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Déduction pertinente, je n’arbore pas le look accrocheur de l’Ardennais moyen.

— Oui, je suis parti tôt ce matin. Il m’a dit qu’il avait des informations à me communiquer.

Il se retourne et appelle Walter White en me montrant du doigt.

— Vous avez les coordonnées de ce monsieur ?

Le flic acquiesce.

Il revient vers moi.

— Nous reprendrons contact avec vous pour votre déposition, si nécessaire.

— C’est tout ?

Il me jette un regard caustique.

— Oui, c’est tout.

— Attendez. Hier soir, au téléphone, cet homme se disait menacé et souhaitait me voir au plus vite. Quelques heures plus tard, je débarque chez lui et je tombe sur son cadavre. Vous ne trouvez pas ça suspect ?

Il secoue la tête, soupire avec lassitude.

— Je ne sais pas de quoi ni de qui vous parlez. L’homme qui est dans cette maison est mort depuis trois ou quatre jours.

5. Une affaire de second plan

— Cet appel téléphonique était une prise de contact venant de l’au-delà. En quoi est-ce surprenant ? Tu n’as pas vu Ghost, le film préféré de ma mère ?

Celui de la mienne aussi, avec L’Avventura.

Elle se met à fredonner les premières mesures de « Unchained Melody ».

Camille se lève du bon pied trois cent soixante-cinq jours par an. Enjouée, de nature optimiste, elle est capable de dédramatiser les situations les plus tendues par un trait d’humour.

J’acquiesce.

— Après tout, c’est possible.

Ayant déjà côtoyé la mort, je ne rejette pas l’idée.

Son rire résonne dans le téléphone.

— Bien sûr. Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ?

Je tente une ouverture.

— Peut-être n’était-ce pas le cadavre qui m’a appelé ?

Elle se marre de plus belle.

— Bien joué, Callaghan, bonne déduction. À moins que les flics ne se trompent sur la date de la mort.

— Peu de chance, le légiste est venu.

— Et après ? Tu es sûr qu’ils t’ont dit la vérité ? Tu es peut-être un témoin embarrassant ? Moins ils en disent, mieux c’est.

— En tout cas, ils m’ont prié de me barrer. Je suppose qu’ils ont fait venir la Crim. Pour mon premier reportage en live, je suis servi. Je me demande qui est ce type et ce qu’ils ont trouvé chez lui.

— Qu’est-ce que tu comptes faire ?

— Fourrer mon nez du côté de la maison Poulaga. C’est l’occasion de montrer que je peux faire mieux que recopier des dépêches. De ton côté, quoi de neuf ?

— Néron a tué Madonna.

Camille est sans doute la seule habitante d’Uccle à posséder un coq et des poules. En plus, dans l’un des quartiers les plus friqués de la commune.

Racontées avec sa verve, les tribulations de Néron et de son harem ont autant de saveur qu’un roman de John Irving. Je connais mieux la vie de sa basse-cour que celle de son mari. Elle ne me parle jamais de lui et il ne me viendrait pas à l’idée de lui poser la moindre question. Je sais qu’il bosse dans une grande banque, qu’il est brillant, carriériste, stressé et qu’il s’appelle Bernard, ou Bertrand, je m’en fous. Hormis ces maigres éléments, le seul sujet qui m’intéresse est le planning de ses déplacements à l’étranger.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

Elle adopte un ton dramatique.

— Je ne sais pas ce qui lui a pris. Il a grimpé sur elle comme d’habitude, sauf que, cette fois, il lui a picoré le crâne. S’il me refait le coup, il termine en court-bouillon.

— Les autres poulettes ne se sont pas rebellées contre la dictature ?

— Que dalle. Elles ont fait les belles autour de lui. Je te parie que ces connes ont développé le syndrome de Stockholm.

La légèreté de nos échanges ne laisse pas transparaître la passion qui nous dévore. Nous ne sommes jamais tombés dans le piège des « mon biquet », « ma louloute » ou autres surnoms débiles. Pas plus que nous ne sommes adeptes des envolées lyriques ou des « je t’aime » à répétition. Notre complicité vaut tous les mots d’amour, nos fous rires, les déclarations les plus enflammées.

Elle reprend.

— J’arrive à la librairie. Aurore boréale mercredi soir.

En langage intelligible, elle sera seule la nuit de mercredi à jeudi. Au fil du temps, nous avons créé notre jargon. Nos textos sont truffés de signes cabalistiques qui déstabiliseraient les meilleurs cryptanalystes de la NSA.

— Pas de bol, mercredi, il y a foot.

À part un show case privé des Rival Sons ou de Black Country Communion — et encore —, je ne raterais pour rien au monde une nuit avec elle.

Elle prend un ton détaché.

— Je comprends. Le foot, c’est sacré. Une autre fois, peut-être. Bye.

Dans la foulée, je pioche une clope et appelle Salvatore, le spécialiste high-tech du journal, l’homme le plus mal sapé de la rédaction. Ses jeans ne cachent rien de sa raie des fesses. Il n’est pas rare de le voir une semaine entière avec le même tee-shirt publicitaire à la gloire d’une marque de whisky.

— Salut, Salvo, j’ai besoin de toi.

— Je t’écoute.

— Tu as de bons contacts avec les opérateurs télécom ?

— J’ai des bons contacts avec tout le monde.

— Si je te file un numéro de portable, tu peux me dire qui est l’utilisateur et le géolocaliser ?

— Un jeu d’enfant. Envoie-moi ça par mail.

J’ai peur de lui faire perdre son temps. Il s’agit probablement d’une carte prépayée. Quant à la localisation, elle ne me servira pas à grand-chose.

— Et la liste des appels donnés et reçus, c’est possible ?

Il ricane.

— Pour ça, il me faudrait une demande officielle du procureur du roi ou d’un juge d’instruction. Sauf si je parviens à craquer la facture en ligne, mais c’est illégal.

— Bien sûr. En attendant, je t’envoie le numéro.

Je débarque à la rédaction une heure plus tard et fais irruption dans le bureau du rédac-chef.

— Bonjour, Christophe, tu as deux minutes ?

Il quitte son écran et m’indique une chaise d’un geste nerveux.

— J’ai vu ton mail, assieds-toi, raconte.

Mes péripéties ne semblent pas l’estomaquer. Il en a vu d’autres.

Il met rapidement fin à l’entretien.

— Creuse un peu, mais ne passe pas trop de temps là-dessus, ça m’a l’air d’être une affaire de second plan.

Je rejoins mon poste et salue les forces en présence, Éloïse, Sarah, Marie, Thomas, Loïc, Alfredo.

Hormis la Bomba qui me gratifie d’un clin d’œil, les autres se contentent d’un vague signe de la main.

Je m’assieds et appelle le porte-parole de la police fédérale.

— Bonjour, monsieur Saussey.

Il reconnaît ma voix.

— Bonjour, monsieur Peeters. Que puis-je pour vous ?

— Appelez-moi Fred, pour commencer.

Je ne l’ai jamais rencontré, mais je l’imagine sexagénaire, chauve, vieux garçon, un peu coincé. Il pèse chaque mot et ne donne jamais son avis. En revanche, il joue le jeu et a toujours collaboré avec nous.

— J’aimerais recevoir des informations concernant la découverte d’une personne décédée à Grand-Hez. La police de Bouillon s’est rendue sur les lieux ce matin.

Un silence.