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– Meussieu l'agent, vous voyez le car (geste) là-bas?

– Oui.

– C'est moi qui le conduis.

– Ah.

– Bin, dites-moi, vous n'êtes pas très fort. Vous m'avez pas encore reconnu?

Trouscaillon, un peu rassuré, alla s'asseoir à côté de lui.

– Vous permettez? qu'il demanda.

– Faites donc.

– C'est xa n'est pas très réglementaire.

(silence)

– Il est vrai, reprit Trouscaillon, pour ce qui est du règlement, j'ai nettement charrié aujourd'hui.

– Pépins?

– Noyaux.

(silence)

Trouscaillon ajouta:

– A cause des femmes.

(silence)

Trouscaillon poursuivit:

– …j'ai la confession qui m'étrangle la pipe… la confession… enfin la racontouse, quoi… j'en ai tout de même un bout à dégoiser…

(silence)

– Bien sur, dit Fédor Balanovitch.

Un moustique vola dans la cônerie de la lueur d'un réverbère. Il voulait se réchauffer avant de piquer de nouvelles peaux. Il y réussit. Son corps calciné chut lentement sur l'asphalte jaune.

– Alors allez-y, dit Fédor Balanovitch, sinon c'est moi qui raconte.

– Non, non, dit Trouscaillon, parlons encore un peu de moi.

Après s'être gratté le cuir chevelu d'un ongle rapace et moissonneur, il prononça des mots auxquels il ne manqua pas de donner une certaine teinte d'impartialité et même de noblesse. Ces mots, les voici:

– Je ne vous dirai rien de mon enfance ni de ma jeunesse. De mon éducation, n'en parlons point, je n'en ai pas, et de mon instruction je n'en parlerai guère car j'en ai peu. Sur ce dernier point, voilà qui est fait. J'en arrive donc maintenant à mon service militaire sur lequel je n'insisterai pas. Célibataire depuis mon plus jeune âge, la vie m'a fait ce que je suis.

Il s'interrompit pour rêvasser un brin.

– Eh bin, continuez, dit Fédor Balanovitch. Sans ça je commence.

– Décidément, dit Trouscaillon, ça tourne pas rond… et tout ça à cause de la femme que je rencontra ce matin.

– Que je rencontrai.

– Que je rencontrais.

– Que je rencontrai sans esse.

– Que je rencontrai.

– La rombière que Gabriel traîne après lui?

– Oh non. Pas celle-là. D'ailleurs celle-là, elle m'a déçu. Elle m'a laissé courir à mes occupations, et quelles occupations, sans même faire des simagrées pour me retenir, tout ce qu'elle voulait, c'est voir danser Gabriella. Gabriella… marant… positivement marant.

– C'est le mot, dit Fédor Balanovitch. Y a rien de comparable au numéro de Gabriel sur la place de Paris et je vous assure que j'en connais un bout sur le bâille-naïte de cette cité.

– Vous en avez de la veine, dit Trouscaillon distraitement.

– Mais je l'ai vu si souvent, le numéro de Gabriel, que maintenant j'en ai soupe, c'est le cas de le dire. Et puis, il ne se renouvelle pas. Les artisses, qu'est-ce que vous voulez, c'est souvent comme ça. Une fois qu'ils ont trouvé un truc, ils l'esploitent à fond. Faut reconnaître qu'on est tous un peu comme ça, chacun dans son genre.

– Moi pas, dit Trouscaillon avec simplicité. Moi, mes trucs, je les varie constamment.

– Parce que vous avez pas encore trouvé le bon. Voilà: vous vous cherchez. Mais une fois que vous aurez obtenu un résultat appréciable, vous vous en tiendrez là. Parce que jusqu'à présent ce que vous avez obtenu comme résultats, ça ne doit pas être bien brillant. Y a qu'à vous regarder: vous avez l'air d'un minable.

– Même avec mon uniforme?

– Ça n'arrange rien.

Accablé, Trouscaillon se tut.

– Et, reprit Fédor Baîanovitcli, à quoi ça rime?

– Je ne sais pas trop. J'attends madame Mouaque.

– Eh bien, moi, j'attends tout simplement mes cons pour les ramener à leur auberge, car ils doivent partir à la première heure pour Gibraltar aux anciens parapets. Tel est leur itinéraire.

– Ils en ont de la veine, murmura Trouscaillon distraitement.

Fédor Balanovitch haussa les épaules et ne daigna pas commenter ce propos.

C'est alors que des clameurs se firent entendre: le Mont-de-piété fermait.

– Pas trop tôt, dit Fédor Balanovitch.

Il se lève et se dirige vers son autocar. Il s'en va comme ça, sans formule de politesse.

Trouscaillon se lève à son tour. Il hésite. Les clochards dorment. Le moustique est mort.

Fédor Balanovitch donne quelques coups de claqueson pour réunir ses agneaux. Ceux-ci se congratulent sur la bonne, l'excellente soirée qu'ils ont passée et charabiaïsent à kimieumieu en voulant transmettre ce message dans la langue autochtone. On se dit adieu. Les éléments féminins veulent embrasser Gabriel, les masculins n'osent pas.

– Un peu moins de ramdam, dit l'amiral.

Les voyageurs montent peu à peu dans le car. Fédor Balanovitch bâille.

Dans sa cage, au bout du bras de Turandot, Laverdure s'est endormi. Zazie résiste courageusement: elle n'imitera pas Laverdure. Charles est allé chercher son bahut.

– Alors, mon coquin, dit la veuve Mouaque en voyant arriver Trouscaillon, vous vous êtes bien amusé?

– Point de trop, point de trop, dit Trouscaillon.

– Nous, ce qu'on a pu se distraire. Meussieu est d'un drôle.

– Merci, dit Gabriel. N'oubliez pas l'art tout de même. Y a pas que la rigolade, y a aussi l'art.

– I sramène pas vite avec son bahut, dit Turandot.

– Elle s'est bien amusée? demande l'amiral en considérant l'animal le bec sous son aile.

– Ça lui fera des souvenirs, dit Turandot.

Les derniers voyageurs ont regagné leur place. Ils enverront des cartes postales (gestes).

– Ho ho! crie Gabriel, adios araigos, tchinn tchinn, à la prochaine…

Et le car s'éloigne emportant ses étrangers ravis. Le jour même, à la première heure, ils partiront pour Gibraltar aux anciens parapets. Tel est leur itinéraire.

Le taxi de Charles vient se ranger le long du trottoir.

– Y a des gens en trop, remarque Zazie.

– Ça n'a aucune importance, dit Gabriel, maintenant on va aller se taper une soupe à l'oignon.

– Merci, dit Charles. Moi, je rentre. Aussi sec.

– Alors, Mado, tu viens?

Madeleine monte et s'assoit à côté de son futur.

– Au revoir tout le monde, qu'elle crie par la portière, et merci pour la bonne… et merci pour l'ec…

Mais on n'entend pas le reste. Le taxi est déjà loin.

– Si on était en Amérique, dit Gabriel, on leur aurait foutu du riz dessus.

– T'as vu ça dans les vieux films, dit Zazie. Maintenant à la fin ils se marient moins que dans le temps. Moi, je préfère quand ils crèvent tous.

– J'aime mieux le riz, dit la veuve Mouaque.

– On vous a pas sonnée, dit Zazie.

– Mademoiselle, dit Trouscaillon, vous devriez être plus polie avec une ancienne.

– Ce qu'il est beau quand il prend ma défense, dit la veuve Mouaque.

– En route, dit Gabriel. Je vous emmène Aux Nyctalopes. C'est là où je suis le plus connu.

La veuve Mouaque et Trouscaillon suivent le mouvement.