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– Pourquoi? Vous me demandez pourquoi? Ah, l'étrange question lorsqu'on ne sait qui que quoi y répondre soi-même. Pourquoi? Oui; pourquoi? Vous me demandez pourquoi? Oh! laissez-moi, en cet instant si doux, évoquer cette fusion de l'existence et du presque pourquoi qui s'opère dans les creusets du nantissement et des arrhes. Pourquoi pourquoi pourquoi, vous me demandez pourquoi? Eh bien, n'entendez-vous pas frissonner les gloxinias le long des épithalames?

– C'est pour nous que tu dis ça? demanda Charles qui faisait souvent les mots croisés.

– Non, du tout, répondit Gabriel. Mais, regardez! Regardez!

Un rideau de velours rouge se magnifiquement divisa selon une ligne médiane laissant apparaître aux yeux des visiteurs émerveillés le bar, les tables, le podium et la piste du Mont-de-piété, la plus célèbre de toutes les boîtes de tantes de la capitale, et c'est pas ça qui manque, asteure encore seulement et faiblement animée par la présence aberrante et légèrement anormale des disciples du cicéron Gabriel au milieu desquels trônait et pérorait l'enfant Zazie.

– Faites place, nobles étrangers, leur dit Gabriel.

Ayant toute confiance en lui, ils se remuèrent pour permettre aux nouveaux venus de s'insérer au milieu d'eux. Le mélange opéré, on installa Laverdure au bout d'une table. Il manifesta sa satisfaction en foutant des graines de soleil un peu partout autour de lui.

Un Écossaise, simple loufiat attaché à l'établissement, considéra le personnage et fit part à haute voix de son opinion.

– Y a des cinglés tout de même, qu'il déclara. Moi, la terre verte…

– Grosse flotte, dit Turandot. Si tu te crois raisonnable avec ta jupette.

– Laisse-le tranquille, dit Gabriel, c'es't son instrument de travail. Quant à Laverdure, ajouta-t-il pour l'Écossaise, c'est moi qui lui ai dit de venir, alors tu vas la boucler et garder tes réflexions pour ta personne.

– Ça c'est causer, dit Turandot en dévisageant l'Écossaise d'un air victorieux. Et avec ça, ajouta-t-il, qu'est-ce qu'on nous offre? Du Champagne, ou quoi?

– Ici c'est obligatoire, dit l'Écossaise. A moins que vous preniez le ouisqui. Si vous savez ce que c'est.

– Imdemande ça, s'esclama Turandot, à moi qui suis dans la limonade!

– Fallait le dire, dit l'Écossaise en brossant sa jupette du revers de la main.

– Eh bien gy, dit Gabriel, apporte-nous la bibine gazeuse de l'établissement.

– Combien de bouteilles?

– Ça dépend du prix, dit Turandot.

– Puisque je te dis que c'est moi qui régale, dit Gabriel.

– Je défendais tes intérêts, dit Turandot.

– Ce qu'elle est près de ses sous, remarqua l'Écossaise en pinçant l'oreille du cafetier et en s'éloignant aussitôt. J'en apporterai une grosse.

– Une grosse quoi? demanda Zazîe en se mêlant tout à coup à la conversation.

– I veut dire douze douzaines de bouteilles, espliqua Gabriel qui voit grand.

Zazie daigna s'occuper alors des nouveaux arrivants.

– Eh, l'homme au taxi, qu'elle dit à Charles, paraît qu'on se marie?

– Paraît, répondit succinctement Charles.

– En fin de compte, vous avez trouvé quelqu'un à vott goût.

Zazie se pencha pour regarder Madeleine.

– C'est elle?

– Bonjour, mademoiselle, dit aimablement Madeleine.

– Salut, dit Zazie.

Elle se tourna du côté de la veuve Mouaque pour l'affranchir.

– Ces deux-là, qu'elle lui dit en désignant du doigt les personnes en cause, ils se marient.

– Oh! que c'est émouvant, s'esclama la veuve Mouaque. Et mon pauvre Trouscaillon qu'est peut-être en train d'attraper un mauvais coup, par cette nuit noire. Enfin (soupir), il a choisi ce métier-là (silence). Ce serait comique si je devenais veuve une seconde fois avant même d'être mariée.

Elle eut un petit rire perçant.

– Qui c'est, cette dingue? demanda Turandot à Gabriel.

– Sais pas. Depuis staprès-midi, elle nous colle aux chausses avec un flicard qu'elle a récolté en chemin.

– Lequel c'est, le flicard?

– Il est allé faire un tour.

– Ça me plaît pas, cette compagnie, dit Charles.

– Oui, dit Turandot. C'est pas sain.

– Vous en faites pas, dit Gabriel. Vous vous inquiétez pour un rien. Tenez, via la bibine. Hourra! Gobergez-vous, amis et voyageurs, et toi, nièce chérie, et vous, tendres fiancés. C'est vrai! faut pas les oublier, les fiancés. Un tôste! Un tôste pour les fiancés!

Les voyageurs, attendris, chantèrent en chœur apibeursdè touillou et quelques serviteurs écossaises, émus, écrasèrent la larme qui leur aurait gâché leur rimmel.

Puis Gabriel tapa sur un verre avec un estracteur de gaz et l'attention générale aussitôt obtenue, car tel était son prestige, il s'assit à califourchon sur une chaise et dit:

– Alors, mes agneaux et vous mes brebis mesdames, vous allez enfin avoir un aperçu de mes talents. Depuis longtemps certes vous savez, et quelques-uns d'entre vous ne l'ignorent plus depuis peu, que j'ai fait de l'art chorégraphique le pis principal de la mamelle de mes revenus. Il faut bien vivre, n'est-ce pas? Et de quoi vit-on? je vous le demande. De l'air du temps bien sûr – du moins en partie, dirai-je, et l'on en meurt aussi – mais plus capitalement de cette substantifique moelle qu'est le fric. Ce produit mellifluent, sapide et polygène s'évapore avec la plus grande facilité cependant qu'il ne s'acquiert qu'à la sueur de son front du moins chez les esploités de ce monde dont je suis et dont le premier se prénomme Adam que les Élohim tyrannisèrent comme chacun sait. Bien que sa planque en Éden ne semble pas onéreuse pour eux aux yeux et selon le jugement des humains actuels, ils l'envoyèrent aux colonies gratter le sol pour y faire pousser le pamplemousse tandis qu'ils interdisaient aux hypnotiseurs d'aider la conjointe dans ses parturitions et qu'ils obligeaient les ophidiens à mettre leurs jambes à leur cou. Billevesées, bagatelles et bibleries de mes deux. Quoi qu'il en soit j'ai oint la jointure de mes genous avec la dite sueur de mon front et c'est ainsi qu'édénique et adamiaque, je gagne ma croûte. Vous allez me voir en action dans quelques instants, mais attention! ne vous y trompez pas, ce n'est pas du simple slip-tize que je vous présenterai, mais de l'art! De l'art avec un grand a, faites bien gaffe! De l'art en quatre lettres, et les mots de quatre lettres sont incontestablement supérieurs et aux mots de trois lettres qui charrient tant de grossièretés à travers le majestueux courant de la langue française, et aux mots de cinq qui n'en véhiculent pas moins. Arrivé au terme de mon discours, il ne me reste plus qu'à vous manifester toute ma gratitude et toute ma reconnaissance pour les applaudissements innombrables que vous ferez crépiter en mon honneur et pour ma plus grande gloire. Merci! D'avance, merci! Encore une fois, merci!

Et, se levant d'un bond avec une souplesse aussi singulière qu'inattendue, le colosse fit quelques entrechats en agitant ses mains derrière ses omoplates pour simuler le vol du papillon.

Cet aperçu de son talent suscita chez les voyageurs un enthousiasme considérable.

– Go, femme, qu'ils s'écrièrent pour l'encourager.

– Va hi, hurla Turandot qui n'avait jamais bu d'aussi bonne bibine.

– Oh! la bruyante, dit un serviteur écossaise.

Tandis que de nouveaux clients arrivaient par grappes, déversés par les autocars familiers de ces lieux, Gabriel brusquement, revenait s'asseoir, l'air sinistre.

– Ça ne va pas, meussieu Gabriel? demanda gentiment Madeleine.

– J'ai le trac.

– Coyon, dit Charles.

– C'est bien ma veine, dit Zazie.

– Tu vas pas nous faire ça, dit Turandot.

– Tu causes, tu causes, dit Laverdure, c'est tout ce que tu sais faire.

– Elle a de l'à-propos, cette bête, dit un serviteur écossaise.

– Te laisse pas impressionner, Gaby, dit Turandot.

– Imagine-toi qu'on est des gens comme les autres, dit Zazie.