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– Y en a pas, qu'on répond.

– Ça alors, s'esclame Zazie, c'est un monde.

Elle est indignée.

– Pour moi, dit Charles, ça sera un beaujolais.

– Et pour moi, dit Gabriel, un lait-grenadine. Et toi? demande-t-il à Zazie.

– Jl'ai déjà dit; un cacocalo.

– Elle a dit qu'y en avait pas.

– C'est hun cacocalo que jveux.

– T'as beau vouloir, dit Gabriel avec une patience estrême, tu vois bien qu'y en a pas.

– Pourquoi que vous en avez pas? Demande Zazie à la serveuse.

– Ça (geste).

– Un demi panaché, Zazie, propose Gabriel, ça ne te dirait rien?

– C'est hun cacocalo que jveux et pas autt chose.

Tout le monde devient pensif. La serveuse se gratte une cuisse.

– Y en a à côté, qu'elle finit par dire. Chez l'Italien.

– Alors, dit Charles, il vient ce beaujolais?

On va le chercher. Gabriel se lève, sans commentaires. Il s'éclipse avec célérité, bientôt revenu avec une bouteille du goulot de laquelle sortent deux pailles. Il pose ça devant Zazie.

– Tiens, petite, dit-il d'une voix généreuse.

Sans mot dire, Zazie prend la bouteille en main et commence à jouer du chalumeau.

– Là, tu vois, dit Gabriel à son copain, c'était pas difficile. Les enfants, suffit de les comprendre.

II

– C'est là, dit Gabriel.

Zazie examine la maison. Elle ne communique pas ses impressions.

– Alors? demanda Gabriel. Ça ira?

Zazie fit un signe qui semblait indiquer qu'elle réservait son opinion.

– Moi, dit Charles, je passe voir Turandot, j'ai quelque chose à lui dire.

– Compris, dit Gabriel.

– Qu'est-ce qu'il y a à comprendre? Demanda Zazie.

Charles descendit les cinq marches menant du trottoir au café-restaurant La Cave, poussa la porte et s'avança jusqu'au zinc en bois depuis l'occupation.

– Bonjour, meussieu Charles, dit Mado Ptits-pieds qui était en train de servir un client.

– Bonjour, Mado, répondit Charles sans la regarder.

– C'est elle? demanda Turandot.

– Gzactement, répondit Charles.

– Elle est plus grande que je croyais.

– Et alors?

– Ça me plaît pas. Je l'ai dit à Gaby, pas d'histoires dans ma maison.

– Tiens, donne-moi un beaujolais.

Turandot le servit en silence, d'un air méditatif. Charles éclusa son beaujolais, s'essuya les moustaches du revers de la main, puis regarda distraitement dehors. Pour ce faire, il fallait lever la tête et on ne voyait guère que des pieds, des chevilles, des bas de pantalon, parfois, avec de la chance, un chien complet, un basset. Accrochée près du vasistas, une cage hébergeait un perroquet triste. Turandot remplit le verre de Charles et s'en verse une lichée. Mado Ptits-pieds vint se mettre derrière le comptoir, à côté du patron et brise le silence.

– Meussieu Charles, qu'elle dit, vzètes zun mélancolique.

– Mélancolique mon cul, réplique Charles.

– Eh bien vrai, s'écria Mado Ptits-pieds, vous êtes pas poli aujourd'hui.

– Ça me fait marer, dit Charles d'un air sinistre. C'est comme ça qu'elle cause, la mouflette.

– Je comprends pas, dit Turandot pas à l'aise du tout.

– C'est bien simple, dit Charles. Elle peut pas dire un mot, cette gosse, sans ajouter mon cul après.

– Et elle joint le geste à la parole? Demanda Turandot.

– Pas encore, répondit gravement Charles, mais ça viendra.

– Ah non, gémit Turandot, ah ça non.

Il se prit la tête à deux mains et fit le futile simulacre de se la vouloir arracher. Puis il continua son discours en ces termes:

– Merde de merde, je veux pas dans ma maison d'une petite salope qui dise des cochoncetés comme ça. Je vois ça d'ici, elle va pervertir tout le quartier. D'ici huit jours…

– Elle reste que deux trois jours, dit Charles.

– C'est de trop! cria Turandot. En deux trois jours, elle aura eu le temps de mettre la main dans la braguette de tous les vieux gâteux qui m'honorent de leur clientèle. Je veux pas d'histoires, tu entends, je veux pas d'histoires.

Le perroquet qui se mordillait un ongle, abaissa son regard et, interrompant sa toilette, il intervint dans la conversation.

– Tu causes, dit Laverdure, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire.

– Il a bien raison, dit Charles. Après tout, c'est pas à moi qu'il faut raconter tes histoires.

– Je l'emmerde, dit Gabriel affectueusement, mais je me demande pourquoi tu as été lui répéter les gros mots de la ptite.

– Moi je suis franc, dit Charles. Et puis, tu pourras pas cacher que ta nièce elle est drôlement mal élevée. Réponds-moi, est-ce que tu parlais comme ça quand t'étais gosse?

– Non, répond Gabriel, mais j'étais pas une petite fille.

– A table, dit doucement Marceline en apportant la soupière. Zazie, crie-t-elle doucement, à table.

Elle se met à verser doucement des contenus de louche dans les assiettes.

– Ah ah, dit Gabriel avec satisfaction, du consommé.

– N'egzagérons rien, dit doucement Marceline.

Zazie vient enfin les rejoindre. Elle s'assied l'œil vide, constatant avec dépit qu'elle a faim.

Après le bouillon, il y avait du boudin noir avec des pommes savoyardes, et puis après du foie gras (que Gabriel ramenait du cabaret, il pouvait pas s'en empêcher, il avait le foie gras aussi bien à droite qu'à gauche), et puis un entremets des plus sucrés, et puis du café réparti par tasses, café bicose Charles et Gabriel tous deux bossaient de nuit. Charles s'en fut tout de suite après la surprise attendue d'une grenadine au kirsch, Gabriel lui son boulot commençait pas avant les onze heures. Il allongea les jambes sous la table et même au-delà et sourit à Zazie raide sur sa chaise.

– Alors, petite, qu'il dit comme ça, comme ça on va se coucher?

– Qui ça «on»? demanda-t-elle.

– Eh bien, toi bien sûr, répondit Gabriel tombant dans le piège. A quelle heure tu te couchais là-bas?

– Ici et là-bas ça fait deux, j'espère.

– Oui, dit Gabriel compréhensif.

– C'est pourquoi qu'on me laisse ici, c'est pourque ça soit pas comme là-bas. Non?

– Oui.

– Tu dis oui comme ça ou bien tu le penses vraiment?

Gabriel se tourna vers Marceline qui souriait:

– Tu vois comment ça raisonne déjà bien une mouflette de cet âge? On se demande pourquoi c'est la peine de les envoyer à l'école.

– Moi, déclara Zazie, je veux aller à l'école jusqu'à soixante-cinq ans.

– Jusqu'à soixante-cinq ans? répéta Gabriel un chouïa surpris.

– Oui, dit Zazie, je veux être institutrice.

– Ce n'est pas un mauvais métier, dit doucement Marceline. Y a la retraite.

Elle ajouta ça automatiquement parce qu'elle connaissait bien la langue française.

– Retraite mon cul, dit Zazie. Moi c'est pas pour la retraite que je veux être institutrice.

– Non bien sûr, dit Gabriel, on s'en doute.

– Alors c'est pourquoi? demanda Zazie.

– Tu vas nous espliquer ça.

– Tu trouverais pas tout seul, hein?