éloïse pose un mug de café sur le coin du bureau.

— Tu en as besoin.

— Merci.

L’après-midi me paraît interminable. Une phrase me revient en boucle, comme un écho douloureux.

« C’était une magnifique dernière fois. »

Une lame me cisaille la poitrine. Une première fois peut être magnifique, jamais une dernière.

Je guette l’écran de mon iPhone à intervalles réguliers. Aucun message de sa part. Seulement quelques appels de potes que j’ignore.

Colombie. Une mère et son bébé survivent cinq jours dans la jungle après un crash.

Début de soirée, clope suivie de la moambe avec Vanessa et Pierre.

Ils entament une discussion sur le look hipster. Vanessa trouve qu’il a l’air d’un con avec sa barbe. Pierre argumente, ça lui va bien. En plus, il peut se la raser quand il veut, pas comme les tatoués. Dans quelques mois, ils seront tous has been avec leurs décalcomanies partout. La tendance sera à la peau immaculée, translucide, diaphane. Tête de Vanessa.

En temps normal, j’adore me mêler à ces discussions déjantées. Elles remplissent nos moments creux. J’initie, je relance, je mets de l’huile sur le feu.

Cette fois, je reste silencieux. Ils ont compris qu’il fallait me foutre la paix.

À minuit, ils se barrent. J’en profite pour allumer une cigarette. Une heure plus tard, l’équipe de sécurité débarque et m’informe qu’il est l’heure d’évacuer les lieux. L’un des gars renifle et me dit qu’il est interdit de fumer dans les locaux.

Je retrouve ma voiture, descends la rue Royale comme un automate.

Avenue Louise, les tunnels.

Je branche le système mains libres et appelle ma messagerie.

Vous avez trois nouveaux messages.

23 h 45.

Jeremy hurle au milieu des décibels.

Mezza, vodka, nanas. On t’attend.

Entrée du Bois.

Message suivant.

20 h 47. Ma mère.

Bonsoir, Frédéric, c’était l’anniversaire de ton père aujourd’hui. Je te le rappelle, mais je sais que tu t’en fiches. Passe à la maison un de ces jours, tu me manques.