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– Je me demande pourquoi on représente la ville de Paris comme une femme. Avec un truc comme ça. Avant que ça soit construit, peut-être. Mais maintenant. C'est comme les femmes qui deviennent des hommes à force de faire du sport. On lit ça dans les journaux.

– (silence).

– Eh bien, t'es devenu muet. Qu'est-ce que t'en penses?

Charles pousse alors un long hennissement douloureux et se prend la tête à deux mains en gémissant:

– Lui aussi, qu'il dit en gémissant, lui aussi… toujours la même chose… toujours la sessualité… toujours question de ça… toujours… tout le temps… dégoûtation… putréfaction… Ils pensent qu'à ça…

Gabriel lui tape sur l'épaule avec bénévolence.

– Ça n'a pas l'air d'aller, qu'il dit comme ça. Qu'est-ce qu'est arrivé?

– C'est ta nièce… ta putain, de nièce…

– Ah! attention, s'écrie Gabriel en retirant sa main pour la lever au ciel, ma nièce c'est ma nièce. Modère ton langage ou tu vas en apprendre long sur ta grand-mère.

Charles fait un geste de désespoir, puis se lève brusquement.

– Tiens, qu'il dit, je me tire. Je préfère pas revoir cette gamine. Adieu.

Et il s'élance vers son bahut.

Gabriel lui court après:

– Comment qu'on fera pour rentrer?

– Tu prendras le métro.

– Il en a de bonnes, grogna Gabriel en arrêtant sa poursuite.

Le tac s'éloignait.

Debout, Gabriel médita, puis prononça ces mots:

– L'être ou le néant, voilà le problème. Monter, descendre, aller, venir, tant fait l'homme qu'à la fin il disparaît. Un taxi l'emmène, un métro l'emporte, la tour n'y prend garde, ni le Panthéon. Paris n'est qu'un songe, Gabriel n'est qu'un rêve (charmant), Zazie le songe d'un rêve (ou d'un cauchemar) et toute cette histoire le songe d'un songe, le rêve d'un rêvé, à peine plus qu'un délire tapé à la machine par un romancier idiot (oh! pardon). Là-bas, plus loin – un peu plus loin – que la place de la République, les tombes s'entassent de Parisiens qui furent, qui montèrent et descendirent des escaliers, allèrent et vinrent dans les rues et qui tant firent qu'à la fin ils disparurent. Un forceps les amena, un corbillard les remporte et la tour se rouille et le Panthéon se fendille plus vite que les os des morts trop présents ne se dissolvent dans l'humus de la ville tout imprégné de soucis. Mais moi je suis vivant et là s'arrête mon savoir car du taximane enfui dans son bahut locataire ou de ma nièce suspendue à trois cents mètres dans l'atmosphère ou de mon épouse la douce Marceline demeurée au foyer, je ne sais en ce moment précis et ici-même je ne sais que ceci, alexandrinairement: les voilà presque morts puisqu'ils sont des absents. Mais que vois-je par-dessus les citrons empoilés des bonnes gens qui m'entourent?

Des voyageurs faisaient le cercle autour de lui l'ayant pris pour un guide complémentaire. Ils tournèrent la tête dans la direction de son regard.

– Et que voyez-vous? demanda l'un d'eux particulièrement versé dans la langue française.

– Oui, approuva un autre, qu'y a-t-il à voir?

– En effet, ajoute un troisième, que devons-nous voir?

– Kouavouar? demanda un quatrième, kouavouar? kouavouar? kouavouar?

– Kouavouar? répondit Gabriel, mais (grand geste) Zazie, Zazie ma nièce, qui sort de la pile et s'en vient vers nous.

Les caméras crépitent, puis on laisse passer l'enfant. Qui ricane.

– Alors, tonton? on fait recette?

– Comme tu vois, répondit Gabriel avec satisfaction.

Zazie haussa les épaules et regarda le public. Elle n'y vit point Charles et le fit remarquer.

– Il s'est tiré, dit Gabriel.

– Pourquoi?

– Pour rien.

– Pour rien, c'est pas une réponse.

– Oh bin, il est parti comme ça.

– Il avait une raison.

– Tu sais, Charles, (geste)

– Tu veux pas me le dire?

– Tu le sais aussi bien que moi.

Un voyageur intervint:

– Maie bonas horas collocamua si non dicis isti puellae thé reason why this man Charles went away.

– Mon petit vieux, lui répondit Gabriel, mêle-toi de tes cipolles. She knows why and she bothers me quite a lot.

– Oh! mais, s'écria Zazie, voilà maintenant que tu sais parler les langues forestières.

– Je ne l'ai pas fait esprès, répondit Gabriel en baissant modestement les yeux.

– Most interesting, dit un des voyageurs.

Zazie revint à son point de départ.

– Tout ça ne me dit pas pourquoi charlamilébou.

Gabriel s'énerva.

– Parce que tu lui disais des trucs qu'il comprenait pas. Des trucs pas de son âge.

– Et toi, tonton Gabriel, si je te disais des trucs que tu comprendrais pas, des trucs pas de ton âge, qu'est-ce que tu ferais?

– Essaie, dit Gabriel d'un ton craintif.

– Par egzemple, continua Zazie impitoyable, si je te demandais t'es un hormosessuel ou pas? est-ce que tu comprendrais? Ça serait-i de ton âge?

– Most interesting, dit un voyageur (le même que tout à l'heure).

– Pauvre Charles, soupira Gabriel.

– Tu réponds, oui ou merde, cria Zazie. Tu comprends ce mot-là: hormosessuel?

– Bien sûr, hurla Gabriel, veux-tu que je te fasse un dessin?

La foule intéressée approuva. Quelques-uns applaudirent.

– T'es pas chiche, répliqua Zazie.

C'est alors que Fédor Balanovitch fit son apparition.

– Allons grouillons! qu'ilse mit à gueuler. Schnell! Schnell! remontons dans le car et que ça saute.

– Where are we going now?

– A la Sainte-Chapelle, répondit Fédor Balanovitch. Un joyau de l'art gothique. Allons grouillons! Schnell! Schnell!

Mais les gens grouillaient pas, fortement intéressés par Gabriel et sa nièce.

– Là, disait celle-ci à celui-là qui n'avait rien dessiné, tu vois que t'es pas chiche.

– Ce qu'elle peut être tannante, disait celui-là.

Fédor Balanovitch, remonté de confiance à son bord, s'aperçut qu'il n'avait été suivi que par trois ou quatre minus.

– Alors quoi, beugla-t-il, y a pus de discipline? Qu'est-ce qu'ils foutent, bon dieu!

Il donna quelques coups de claqueson. Ça ne fit bouger personne. Seul, un flic, préposé aux voies du silence, le regarda d'un œil noir. Comme Fédor Balanovitch ne souhaitait pas engager un conflit vocal avec un personnage de cette espèce, il redescendit de sa guérite et se dirigea vers le groupe de ses administrés afin de se rendre compte de ce qui pouvait les entraîner à l'insubordination.

– Mais c'est Gabriella, s'esclama-t-il. Qu'est-ce que tu fous là?

– Chtt chtt, fit Gabriel cependant que le cercle de ses admirateurs s'enthousiasmait naïvement au spectacle de cette rencontre.

– Non mais, continuait Fédor Balanovitch, tu ne vas tout de même pas leur faire le coup de La Mort du cygne en tutu?

– Chht chht, fit de nouveau Gabriel très à court de discours.

– Et qu'est-ce que c'est que cette môme que tu trimbales avec toi? où que tu l’as ramassée?

– C'est ma nièce et tâche a voir de respecter ma famille même mineure.

– Et lui, qui c'est? demanda Zazie.

– Un copain, dit Gabriel. Fédor Balanovitch.

– Tu vois, dit Fêdor Balanovitch à Gabriel, je ne fais plus le bâille-naïte, je me suis élevé dans la hiérarchie sociale et j'emmène tous ces cons à la Sainte-Chapelle.

– Tu pourrais peut-être nous rentrer à la maison. Avec cette grève des transtrucs en commachin, on peut plus rien faire de ce qu'on veut. Y a pas un tac à l'horizon.

– On va pas déjà rentrer, dit Zazie.

– De toute façon, dit Fédor Balanovitch, faut qu'on passe d'abord la Sainte-Chapelle avant que ça ferme. Ensuite, ajouta-t-il à l'intention de Gabriel, c'est possible que je te rentre chez toi.

– Et c'est intéressant, la Sainte-Chapelle? demanda Gabriel.