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Nada.

J’entre. Cuisine moderne, rangée avec soin. Une odeur de renfermé et de viande pourrie empeste l’air.

Un couloir s’ouvre à droite. Je le suis et arrive dans le salon.

L’homme avec qui j’ai rendez-vous est assis dans un large divan, la tête en arrière, la bouche grande ouverte. S’il n’y avait les éclaboussures de sang noirci qui salopent le mur et le plafond, on pourrait croire qu’il dort à poings fermés.

Je devrais battre en retraite, sortir de ce merdier et vider mes tripes dans le potager.

Une phrase me revient.

« Ils feront tout pour me faire taire. »

Je reste immobile, fasciné par le cadavre. J’ai besoin d’une cigarette, mais le moment et l’endroit me semblent mal indiqués.

Sans détacher mes yeux de la scène, je glisse lentement une main dans ma poche.

Je marmonne entre mes dents.

— Alors, c’est comment, là-bas ?

4. Une brochette de poulets

En quelques minutes, les flics se sont multipliés comme les petits pains dans la plaine de Magdala.

Les premiers sont arrivés une demi-heure après mon appel, en sautillant sur le chemin dans leur minuscule Škoda blanche. La blondinette qui conduisait portait un flingue trop lourd pour sa frêle stature.

Son équipier arborait un bouc gris-roux et une paire de lunettes des années 1970. L’ensemble évoquait Walter White, le héros de Breaking Bad.

Après lui avoir dit qui j’étais, pourquoi j’étais à Grand-Hez et ce que j’avais découvert dans la maison, il m’a demandé ce que je faisais là.

J’ai répété comme un perroquet.

Il a ensuite cherché la sonnette, puis tapé du poing sur la porte.

Comme il ne recevait pas de réponse, il m’a demandé ma carte d’identité et l’a remise à sa collègue en me priant de ne pas quitter les lieux.

Il a fait le tour de la maison et est réapparu quelques minutes plus tard. Sans un mot, il s’est rendu dans sa bagnole et a passé quelques coups de fil.

Les renforts sont arrivés par vagues successives.

À force de lire les dépêches de l’agence Belga, je savais qui était qui. Quand les premiers intervenants estiment que la situation l’exige, ils font appel à l’officier de garde. Lui-même prend contact avec le magistrat de service. Après avoir ordonné la mise en place d’un périmètre d’exclusion judiciaire, le Labo débarque, suivi par le légiste.

Je connais la procédure, mais j’ai trouvé plus fun de jouer au con et de fumer en assistant au défilé en compagnie de Blondinette.

Je mourais d’envie d’appeler Camille pour lui expliquer ce qui m’arrivait, mais son mari risquait d’être présent.

J’ai fait sa connaissance le 23 octobre 2013, un mercredi. Je m’en souviens comme si c’était hier.

J’avais invité l’équipe chez moi le samedi suivant pour fêter mon anniv. J’avais parié avec eux que je leur préparerais un plat qu’ils n’avaient jamais mangé de leur vie.

J’ai d’abord surfé sur le Web. Le mets le plus pittoresque que j’y ai déniché était le python au lait de coco, mais la viande de serpent coûte un bras et ne se trouve pas chez l’épicier du coin. Deux jours plus tard, alors que je venais d’acheter quelques fringues dans l’Espace Louise, j’ai eu l’idée d’entrer dans une librairie.

Je fouillais dans le rayon cuisine, à genoux dans l’allée, lorsqu’elle s’est approchée.

— Je peux vous aider ?

Je me suis relevé.

La trentaine, grande, brune, une bouche sensuelle, une fossette au menton et des yeux pétillants de malice. Aux antipodes de la libraire maniérée et acariâtre que je m’attendais à trouver.

— J’ai invité quelques amis à manger. Je cherche un livre de recettes originales.

Elle a haussé les sourcils, amusée.

— Dans quel budget ?

— Le prix normal d’un livre. Une vingtaine d’euros ?

— Votre recette.

— Pas trop chère, je suis fauché.

Elle a jeté un coup d’œil aux sacs et boîtes à chaussures éparpillés à mes pieds.

— Je vois.

D’un geste précis, elle a saisi un bouquin sur une étagère et me l’a présenté.

Le titre m’a fait sourire.

Les Recettes inavouables.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Tout ce qu’il faut pour épater vos amis et effrayer votre belle-mère. Des recettes faciles pour réaliser des miracles à partir de sardines en conserve, de légumes sous vide ou de soupes en sachet.

— Vous avez déjà essayé ?

Elle a pris l’air sérieux.

— Bien sûr. Le thon au Boursin, le riz au Coca et le soufflé au Nutella.

J’ai esquissé une moue admirative.

— Je le prends.

Je l’ai suivie à la caisse. J’aimais sa façon de marcher. Elle portait un jeans, un pull à col roulé noir et des boucles d’oreilles fantaisie. Rien d’extraordinaire, une tenue que j’avais vue sur des centaines de filles, mais qui, chez elle, m’attirait de manière troublante.

Au moment de payer, elle m’a demandé si je désirais la carte de fidélité de la maison. J’ai dit « Avec plaisir » et lui ai laissé mes coordonnées.

Elle a incliné la tête, m’a dévisagé de manière curieuse.

— Merci de votre visite. Je suis ravie de vous avoir comme client.

C’était plus qu’une simple formule de politesse.

Je suis sorti de la librairie, déboussolé. Je ne savais quel chemin prendre. J’avais oublié où était garée ma voiture, quel jour on était et ce que j’étais venu faire dans cette galerie commerçante.

Le lundi, j’ai reçu un SMS. Le premier des trois millions que nous avons échangés depuis.

Alors, ce dîner ?

Mon cœur a fait un bond.

J’ai répondu dans la seconde.

Un mort, trois blessés graves.

À 11 heures, le légiste sort de la maison et rejoint le petit groupe qui poireaute devant la Škoda. Il leur souffle quelques mots en aparté.

J’essaie de capter ce qu’il dit en tirant une taffe, le nez pointé vers le sommet des sapins.

S’il a un doute sur les circonstances de la mort, la Crim ne tardera pas à se pointer. Ils prendront le dossier en charge et ordonneront une autopsie. Ensuite, ils commenceront l’enquête de voisinage et l’audition des éventuels suspects. Dont je figure en tête de liste.

Je m’approche.

— J’ai reçu un appel de sa part hier soir.

L’officier semble découvrir ma présence. La cinquantaine, balèze, costard fripé et cravate en tire-bouchon.

Il m’interroge du menton.

— De qui avez-vous reçu un appel hier soir ?

La question me cueille à froid.

— De l’homme qui se trouve dans la maison. Il m’a fixé rendez-vous ici, ce matin.

Il fronce les sourcils.

— Vous prétendez que la personne qui est dans cette maison vous a téléphoné hier soir ?

Je perçois de l’incrédulité dans son ton.

— Oui, je suis journaliste au Soir.

Il me détaille des pieds à la tête, les lèvres pincées. Comme nombre de ses congénères, il n’aime pas les fouille-merde de journaleux qui les empêchent de faire leur boulot.

— Vous venez de Bruxelles ?