Выбрать главу

– Pourquoi pas le contraire? demanda la veuve Mouaque dont la passion naissante n'avait pas encore entièrement obnubilé le cartésianisme natif.

– Pourquoi pas le contraire? dit le type anaphoriquement. A cause de la vitesse du vent.

Il se tourne un peu vers l'arrière pour apprécier les effets de cette astuce majeure, ce qui l'entraîne à rentrer de l'avant dans un car stationné en deuxième position. On était arrivé. En effet Fédor Balanovitch fit son apparition et se mit à débiter le discours type:

– Alors quoi? On sait plus conduire! Ah! ça, m'étonne pas… un provincial… Au lieu de venir encombrer les rues de Paris, vous feriez mieux d'aller garder vozouazévovos.

– Tiens, s'écria Zazie, mais c'est Fédor Balanovitch. Vzavez pas vu mon tonton?

– Sus au tonton, dit la veuve Mouaque en s'estrayant de la carlingue.

– Ah mais c'est pas tout ça, dit Fédor Balanovitch. Faudrait voir à voir, regardez ça, vous m'avez abîmé mon instrument de travail.

– Vzétiez arrêté en deuxième position, dit le Sanctimontronais, ça se fait pas.

– Commencez pas à discuter, dit Trouscaillon en descendant à son tour. Jvais arranger ça.

– C'est pas de jeu, dit Fédor Balanovitch, vzétiez dans sa voilure. Vzallez être partial.

– Eh bien, démerdez-vous, dit Trouscaillon qui se tira anxieux de retrouver la veuve Mouaque, laquelle avait disparu dans le sillage de la mouflette.

XI

A la terrasse du Café des Deux Palais, Gabriel, vidant sa cinquième grenadine, pérorait devant une assemblée dont l'attention semblait d'autant plus grande que la francophonie y était plus dispersée.

– Pourquoi, qu'il disait, pourquoi qu'on supporterait pas la vie du moment qu'il suffit d'un rien pour vous en priver? Un rien l'amène, un rien l'anime, un rien la mine, un rien l'emmène. Sans ça, qui supporterait les coups du sort et les humiliations d'une belle carrière, les fraudes des épiciers, les tarifs des bouchers, l'eau des laitiers, l'énervement des parents, la fureur des professeurs, les gueulements des adjudants, la turpitude des nantis, les gémissements des anéantis, le silence des espaces infinis, l'odeur des choux-fleurs ou la passivité des chevaux de bois, si l'on ne savait que la mauvaise et proliférante conduite de quelques cellules infimes (geste) ou la trajectoire d'une balle tracée par un anonyme involontaire irresponsable ne viendrait inopinément faire évaporer tous ces soucis dans le bleu du ciel. Moi qui vous cause, j'ai bien souvent gambergé à ces problèmes tandis que vêtu d'un tutu je montre à des caves de votre espèce mes cuisses naturellement assez poilues il faut le dire mais professionnellement épilées. Je dois ajouter que si vous en esprimez le désir, vous pouvez assister à ce spectacle dès ce soir.

– Hourra! s'écrièrent les voyageurs de confiance.

– Mais, dis-moi, tonton, tu fais de plus en plus recette.

– Ah te voilà, toi, dit Gabriel tranquillement. Eh bien, tu vois, je suis toujours en vie et même en pleine prospérité.

– Tu leur as montré la Sainte-Chapelle?

– Ils ont eu du pot. C'était en train de fermer, on a juste eu le temps de faire un cent mètres devant les vitraux. Comme ça (geste) d'ailleurs, les vitraux. Ils sont enchantés (geste), eux. Pas vrai my gretchen lady?

La touriste élue acquiesça, ravie.

– Hourra! crièrent les autres.

– Sus aux guidenappeurs, ajouta la veuve Mouaque suivie de près par Trouscaillon.

Le flicmane s'approcha de Gabriel et, s'inclinant respectueusement devant lui, s'informa de l'état de sa santé. Gabriel répondit succinctement qu'elle était bonne. L'autre alors poursuivit son interrogatoire en abordant le problème de la liberté. Gabriel assura son interlocuteur de l'étendue de la sienne, que de plus il jugeait à sa convenance. Certes, il ne niait pas qu'il y ait eu tout d'abord une atteinte non contestable à ses droits les plus imprescriptibles à cet égard, mais, finalement, s'étant adapté à la situation, il l'avait transformée à tel point que ses ravisseurs étaient devenus ses esclaves et qu'il disposerait bientôt de leur libre arbitre à sa guise. Il ajouta pour conclure qu'il détestait que la police fourrât son nez dans ses affaires et, comme l'horreur que lui inspiraient de tels agissements n'était pas loin de lui donner la nausée, il sortit de sa poche un carré de soie de la couleur du lilas (celui qui n'est pas blanc) niais imprégné de Barbouze, le parfum de Fior, et s'en tamponna le tarin.

Trouscaillon, empesté, s'escusa, salua Gabriel en se mettant au garde-à-vous, egzécuta le demi-tour réglementaire, s'éloigna, disparut dans la foule accompagné par la veuve Mouaque qui le pourchasse au petit trot.

– Comment que tu l'as mouché, dit Zazie à Gabriel en se faisant une place à côté de lui. Pour moi, ce sera une glace fraise-chocolat.

– Il me semble que j'ai déjà vu sa tête quelque part, dit Gabriel.

– Maintenant que voilà la flicaille vidée, dit Zazie, tu vas peut-être me répondre. Es-tu un hormosessuel ou pas?

– Je te jure que non.

Et Gabriel étendit le bras en crachant par terre, ce qui choqua quelque peu les voyageurs. Il allait leur espliquer ce trait du folclore gaulois, quand Zazie, le prévenant dans ses intentions didactiques, lui demanda pourquoi dans ce cas-là le type l'avait accusé d'en être un.

– Ça recommence, gémit Gabriel.

Les voyageurs, comprenant vaguement, commençaient à trouver que ça n'était plus drôle du tout et se consultèrent à voix basse et dans leurs idiomes natifs. Les uns étaient d'avis de jeter la fillette à la Seine, les autres de l'emballer dans un plède et de la mettre en consigne dans une gare quelconque après l'avoir gavée de ouate pour l'insonoriser. Si personne ne voulait sacrifier de couverture, une valise pourrait convenir, en tassant bien.

Inquiet de ces conciliabules, Gabriel se décide à faire quelques concessions.

– Eh bien, dit-il, je t'espliquerai tout ce soir. Mieux même tu verras de tes propres yeux.

– Je verrai quoi?

– Tu verras. C'est promis.

Zazie haussa les épaules.

– Les promesses, moi…

– Tu veux que je crache encore un coup par terre?

– Ça suffit. Tu vas postillonner dans ma glace.

– Alors maintenant fous-moi la paix. Tu verras, c'est promis.

– Qu'est-ce qu'elle verra, cette petite? Demanda Fédor Baianovitch qui avait fini par régler son tamponnement avec le Sanctimontronais lequel d'ailleurs avait manifesté une forte envie de disparaître du coin.

Il s'installe à son tour près de Gabriel et les voyageurs lui firent respectueusement place.

– Je l'emmène ce soir au Mont-de-piété, répondit Gabriel (geste), et les autres aussi.

– Minute, dit Fédor Baianovitch, ça fait pas partie du programme. Moi faut que je les couche de bonne heure, car ils doivent partir demain matin pour Gibraltar aux anciens parapets. Tel est leur itinéraire.

– En tout cas, dit Gabriel, ça leur plaît.