Выбрать главу

– Et moi alors, dit la veuve Mouaque. Qu'est-ce que j'ai fait, moi?

– Vous irez rejoindre votre Trouscaillon, dit Gridoux en haussant les épaules.

– Mais c'est lui! s'écria-t-elle.

Enjambant le tas des déconfits qui formaient une sorte de barricade devant l'entrée d'Aux Nyctalopes, la veuve Mouaque manifesta l'intention de se précipiter vers les assaillants qui s'avançaient avec lenteur et précision. Une bonne poignée de balles de mitraillette coupa court à cette tentative. La veuve Mouaque, tenant ses tripes dans ses mains, s'effondra.

– C'est bête, murmura-t-elle. Moi qu'avais des rentes.

Et elle meurt.

– Ça se gâte, fit remarquer Turandot. Pourvu que Laverdure attrape pas un mauvais coup.

Zazie s'était évanouie.

– Ils devraient faire attention, dit Gabriel furieux. Y a des enfants.

– Tu vas pouvoir leur faire tes observations, dit Gridoux. Les vlà.

Ces messieux, fortement armés, se trouvaient maintenant tout simplement de l'autre côté des vitres, défense d'autant plus faible qu'elles avaient en majeure partie valsé durant la précédente bagarre. Ces messieux, fortement armés, s'arrêtèrent en ligne, au milieu du trottoir. Un personnage, le pébroque accroché à son bras, se détacha de leur groupe et, enjambant le cadavre de la veuve Mouaque, pénétra dans la brasserie.

– Tiens, firent en chœur Gabriel, Turandot, Gridoux et Laverdure.

Zazie était toujours évanouie.

– Oui, dit l'homme au pébroque (neuf), c'est moi, Aroun Arachide. Je suis je, celui que vous avez connu et parfois mal reconnu. Prince de ce monde et de plusieurs territoires connexes, il me plaît de parcourir mon domaine sous des aspects variés en prenant les apparences de l'incertitude et de l'erreur qui, d'ailleurs, me sont propres. Policier primaire et défalqué, voyou noctinaute, indécis pourchasseur de veuves et d'orphelines, ces fuyantes images me permettent d'endosser sans crainte les risques mineurs du ridicule, de la calembredaine et de l'effusion sentimentale (geste noble en direction de feu la veuve Mouaque). A peine porté disparu par vos consciences légères, je réapparais en triomphateur, et même sans aucune modestie. Voyez! (Nouveau geste non moins noble, mais englobant cette fois-ci l'ensemble de la situation.)

– Tu causes, tu causes, dit Laverdure, c'est…

– En voilà un qui me paraît bon pour la casserole, dit Trouscaillon pardon: Aroun Arachide.

– Jamais! s'écrie Turandot en serrant la cage sur son cceur. Plutôt périr!

Sur ces mots, il commence à s'enfoncer dans le sol ainsi d'ailleurs que Gabriel, Zazie et Gridoux. Le monte-charge descend le tout dans la cave d'Aux Nyctalopes. Le manipulateur du monte-charge, plongé dans l'obscurité, leur dit doucement, mais avec fermeté, de le suivre et de se grouiller. Il agitait une lampe électrique, signe à la fois de ralliement et des vertus de la pile qui l'entretenait. Tandis qu'au rez-de-chaussée, les messieux fortement armés, sous le coup de l'émotion, se laissaient partir des rafales de mitraillette entre les jambes, le petit groupe suivant l'injonction et la lumière susdites se déplaçait avec une notable rapidité entre les casiers bourrés de bouteilles de muscadine et de grenadet. Gabriel portait Zazie toujours évanouie, Turandot Laverdure toujours maussade et Gridoux ne portait rien.

Ils descendirent un escalier, puis ils franchirent le seuil d'une petite porte et ils se trouvèrent dans un égout. Un peu plus loin, ils franchirent le seuil d'une autre petite porte et ils se trouvèrent dans un couloir aux briques vernissées, encore obscur et désert.

– Maintenant, dit doucement le lampadophore, si on veut pas se faire repérer, il faut partir chacun de son côté. Toi, ajouta-t-il à l'intention de Turandot, t'auras du mal avec ton zoizo.

– Je vais le peindre en noir, dit Turandot d'un air sombre.

– Tout ça, dit Gabriel, c'est pas marant.

– Sacré Gabriel, dit Gridoux, toujours le mot pour rire.

– Moi, dit le lampadophore, je ramène la petite. Toi aussi, Gabriel, t'es un peu visible. Et puis j'ai pris sa valoche avec moi. Mais j'ai dû oublier des choses. J'ai fait vite.

– Raconte-moi ça.

– C'est pas le moment.

Les lampes s'allumèrent.

– Ça y est, dit doucement l'autre. Le métro remarche. Toi, Gridoux, prends la direction Étoile et toi, Turandot, la direction Bastille.

– Et on se démerde comme on peut? dit Turandot.

– Sans cirage sous la main, dit Gabriel, va falloir que tu fasses preuve d'imagination.

– Et si je me mettais dans la cage, dit Turandot, et que ce soit Laverdure qui me porte?

– C'est une idée.

– Moi, dit Gridoux, je rentre chez moi. La cordonnerie est, heureusement, une des bases de la société. Et qu'est-ce qui distingue un cordonnier d'un autre cordonnier?

– C'est évident.

– Alors au revoir, les gars! dit Gridoux.

Et il s'éloigna dans la direction Étoile.

– Alors au revoir, les gars! dit Laverdure.

– Tu causes, tu causes, dit Turandot, c'est tout ce que tu sais faire.

Et ils s'envolèrent dans la direction Bastille.

XIX

Jeanne Lalochère s'éveilla brusquement Elle consulta sa montre-bracelet posée sur la table de nuit; il était six heures passées.

– Faut pas que je traîne.

Elle s'attarda cependant quelques instants pour examiner son jules qui, nu, ronflait. Elle le regarda en gros, puis en détail, considérant notamment avec lassitude et placidité l'objet qui l'avait tant occupée pendant un jour et deux nuits et qui maintenant ressemblait plus à un poupard après sa tétée qu'à un vert grenadier.

– Et il est d'un bête avec ça.

Elle se vêtit en vitesse, jeta divers objets dans son fourré-tout, se rafistola le visage.

– Faudrait pas que je soye en retard. Si je veux récupérer la fille. Comme je connais Gabriel. Ils seront sûrement à l'heure. A moins qu'il lui soit arrivé quelque chose.

Elle serra son rouge à lèvres sur son cœur.

– Pourvu qu'il lui soit rien arrivé.

Maintenant, elle était fin prête. Elle regarda son jules encore une fois.

– S'il revient me trouver. S'il insiste. Je dirai peut-être pas non. Mais c'est plus moi qui courrai après.

Elle ferma doucement la porte derrière elle. L'hôtelier lui appela un taxi et à là demie elle était à la gare. Elle marqua deux coins et redescendit sur le quai. Peu après, Zazie s'amenait accompagnée par un type qui lui portait sa valoche.

– Tiens, dit Jeanne Lalochère. Marcel.

– Comme vous voyez.

– Mais elle dort debout!

– On a fait la foire. Faut l'escuser. Et moi aussi, faut m'escuser si je me tire.

– Je comprends. Mais Gabriel?

– C'est pas brillant. On s'éclipse. A rvoir, petite.

– Au revoir, meussieu, dit Zazie très absente.

Jeanne Lalochère la fit monter dans le compartiment.

– Alors tu t'es bien amusée?

– Comme ça.

– T'as vu le métro?

– Non.

– Alors, qu'est-ce que t'as fait?

– J'ai vieilli.