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– Vous ne voudriez tout de même pas qu'on prenne un taxi et que je le paye, moi.

– Elle a raison, dit Zazie qui était près de ses sous. Elle est moins conne que je ne croyais.

– Je vous remercie, dit la dame enchantée.

– Y a pas de quoi, répliqua Zazie.

– Tout de même c'est gentil, insista la dame.

– Ça va ça va, dit Zazie modestement.

– Quand vous aurez fini tous vos salamalecs, dit le flicard.

– On ne vous demande rien, dit la dame.

– Ça c'est bien les femmes, s'esclama le sergent de ville. Comment ça, vous ne me demandez rien? Vous me demandez tout simplement de me foutre un point de côté, oui. Si c'est pas rien, ça, alors je comprends plus rien à rien.

Il ajouta d'un air nostalgique:

– Les mots n'ont plus le même sens qu'autrefois.

Et il soupirait en regardant l'extrémité de ses tatanes.

– Tout ça ne me rend pas mon tonton, dit Zazie. On va encore dire que j'ai voulu faire une fugue et ce sera pas vrai.

– Ne vous inquiétez pas, mon enfant, dit la veuve. Je serai là pour témoigner de votre bonne volonté et de votre innocence.

– Quand on l'est vraiment, innocent, dit le sergent de ville, on a besoin de personne.

– Le salaud, dit Zazie, je le vois venir avec ses gros yéyés. I sont tous pareils.

– Vous les connaissez donc tant que ça, ma pauvre enfant?

– M'en parlez pas, ma pauvre dame, répond Zazie en minaudant. Figurez-vous que maman elle a fendu le crâne à mon papa à la hache. Alors des flics après ça, vous parlez si j'en ai vu, ma chère.

– Ça alors, dit le sergent de ville.

– C'est encore rien les flics, dit Zazie. Mais c'est les juges. Alors ceux-là…

– Tous des vaches, dit le sergent de ville avec impartialité.

– Eh bien, les flics comme les juges, dit Zazie, je les eus. Comme ça (geste).

La veuve la regardait émerveillée.

– Et moi, dit le sergent de ville, comment vas-tu t'y prendre pour m'avoir?

Zazie l'examina.

– Vous, qu'elle dit, j'ai déjà vu votre tête quelque part.

– Ça m'étonnerait, dit le flicmane.

– Et pourquoi ça? Pourquoi que je vous aurais pas déjà vu quelque part?

– En effet, dit la veuve. Elle a raison, cette petite.

– Je vous remercie, madame, dit Zazie.

– Il n'y a pas de quoi.

– Mais si mais si.

– Elles se foutent de moi, murmura le sergent de ville.

– Alors? dit la veuve. C'est tout ce que vous savez faire? Mais remuez-vous donc un peu.

– Moi, dit Zazie, je sais sûre de l'avoir vu quelque part.

Mais la veuve avait brusquement reporté son admiration sur le flic.

– Montrez-nous vos talents, qu'elle lui dit en accompagnant ces mots d'une œillade aphrodisiaque et vulcanisante. Un bel agent de police comme vous, ça doit en connaître des trucs. Dans les limites de la légalité, bien sûr.

– C'est un veau, dit Zazie.

– Mais non, dit la dame. Faut l'encourager. Faut être compréhensive.

Et de nouveau elle le regarda d'un œil humide et thermogène.

– Attendez, dit le flicmane soudain mis en mouvement, vzallez voir ce que vzallez voir. Vzallez voir ce dont est capable Trouscaillon.

– Il s'appelle Trouscaillon! s'écria Zazie enthousiasmée.

– Eh bien moi, dit la veuve en rougissant un tantinet, je m'appelle madame Mouaque. Comme tout le monde, qu'elle ajouta.

X

A cause de la grève des funiculaires et des métrolleybus, il roulait dans les rues une quantité accrue de véhicules divers, cependant que, le long des trottoirs, des piétons ou des piétonnes fatigués ou impatients faisaient de l'auto-stop, fondant le principe de leur réussite sur la solidarité inusuelle que devaient provoquer chez les possédants les difficultés de la situation.

Trouscaillon se plaça lui aussi sur le bord de la chaussée et sortant un sifflet de sa poche, il en tira quelques sons déchirants.

Les voitures qui passaient poursuivirent leur chemin. Des cyclistes poussèrent des cris joyeux et s'en allèrent, insouciants, vers leur destin. Les deux roues motorisées accrurent la décibélité de leur vacarme et ne s'arrêtèrent point. D'ailleurs ce n'était pas à eux que Trouscaillon s'adressait.

Il y eut un blanc. Un encombrement radical devait sans doute geler quelque part toute circulation. Puis une conduite intérieure, isolée mais bien banale, fit son apparition. Trouscaillon roucoula. Cette fois, le véhicule freina.

– Qu'est-ce qu'il y a? demanda le chauffeur agressivement à Trouscaillon qui s'approchait. J'ai rien fait de mal. Je connais le code de la route, moi. Jamais de contredanses. Et j'ai mes papiers. Alors quoi? Vous feriez mieux d'aller faire marcher le métro que de venir emmerder les bons citoyens. Vous êtes pas content avec ça? Bin, qu'est-ce qu'il vous faut! Il s'en va.

– Bravo Trouscaillon, crie de loin Zazie en prenant un air très sérieux.

– Faut pas l'humilier comme ça, dit la veuve Mouaque, ça va lui enlever ses moyens.

– Je l'avais bien deviné que c'était un veau.

– Vous ne trouvez pas qu'il est beau garçon?

– Tout à l'heure, dit Zazie sévèrement, c'est mon oncle que vous trouviez à vott goût. Il vous les faut tous?

Une roulade de sons aigus attira de nouveau leur attention sur les exploits de Trouscaillon. Ils étaient minimes. L'encombrement avait dû se débouchonner quelque part, une dégoulinade de véhicules s'écoulait lentement devant le flicmane, mais son petit sifflet ne semblait impressionner qui que ce soit. Puis de nouveau, le flot se raréfia, une coagulation ayant dû de nouveau se produire au lieu X.

Une conduite intérieure bien banale fit son apparition. Trouscaillon roucoula. Le véhicule s'arrêta.

– Qu'est-ce qu'il y a? demanda le conducteur agressivement à Trouscaillon qui s'approchait. J'ai rien fait de mal. J'ai mon permis de conduire, moi. Jamais de contredanses. Et j'ai mes papiers. Alors quoi? Vous feriez mieux d'aller faire marcher le métro que de venir emmerder les bons citoyens.

Vous êtes pas content avec ça? Eh bien, allez vous faire voir par les Marocains.

– Oh! fit Trouscaillon choqué.

Mais le type est parti.

– Bravo Trouscaillon, crie Zazie au comble de l'enthousiasme dedans lequel elle nage avec ravissement.

– Il me plaît de plus en plus, dit la veuve Mouaque à mi-voix.

– Elle est complètement dingue, dit Zazie de même.

Trouscaillon, emmerdé, se mettait à douter de la vertu de l'uniforme et de son sifflet. Il était en train de secouer le dit objet pour l'assécher de toute la salive qu'il y avait déversée, lorsqu'une conduite intérieure bien banale vint d'elle-même se ranger devant lui. Une tête dépassa de la carrosserie et prononça les mots d'espoir suivants:

– Pardon, meussieu l'agent, vous ne pourriez pas m'indiquer le chemin le plus court pour me rendre à la Sainte-Chapelle, ce joyau de l'art gothique?

– Eh bien, répondit automatiquement Trouscaillon, voilà. Faut d'abord prendre à gauche, et puis ensuite à droite, et puis lorsque vous serez arrivé sur une place aux dimensions réduites, vous vous engagez dans la troisième rue à droite, ensuite dans la deuxième à gauche, encore un peu à droite, trois fois sur la gauche, et enfin droit devant vous pendant cinquante-cinq mètres. Naturellement, dans tout ça, y aura des sens interdits, ce qui vous simplifiera pas le boulot.

– Je vais jamais y arriver, dit le conducteur. Moi qui suis venu de Saint-Mohtron exeuprès pour ça.

– Faut pas vous décourager, dit Trouscaillon. Une supposition que je vous y conduise?

– Vous devez avoir autre chose à faire.

– Croyez pas ça. Je suis libre comme l’r. Seulement, si c'était un effet de votre bonté de véhiculer aussi ces deux personnes (geste).

– Moi je m'en fous. Pourvu que j'arrive avant l'heure où c'est que ça se ferme.