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Fédor Balanovitch ne porte aucune attention aux propos de la mouflette.

– Alors, comme ça, qu'il demande à Gabriel, tu crois qu'on pourrait leur imposer une surcharge?

– Puisque je te dis que je les ai en mains. Faut en profiter. Tiens, par egzemple, où tu les emmènes dîner?

– Ah! c'est qu'on les soigne. Ils ont droit au Buisson d'Argent. Mais c'est payé directement par l'agence.

– Regarde. Moi, je connais une brasserie boulevard Turbigo où ça coûtera infiniment moins cher. Toi, tu vas voir le patron de ton restau de luxe et tu te fais rembourser quelque chose sur ce qu'il touchera de l'agence, c'est tout profit pour tout le monde et, par-dessus le marché là où je te les emmènerai, qu'est-ce qu'ils se régaleront pas. Naturellement on paiera ça avec le supplément qu'on va leur demander pour le Mont-de-piété. Quant à la ristourne de l'autre restau, on se la partage.

– Vzêtes des ptits rusés tous les deux, dit Zazie.

– Ça alors, dit Gabriel, c'est de la pure méchanceté. Moi tout ce que je fais, c'est pour leur (geste) plaisir.

– On pense qu'à ça, dit Fédor Baianovitch. Qu'à ce qu'ils s'en aillent avec un souvenir inoubliable de st'urbe inclite qu'on vocite Parouart. Afin qu'ils y reviennent.

– Eh bien tout est pour le mieux, dit Gabriel. En attendant le dîner, ils espérimenteront le sous-sol de la brasserie: quinze billards, vingt pimpons. Unique à Paris.

– Ça sera un souvenir pour eux, dit Fédor Balanovitch.

– Pour moi zossi, dit Zazie. Car pendant ce temps-là j'irai me promener.

– Pas sur le Sébasto surtout, dit Gabriel affolé.

– T'en fais pas, dit Fédor Balanovitch, elle doit avoir de la défense.

– N'empêche que sa mère me l'a pas confiée pour qu'elle traîne entre les Halles et le Château d'Eau.

– Je ferai juste les cent pas devant ta brasserie, dit Zazie conciliante.

– Raison de plus pour qu'on croie que tu fais le tapin, s'esclama Gabriel épouvanté. Surtout avec tes bloudjinnzes. Y a des amateurs.

– Y a des amateurs de tout, dit Fédor Balanovitch en homme qui connaît la vie.

– C'est pas gentil pour moi, ça, dit Zazie en se tortillant.

– Si maintenant elle se met à te faire du charme, dit Gabriel, on aura tout vu.

– Pourquoi? demanda Zazie. C'est un hormo?

– Tu veux dire un normal, rectifia Fédor Balanovitch. Suprême, celle-là, n'est-ce pas tonton?

Et il tapa sur la cuisse de Gabriel qui se trémoussa. Les voyageurs les regardaient avec curiosité.

– Ils doivent commencer à s'emmerder, dit Fédor Balanovitch. Il serait temps que tu les emmènes à tes billards pour les distraire un chouïa. Pauvres innocents qui croient que c'est ça, Paris.

– Tu oublies que je leur ai montré la Sainte-Chapelle, dit Gabriel fièrement.

– Nigaud, dit Fédor Baîanovitch qui connaissait à fond la langue française étant natif de Bois-Colombes. C'est le Tribunal de commerce que tu leur as fait visiter.

– Tu me fais, marcher, dit Gabriel incrédule. T'en es sûr?

– Heureusement que Charles est pas là, dit Zazie. Ça se compliquerait.

– Si c'était pas la Sainte-Chose, dit Gabriel, en tout cas, c'était bien beau.

– Sainte-Chose??? Sainte-Chose??? demandèrent, inquiets, les plus francophones d'entre les voyageurs.

– La Sainte-Chapelle, dit Fédor Balanovitch. Un joyau de l'art gothique.

– Comme ça (geste), ajouta Gabriel.

Rassurés, les voyageurs sourirent.

– Alors? dit Gabriel. Tu leur espliques?

Fédor Balanovitch cicérona la chose en plusieurs idiomes.

– Eh bien, dit Zazie d'un air connaisseur, il est fortiche le Slave.

D'autant plus que les voyageurs manifestaient leur accord en sortant leur monnaie avec enthousiasme, témoignant ainsi et du prestige de Gabriel et de l'amplitude des connaissances linguistiques de Fédor Balanovitch.

– C'est justement ça, ma deuxième question dit Zazie. Quand je t'ai retrouvé aux pieds de la tour Eiffel, tu parlais l'étranger aussi bien que lui. Qu'est-ce qui t'avait pris? Et pourquoi que tu recommences plus?

– Ça, dit Gabriel, je peux pas t'espliquer. C'est des choses qu'arrivent on sait pas comment. Le coup de génie, quoi.

Il finit son verre de grenadine.

– Qu'est-ce que tu veux, les artisses, c'est comme ça.

XII

Trouscaillon et la veuve Mouaque avaient déjà fait un bout de chemin lentement côte à côte mais droit devant eux et de plus en silence, lorsqu'ils s'aperçurent qu'ils marchaient côte à côte lentement mais droit devant eux et de plus en silence. Alors ils se regardèrent et sourirent: leurs deux cœurs avaient parlé. Ils restèrent face à face en se demandant qu'est-ce qu'ils pourraient bien se dire et en quel langage l'esprimer. Alors la veuve proposa de commémorer sur-le-champ cette rencontre en asséchant un glasse et de pénétrer à cette fin dans la salle de café du Vélocipède boulevard Sébastopol, où quelques halliers déjà s'humectaient le tube ingestif avant de charrier leurs légumes. Une table de marbre leur offrirait sa banquette de velours et ils tremperaient leurs lèvres dans leurs demi'toyens en attendant que la serveuse à la chair livide s'éloigne pour laisser enfin les mots d'amour éclore à travers le bulbulement de leurs bières. A l'heure où se boivent les jus de fruits aux couleurs fortes et les liqueurs fortes aux couleurs pâles, ils resteraient posés sur la susdite banquette de velours échangeant, dans le trouble de leurs mains enlacées, des vocables prolifiques en comportements sexués dans un avenir peu lointain. Mais halte-là, lui répondit Trouscaillon, je ne puis illico, bellicose l'uniforme; laissez-moi le temps de changer de frusques. Et il lui fila un rancart pour l'apéritif à la brasserie du Sphéroïde, plus haut à droite. Car il habitait rue Rambuteau.

La veuve Mouaque, revenue à la solitude, soupira. Je fais des folies, dit-elle à mi-voix pour elle-même. Mais ces quelques mots ne churent point platement et ignorés sur le trottoir; ils tombèrent dans les étiquettes d'une qu'était rien moins que sourde. Destinés à l'usage interne, ces quatre mots provoquèrent néanmoins la réponse que voici: qu'est-ce qui n'en fait pas. Avec un point d'interrogation, car la réponse était percontative.

– Tiens te voilà toi, dit la veuve Mouaque.

– Je vous regardais tout à l'heure, vous étiez marants tous les deux le flicmane et vous.

– A tes yeux, dit la veuve Mouaque.

– «A mes yeux?» Quoi, «à mes yeux»?

– Marants, dit la veuve Mouaque. A d'autres yeux, pas marants.

– Les pas marants, dit Zazie, je les emmerde.

– Tu es toute seule?

– Ouida, ma chère, je mpromène.

– Ce n'est pas une heure ni un quartier pour laisser une fillette se promener seule. Qu'est-ce qu'il est devenu ton oncle?

– Il trimbale les voyageurs. Il les a emmenés jouer au billard. En attendant, je prends l'air. Parce que moi, le billard, ça m'emmerde. Mais je dois les retrouver pour la bouffe. Après on ira le voir danser.

– Danser? Qui?

– Mon tonton.

– Il danse, cet éléphant?

– Et en tutu encore, répliqua Zazie fièrement.

La veuve Mouaque en reste coite.

Elles étaient arrivées à la hauteur d'une épicerie en gros et au détail; de l'autre côté du boulevard à sens unique, une pharmacie non moins grossiste et non moins détaillante, déversait ses feux verts sur une foule avide de camomille et de pâté de campagne, de berlingots et de semen-contra, de gruyère et de ventouses, une foule que le voisinage aspirant des gares commençait d'ailleurs à raréfier.

La veuve Mouaque soupira.

– Ça ne te fait rien si je marche un peu avec toi?

– Vous voulez surveiller ma conduite?

– Non, mais tu me tiendrais compagnie.