Выбрать главу

Bien plus tard, lors d’une grosse teuf, il m’a avoué la supercherie.

Fin saoul, il a pris l’air sarcastique.

— Tu veux savoir pourquoi tu as gagné ce soir-là ?

Il a tapoté sur mon front avec son index.

— Il n’y avait aucune astuce. L’apprenti Einstein, le body, les pompes, c’était du flan. Tout se passe dans la tête. Une simple programmation psychologique.

Il avait raison. L’homme croit ce qu’on lui dit et ne voit que ce qu’il veut voir. La tapée d’images bidon qui inondent le Web le prouve.

La sonnerie du téléphone retentit.

— Salut, Jerem, je pensais justement à toi.

Une voix d’outre-tombe me répond.

— Je rentre à l’instant. Nuit d’enfer. Tu nous as manqué, mec. Tu n’as pas oublié le passage à niveau, ce soir ?

J’avais zappé l’épisode.

— Endroit habituel, 22 heures ?

— OK.

Une idée germe dans mon esprit.

— Prends deux caméras en plus de la GoPro, on va se faire la totale.

— Qu’est-ce que tu mijotes ?

— Tu verras.

Accroche-toi, Camille. Si tu ne viens pas à Fred, Fred ira à toi.

25. Le choc des photos

Un tintement.

J’ouvre un œil. 14 h 25. Je me suis rendormi, téléphone à la main. Ma clope a cramé un coin de la couette.

Raf me relance par SMS.

Tu as trouvé quelque chose sur cette Natasha ?

Je m’assieds dans le lit. L’eau recommence à glouglouter dans mes poumons.

Ma soif d’en savoir plus fonctionne sur courant alternatif. À certains moments, je brûle de découvrir le fin mot de l’histoire, à d’autres, je m’en tape.

Il en va de même pour un tas de choses dans ma vie. Les bouquins que j’ai commencés sans jamais les terminer, les films dont je n’ai vu que la moitié, les mots croisés incomplets, les puzzles inachevés, les filles que j’ai laissées tomber avant même de conclure.

Les sports tiennent une place de choix dans ma liste d’objectifs avortés. J’en ai expérimenté une flopée. Il suffit que je regarde quelques images à la télé ou qu’un pote m’en parle avec passion pour que je m’emballe. Illico, je m’inscris dans un club et achète le matériel haut de gamme. Tennis, hockey, squash, badminton, krav-maga. Après quelques séances, j’abandonne. Pour le rugby, j’ai capitulé avant de fouler le terrain.

J’installe mon ordi sur mes genoux, ouvre le navigateur et entre Natasha Sczepanski dans la fenêtre de recherche.

Aucun résultat, Mister Google est formel. Il m’invite à essayer Natacha Spaczynski. Je tente le coup et parcours quelques pages en anglais. Rien de probant.

Sur Facebook, personne de ce nom-là.

Pas mieux sur Twitter.

À toutes fins utiles, je vérifie l’orthographe sur la carte postale.

J’expédie ma réponse à Raf.

Rien trouvé. Je continuerai demain, quand j’aurai récupéré quelques neurones.

Sa réaction ne se fait pas attendre.

Tu as regardé où ?

Il me prend pour un débutant ?

Sur le Web.

La sonnerie retentit dans la seconde.

Il est survolté.

— Tu es sûr que tu as bien regardé ?

Sa muse ne doit pas être loin.

— Pourquoi ?

— Gwen a trouvé quelque chose. Nous savons qui est cette Natasha. Je peux te dire où et comment elle est morte. Tape son nom sur Google et clique sur images.

Je rouvre Chrome, Natasha Sczepanski, onglet Images.

Une galerie de photos dégringole sur l’écran. Des types dans des postures diverses, en pied, assis, barbus, chauves, lunettés, souriants, sérieux, une Asiatique, une affiche Peace and Love, une montre rectangulaire, quelques graphiques.

Je scrolle. En bas de page, je reconnais la femme de la photo. Je clique. Consulter le site.

Je débarque sur un blog chargé de caractères cyrilliques. La photo de Natasha est centrée, encadrée de noir et surmontée d’un titre en gras. Un long texte suit.

Raf s’impatiente.

— Alors ?

— Gwen connaît le russe ?

— C’est de l’ukrainien. Nous sommes dessus depuis ce matin. J’ai fait appel à un collègue qui m’a aidé à décrypter. Elle est morte à Odessa, le 2 mai 2014. Ça te dit quelque chose ?

— Oui.

Le 2 mai 2014. Un vendredi. Je m’en souviens, on travaillait en équipe réduite à cause du pont du 1er mai.

La première alerte est venue des réseaux sociaux en début d’après-midi. Des affrontements opposaient des groupes de séparatistes pro-russes à des pro-Ukrainiens dans le centre-ville. On parlait de jets de pierres, de bâtons, de boucliers, de chaînes, de cocktails Molotov, de coups de feu.

Dans les minutes qui ont suivi, un tas de dépêches contradictoires sont tombées. Selon les sources, elles affirmaient une chose ou son contraire, chaque camp pointant l’autre du doigt. Informations et démentis se sont succédé jusqu’en début de soirée.

Les heurts se sont soldés par la mort d’une quarantaine de personnes, principalement des pro-Russes qui s’étaient retranchés dans un bâtiment officiel. Un incendie de cause indéterminée s’était propagé. Les victimes s’étaient fait piéger dans le brasier. Plus tard, on a parlé de liquide inflammable trouvé dans les décombres. Certains cadavres étaient mutilés. Des témoins ont déclaré avoir vu des tireurs sur le toit, bien qu’aucune arme n’ait été retrouvée.

En fin de compte, personne ne sait ce qui s’est réellement passé. La tragédie a été relayée par les médias, mais aucune enquête sérieuse n’a été entreprise par la suite. Deux jours plus tard, plus personne n’en parlait.

Le petit Raf remonte dans mon estime.

— Que dit le texte ?

Il pavoise.

— Le blog est tenu par un Ukrainien. En temps normal, il cause zik, bouquins, cinoche. Sur le coup, il a changé de registre. Il connaissait cette Natasha. Elle était médecin et habitait à Odessa. Elle n’en avait rien à foutre du pourquoi des combats, elle était allée porter secours aux victimes.

— Quel rapport avec ton père ?

— Le mec du blog était sur les lieux. Il a tout vu. Il dit que ce massacre a été organisé. Il prétend que des casseurs d’extrême droite et des mercenaires étaient mêlés aux manifestants.

— Rien ne dit que ton père était à Odessa ce jour-là. D’après son passeport, il a fait un aller-retour à Kiev, mais c’était plus tard, en septembre 2014.

Gwen fulmine dans son dos. Elle lui demande si je le fais exprès, si je suis journaliste, si je me fous de leur gueule.

Il pose une main sur le téléphone. Je perçois les vibrations de leur échange d’insultes.

Après quelques instants, il reprend.

— La photo de cette femme était chez lui. J’ai trouvé un message de menace dans son passeport. Toi-même, tu penses que sa mort est suspecte. Des mercenaires ont débarqué chez toi pour une baston. Sans compter la carte postale. Ce ne sont pas des coïncidences.

— Peut-être.

Gwen l’a chauffé à blanc.