– Le métro? qu'elle fit.
Elle fronça les sourcils.
– L'aérien, bien sûr, dit Gabriel benoîtement. Avant que Zazie ait eu le temps de râler, il s'esclama de nouveau:
– Et ça! là-bas!! regarde!!! le Panthéon!!!!
– C'est pas le Panthéon, dit Charles, c'est les Invalides.
– Vous allez pas recommencer, dit Zazie.
– Non mais, cria Gabriel, c'est peut-être pas le Panthéon?
– Non, c'est les Invalides, répondit Charles. Gabriel se tourna vers lui et le regarda dans la cornée des œils:
– T'en es sûr, qu'il lui demande, t'en es tellement sûr que ça?
Charles ne répondit pas.
– De quoi que t'es absolument sûr? qu'il insista Gabriel.
– J'ai trouvé, hurle alors Charles, ce truc-là, c'est pas les Invalides, c'est le Sacré-Cœur.
– Et toi, dit Gabriel jovialement, tu ne serais pas par hasard le sacré con?
– Les petits farceurs de votre âge, dit Zazie, ils me font de la peine.
Ils regardèrent alors en silence l'orama, puis Zazie examina ce qui se passait à quelque trois cents mètres plus bas en suivant le fil à plomb.
– C'est pas si haut que ça, remarqua Zazie.
– Tout de même, dit Charles, c'est à peine si on distingue les gens.
– Oui, dit Gabriel en reniflant, on les voit peu, mais on les sent tout de même.
– Moins que dans le métro, dit Charles.
– Tu le prends jamais, dit Gabriel. Moi non plus, d'ailleurs.
Désireuse d'éviter ce sujet pénible, Zazie dit à son oncle:
– Tu regardes pas. Penche-toi donc, c'est quand même marant.
Gabriel fit une tentative pour jeter un coup d'œil sur les profondeurs.
– Merde, qu'il dit en se reculant, ça me fout le vertige.
Il s'épongea le front et embauma.
– Moi, qu'il ajoute, je redescends. Si vous en avez pas assez, je vous attends au rez-de-chaussée.
Il est parti avant que Zazie et Charles aient pu le retenir.
– Ça faisait bien vingt ans que j'y étais pas monté, dit Charles. J'en y ai pourtant conduit des gens.
Zazie s'en fout.
– Vous riez pas souvent, qu'elle lui dit. Quel âge que vous avez?
– Quel âge que tu me donnes?
– Bin, vzêtes pas jeune: trente ans.
– Et quinze de mieux.
– Bin alors vzavez pas l'air trop vieux. Et tonton Gabriel?
– Trente-deux.
– Bin, lui, il paraît plus.
– Lui dis pas surtout, ça le ferait pleurer.
– Pourquoi ça? Parce qu'il pratique l'hormosessualité?
– Où t'as été chercher ça?
– C'est le type qui lui disait ça à tonton Gabriel, le type qui m'a ramenée. Il disait comme ça, le type, qu'on pouvait aller en tôle pour ça, pour l'hormosessualité. Qu'est-ce que c'est?
– C'est pas vrai.
– Si, c'est vrai qu'il a dit ça, répliqua Zazie indignée qu'on puisse mettre en doute une seule de ses paroles.
– C'est pas ça ce que je veux dire. Je veux dire que, pour Gabriel, c'est pas vrai ce que disait le type.
– Qu'il soit hormosessuel? Mais qu'esfc-ce que ça veut dire? Qu'il se mette du parfum?
– Voilà. T'as compris.
– Y a pas de quoi aller en prison.
– Bien sûr que non.
Ils rêvèrent un instant en silence en regardant le Sacré-Cœur.
– Et vous? demanda Zazie. Vous l'êtes, hormosessuel?
– Est-ce que j'ai l'air d'une pédale?
– Non, pisque vzêtes chauffeur.
– Alors tu vois.
– Je vois rien du tout.
– Je vais quand même pas te faire un dessin.
– Vous dessinez bien?
Charles se tournant d'un autre côté s'absorba dans la contemplation des flèches de Sainte-Clotilde, œuvre de Gau et Ballu, puis proposa:
– Si on redescendait?
– Dites-moi, demanda Zazie sans bouger, pourquoi que vous êtes pas marié?
– C'est la vie.
– Pourquoi que vous vous mariez pas?
– J'ai trouvé personne qui me plaise.
Zazie siffla d'admiration.
– Vzêtes rien snob, qu'elle dit.
– C'est comme ça. Mais dis-moi, toi quandtu seras grande, tu crois qu'il y aura tellement d'hommes que tu voudrais épouser?
– Minute, dit Zazie, de quoi qu'on cause? D'hommes ou de femmes?
– S'agit de femmes pour moi, et d'hommes pour toi.
– C'est pas comparable, dit Zazie.
– T'as pas tort.
– Vzêtes marant vous, dit Zazie. Vous savez jamais trop ce que vous pensez. Ça doit être épuisant. C'est pour ça que vous prenez si souvent l'air sérieux?
Charles daigne sourire.
– Et moi, dit Zazie, je vous plairais?
– T'es qu'une môme.
– Ya des filles qui se marient à quinze ans, à quatorze même. Y a des hommes qu'aiment ça.
– Alors? moi? je te plairais?
– Bien sûr que non, répondit Zazie avec simplicité.
Après avoir dégusté cette vérité première, Charles reprit la parole en ces termes:
– Tu as de drôles d'idées, tu sais, pour ton âge.
– Ça c'est vrai, je me demande même où je vais les chercher.
– C'est pas moi qui pourrais te le dire.
– Pourquoi qu'on dit des choses et pas d'autres?
– Si on disait pas ce qu'on a à dire, on se ferait pas comprendre.
– Et vous, vous dites toujours ce que vous avez à dire pour vous faire comprendre?
– (geste).
– On est tout de même pas forcé de dire tout ce qu'on dit, on pourrait dire autre chose.
– (geste).
– Mais répondez-moi donc!
– Tu me fatigues les méninges. C'est pas des questions tout ça.
– Si, c'est des questions. Seulement c'est des questions auxquelles vous savez pas répondre.
– Je crois que je ne suis pas encore prêt à me marier, dit Charles pensivement.
– Oh! vous savez, dit Zazie, toutes les femmes posent pas des questions comme moi.
– Toutes les femmes, voyez-vous ça, toutes les femmes. Mais tu n'es qu'une mouflette.
– Oh! pardon, je suis formée.
– Ça va. Pas d'indécences.
– Ça n'a rien d'indécent. C'est la vie.
– Elle est propre, la vie.
Il se tirait sur la moustache en biglant, morose, de nouveau le Sacré-Cœur.
– La vie, dit Zazie, vous devez la connaître. Paraît que dans votre métier on en voit de drôles.
– Où t'as été chercher ça?
– Je l'ai lu dans le Sanctimontronais du dimanche, un canard à la page même pour la province où ya des amours célèbres, l'astrologie et tout, eh bien, on disait que les chauffeurs de taxi izan voyaient sous tous les aspects et dans tous les genres, de la sessualité. A commencer par les clientes qui veulent payer en nature. Ça vous est arrivé souvent?
– Oh! ça va ça va.
– C'est tout ce que vous savez dire: «Ça va ça va». Vous devez être un refoulé.
– Ce qu'elle est emmerdante.
– Allez, râlez pas, racontez-moi plutôt vos complexes.
– Qu'est-ce qu'il faut pas entendre.
– Les femmes ça vous fait peur, hein?
– Moi je redescends. Parce que j'ai le vertige. Pas devant ça (geste). Mais devant une mouflette comme toi.
Il s'éloigne et quelque temps plus tard le revoilà à quelques mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. Gabriel, l'œil peu vif, attendait, les mains posées sur ses genoux largement écartés. En apercevant Charles sans la nièce, il bondit et sa face prend la teinte vert-anxieux.
– T'as tout de même pas fait ça, qu'il s'écrie.
– Tu l'aurais entendue tomber, répond Charles qui s'assoit accablé.
– Ça, ça serait rien. Mais la laisser seule.
– Tu la cueilleras à la sortie. Elle s'envolera pas.
– Oui, mais d'ici qu'elle soit là, qu'est-ce qu'elle peut encore me causer comme emmerdements. (soupir) Si j'avais su.
Charles réagit pas.
Gabriel regarde alors la tour, attentivement, longuement, puis commente: