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– T'as vu? dit Zazie à Gabriel, la rombière et le flic qui nous colochaussent.

– On peut pas les empêcher, dit Gabriel. Ils sont bien libres.

– Tu peux pas leur faire peur? Je veux plus les voir.

– Faut montrer plus de compréhension humaine que ça, dans la vie.

– Un flic, dit la veuve Mouaque qui avait tout entendu, c'est quand même un homme.

– J'offre une tournée, dit Trouscaillon timidement.

– Ça, dit Gabriel, rien à faire. Ce soir, c'est moi qui régale.

– Rien qu'une petite tournée, dit Trouscaillon d'une voix suppliante. Du muscadet par egzemple. Quelque chose dans mes moyens.

– Écorne pas ta dot, dit Gabriel, moi c'est différent.

– D'ailleurs, dit Turandot, tu vas nous offrir rien du tout. T'oublies que t'es flic. Moi qui suis dans la limonade, jamais je servirais un flic qui amènerait une bande de gens avec lui pour leur arroser la dalle.

– Vous êtes pas forts, dit Gridoux. Vous le reconnaissez pas? C'est le satyre de ce matin.

Gabriel se pencha pour l'egzaminer plus attentivement. Tout le monde, même Zazie parce que fort surprise et vexée à la fois, attendit le résultat de l'inspection. Trouscaillon, tout le premier, conservait un silence prudent.

– Qu'est-ce que t'as fait de tes moustaches? lui demanda Gabriel d'une voix paisible et redoutable à la fois.

– Vous allez pas lui faire du mal, dit la veuve Mouaque.

D'une main, Gabriel saisit Trouscaillon par le revers de sa vareuse et le porta sous la lueur d'un réverbère pour compléter son étude.

– Oui, dit-il. Et tes moustaches?

– Je les ai laissées chez moi, dit Trouscaillon.

– Et en plus c'est donc vrai que t'es un flic?

– Non, non, s'écria Trouscaillon. C'est un déguisement… juste pour m'amuser… pour vous amuser… c'est comme vott tutu… c'est le même tabac…

– Le même passage à tabac, dit Gridoux inspiré.

– Vous allez tout de même pas lui faire du mal, dit la veuve Mouaque.

– Ça demande des esplications, dit Turandot, en surmontant son inquiétude.

– Tu causes, tu causes… dit faiblement Laverdure et il se rendormit.

Zazie la bouclait. Dépassée par les événements, accablée par la somnolence, elle essayait de trouver une attitude à la fois adéquate à la situation et à la dignité de sa personne, mais n'y parvenait point.

Soulevant Trouscaillon le long du réverbère, Gabriel le regarda de nouveau en silence, le reposa délicatement sur ses pieds et lui adressa la parole en ces termes:

– Et qu'est-ce que t'as à nous suivre comme ça?

– C'est pas vous qu'il suit, dit la veuve Mouaque, c'est moi.

– C'est ça, dit Trouscaillon. Vous savez peut-être pas… mais quand on est mordu pour une mousmé…

– Qu'est-ce que (oh qu'il est mignon) t'insinues (il m'a appelée) sur mon compte (une mousmé), dirent, synchrones, Gabriel (et la veuve Mouaque), l'un avec fureur, (l'autre avec ferveur).

– Pauvre andouille, continua Gabriel en se tournant vers la dame, il vous raconte pas tout ce qu'il fait.

– J'ai pas encore eu le temps, dit Trouscaillon.

– C'est un dégoûtant satyre, dit Gabriel. Ce matin, il a coursé la petite jusque chez elle. Ignoble.

– T'as fait ça? demanda la veuve Mouaque bouleversée.

– Je ne vous connaissais pas encore, dit Trouscaillon.

– Il avoue! hurla la veuve Mouaque.

– Il a avoué! hurlèrent Turandot et Gridoux.

– Ah! tu avoues! dit Gabriel d'une voix forte.

– Pardon! cria Trouscaillon, pardon!

– Le salaud! brailla la veuve Mouaque.

Ces vociférantes exclamations firent hors de l'ombre surgir deux hanvélos.

– Tapage nocturne, qu'ils hurlèrent les deux hanvélos, chahut lunaire, boucan somnivore, médianoche gueulante, ah ça mais c'est que, qu'ils hurlaient les deux hanvélos.

Gabriel, discrètement, cessa de tenir Trouscaillon par les revers de sa vareuse.

– Minute, s'écria Trouscaillon faisant preuve du plus grand courage, minute, vous m'avez donc pas regardé? Adspicez mon uniforme. Je suis fîicard, voyez mes ailes.

Et il agitait sa pèlerine.

– D'où tu sors, dit le hanvélo qualifié pour engager le dialogue. On t'a jamais vu dans le canton.

– Possible, répondit Trouscaillon animé avec une audace qu'un bon écrivain ne saurait qualifier autrement que d'insensée. Possible, n'empêche que flic je suis, flic je demeure.

– Mais eux autres, dit le hanvélo d'un air malin, eux autres (gestes), c'est tous des flics?

– Vous ne voudriez pas. Mais ils sont doux comme l'hysope.

– Tout ça ne me paraît pas très catholique, dit le hanvélo qui causait.

L'autre se contentait de faire des mines. Terrible.

– J'ai pourtant fait ma première communion, répliqua Trouscaillon.

– Oh que voilà une réflexion qui sent peu son flic, s'écria le hanvélo qui causait. Je subodore en toi le lecteur de ces publications révoltées qui veulent faire croire à l'alliance du goupillon et du bâton blanc. Or, vous entendez (et il s'adresse à la ronde), les curés, la police les a là (geste).

Cette mimique fut accueillie avec réserve, sauf par Turandot qui sourit servilement. Gabriel haussa nettement les épaules.

– Toi, lui dit le hanvélo qui causait. Toi, tu pues (un temps). La marjolaine.

– La marjolaine, s'écria Gabriel avec commisération. C'est Barbouze de Fior.

– Oh! dit le hanvélo incrédule. Voyons voir.

Il s'approcha pour renifler le veston de Gabriel.

– Ma foi, dit-il ensuite presque convaincu. Regardez donc voir, ajouta-t-il à l'intention de son collègue.

L'autre se mit à renifler à son tour le veston de Gabriel.

Il hocha la tète.

– Mais, dit celui qui savait causer, je me laisserai pas impressionner. Il pue la marjolaine.

– Je me demande ce que ces cons-là peuvent bien y connaître, dit Zazie en bâillant.

– Mazette, dit le hanvélo qui savait causer, vous avez entendu, subordonné? Voilà qui semble friser l'injure.

– C'est pas une frisure, dit Zazie mollement, c'est une permanente.

Et comme Gabriel et Gridoux s'esclaffaient, elle ajouta pour leur usage et agrément:

– C'en est encore une que j'ai trouvée dans les Mémoires du général Vermot.

– Ah mais c'est que, dit le hanvélo. Voilà une mouflette qui se fout de nous comme l'autre avec sa marjolaine.

– C'en est pas, dit Gabriel. Je vous répète: Barbouze de Fior.

La veuve Mouaque s'approcha pour renifler à son tour.

– C'en est, qu'elle dit aux deux hanvélos.

– On vous a pas sonnée, dit celui qui savait pas causer.

– Ça c'est bien vrai, marmonna Zazie. Je lui ai déjà dit ça tout à l'heure.

– Faudrait voir à voir à être poli avec la dame, dit Trouscaillon.

– Toi, dit le hanvélo qui savait causer, tu ferais mieux de ne pas trop attirer l'attention sur ta pomme.

– Faudrait voir à voir, répéta Trouscaillon avec un courage qui émut la veuve Mouaque.

– Est-ce que tu ferais pas mieux d'être couché asteure?

– Ah ah, dit Zazie.

– Fais-nous donc voir tes papiers, dit à Trouscaillon le hanvélo qui savait causer.