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Il donne un coup de poing sur la table qui se fend à l'endroit habituel. La cage va au tapis suivie dans sa chute par la bouteille de grenadine, le flacon de kirsch, les petits verres, l'attirail manucure, Laverdure se plaint avec brutalité, le sirop coule sur la maroquinerie, Gabriel pousse un cri de désespoir et plonge pour ramasser l'objet pollué. Ce faisant, il fout sa chaise par terre. Une porte s'ouvre.

– Alors quoi, merde, on peut plus dormir?

Zazie est en pyjama. Elle bâille puis regarde Laverdure avec hostilité.

– C'est une vraie ménagerie ici, qu'elle déclare.

– Tu causes, tu causes, dit Laverdure, c'est tout ce que tu sais faire.

Un peu épatée, elle néglige l'animal pour Turandot, à propos duquel elle demande à son oncle:

– Et çui-là, qui c'est?

Gabriel essuyait la trousse avec un coin de la nappe.

– Merde, qu'il murmure, elle est foutue.

– Je t'en offrirai une autre, dit doucement Marceline.

– C'est gentil ça, dit Gabriel, mais dans ce cas-là, j'aimerais mieux que ce soit pas de la peau de porc.

– Qu'est-ce que tu aimerais mieux? Le box-calf?

Gabriel fit la moue.

– Le galuchat?

Moue.

– Le cuir de Russie?

Moue.

– Et le croco?

– Ce sera cher.

– Mais c'est solide et chic.

– C'est ça, j'irai me l'acheter moi-même.

Gabriel, souriant largement, se tourna vers Zazie:

– Tu vois, ta tante, c'est la gentillesse même.

– Tu m'as toujours pas dit qui c'était çui-là?

– C'est le proprio, répondit Gabriel, un proprio exceptionnel, un pote, le patron du bistro d'en bas.

– De La Cave?

– Gzactement, dit Turandot.

– On y danse dans votre cave?

– Ça non, dit Turandot.

– Minable, dit Zazie.

– T'en fais pas pour lui, dit Gabriel, il gagne bien sa vie.

– Mais à Singermindépré, dit Zazie, qu'est-ce qu'il se sucrerait, c'est dans tous les journaux.

– Tu es bien gentille de t'occuper de mes affaires, dit Turandot d'un air supérieur

– Gentille mon cul, rétorqua Zazie.

Turandot pousse un miaulement de triomphe.

– Ah ah, dit-il à Gabriel, tu pourras plus me soutenir le contraire, je l'ai entendu son mon cul.

– Dis donc pas de cochoncetés, dit Gabriel.

– Mais c'est pas moi, dit Turandot, c'est elle.

– Il rapporte, dit Zazie. C'est vilain.

– Et puis ça suffit, dit Gabriel. Il est temps que je me tire.

– Ça doit pas être marant d'être gardien de nuit, dit Zazie.

– Aucun métier n'est bien marant, dit Gabriel. Va donc te coucher.

Turandot ramasse la cage et dit:

– On reprendra la conversation.

Et il ajoute d'un air fin:

– La conversation mon cul.

– Est-il bête, dit doucement Marceline.

– On peut pas faire mieux, dit Gabriel.

– Eh bien, bonne nuit, dit Turandot toujours aimable, j'ai passé une agréable soirée, j'ai pas perdu mon temps.

– Tu causes, tu causes, dit Laverdure, c'est tout ce que tu sais faire.

– Il est mignon, dit Zazie en regardant l’animal.

– Va donc te coucher, dit Gabriel.

Zazie sort par une porte, les visiteurs du soir par une autre.

Gabriel attend que tout se soit calmé pour sortir à son tour. Il descend l'escalier sans bruit, en locataire convenable.

Mais Marceline a vu un objet qui traîne sur une commode, elle le prend, court ouvrir la porte, se penche pour crier doucement dans l'escalier:

– Gabriel, Gabriel.

– Quoi? Qu'est-ce qu'il y a?

– Tu as oublié ton rouge à lèvres.

III

Dans un coin de la pièce, Marceline avait installé une sorte de cabinet de toilette, une table, une cuvette, un broc, tout comme si ç'avait été une cambrousse reculée. Comme ça Zazie serait pas dépaysée. Mais Zazie était dépaysée. Elle pratiquait le bidet fixe vissé dans le plancher et connaissait, pour en avoir usé, mainte autre merveille de l'art sanitaire. Écœurée par ce primitivisme, elle s'humecta, se tamponna un peu d'eau ici et là plus un coup de peigne un seul dans les cheveux.

Elle regarda dans la cour: il ne s'y passait rien. Dans l'appartement de même, il y avait l'air de ne rien se passer. L'oreille plantée dans la porte, Zazie ne distinguait aucun bruit. Elle sortit silencieusement de sa chambre. Le salonsalamanger était oscur et muet. En marchant un pied juste devant l'autre comme quand on tire à celui qui commencera, en palpant le mur et les objets, c'est encore plus amusant en fermant les yeux, elle parvint à l'autre porte qu'elle ouvrit avec des précautions considérables. Cette autre pièce était également oscure et muette, quelqu'un y dormait paisiblement. Zazie referma, se mit en marche arrière, ce qui est toujours amusant, et au bout d'un temps extrêmement long, elle atteignit une troisième et autre porte qu'elle ouvrit avec de non moins grandes précautions que précédemment. Elle se trouva dans l'entrée qu'éclairait péniblement une fenêtre ornée de vitraux rouges et bleus. Encore une porte à ouvrir et Zazie découvre le but de son escursion: les vécés.

Comme ils étaient à l'anglaise, Zazie reprend pied dans la civilisation pour y passer un bon quart d'heure. Elle trouve l'endroit non seulement utile mais gai. Il est tout propre, ripoliné. Le papier de soie se froisse joyeusement entre les doigts. A ce moment de la journée, il y a même un rayon de soleiclass="underline" une buée lumineuse descend du vasistas. Zazie réfléchit longuement, elle se demande si elle va tirer la chasse d'eau ou non. Ça va sûrement jeter le désarroi. Elle hésite, se décide, tire, la cataracte coule, Zazie attend mais rien ne semble avoir bougé c'est la maison de la belle au bois dormant. Zazie se rassoit pour se raconter le conte en question en y intercalant des gros plans d'acteurs célèbres. Elle s'égare un peu dans la légende, mais, finalement, récupérant son esprit critique, elle finît par se déclarer que c'est drôlement con les contes de fées et décide de sortir.

De nouveau dans l'entrée, elle repère une autre porte qui vraisemblablement doit donner sur le palier, Zazïe tourne la clé laissée par illusoire précaution dans l'entrée de la serrure, c'est bien ça, voilà Zazie sur le palier. Elle referme la porte derrière elle tout doucement, puis tout doucement elle descend. Au premier, elle fait une pause: rien ne bouge. La voilà au rez-de-chaussée; et voici le couloir, la porte de la rue est ouverte, un rectangle de lumière, voilà, Zazie y est, elle est dehors.

C'est une rue tranquille. Les autos y passent si rarement que l'on pourrait jouer à la marelle sur la chaussée. Il y a quelques magasins d'usage courant et de mine provinciale. Des personnes vont et viennent d'un pas raisonnable. Quand elles traversent, elles regardent d'abord à gauche ensuite à droite joignant le civisme à l'eccès de prudence. Zazie n'est pas tout à fait déçue, elle sait qu'elle est bien à Paris, que Paris est un grand village et que tout Paris ne ressemble pas à cette rue. Seulement pour s'en rendre compte et en être tout à fait sûre, il faut aller plus loin. Ce qu'elle commence à faire, d'un air dégagé.