MARC ELSBERG
Zero. Ils savent ce que vous faites
Toute ressemblance avec des événements, des personnages, des entreprises ou des lieux existant ou ayant existé serait purement fortuite.
À Ursula, à mes parents
« Connais-toi toi-même. »
« Nous façonnons nos outils, qui, à leur tour, nous façonnent. »
« Nous voulons que Google soit la troisième moitié de votre cerveau. »
« La meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de créer le futur. »
Avant-propos
Zero peut être lu comme une dystopie. Cependant, toutes les technologies décrites dans ces pages sont déjà disponibles. Par ailleurs les dispositifs policiers de surveillance de Londres (Lambeth) et de New York (RTCC) sont bel et bien réels.
Grâce à la collecte des données et à des programmes informatiques de plus en plus sophistiqués, depuis des années, les entreprises sont en mesure de prédire avec une précision accrue nos comportements dans de nombreux domaines. Elles peuvent, par exemple, cibler leur publicité. Plus récemment, de plus en plus d’applications destinées à l’usage privé sont apparues. Un nombre croissant de gens attendent des systèmes de navigation (« Grâce à cet itinéraire, tu évites les bouchons ! »), des applications de fitness (« Cette semaine, tu dois courir x kilomètres. »), des coaches virtuels, etc., une vie plus confortable, plus saine, plus sûre, bref, meilleure. Seuls les logiciels de conseil individualisé ne sont pas encore aussi développés aujourd’hui qu’ils le sont dans ces pages.
Les lunettes à réalité augmentée, smartglasses, sont d’ores et déjà disponibles dans certains pays.
Mais ce livre, pourtant, reste une fiction. Les personnages sont imaginaires et toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite ou accidentelle.
Peekaboo777 :
Vous êtes tous prêts ? Après ça, nous ne serons plus en sécurité nulle part sur cette terre.
Teldif :
Prêt.
xxxhb67 :
Prêt.
ArchieT :
Prêt.
Snowman :
Prêt.
Submarine :
Prêt.
Nachteule :
Prêt.
Peekaboo777 :
OK. Alors go !
Lundi
« Tu as mis des pierres là-dedans ou quoi ? » Cynthia Bonsant gémit en soulevant un carton de déménagement sur le bureau de son nouveau voisin de travail. Elle manque de se démettre les épaules.
« Tout un tas de gadgets cool, s’enthousiasme Jeff. Des échantillons. Des trucs high-tech. »
Il tire du carton bourré de câbles et d’appareils informatiques un culbuto aux yeux clignotants en plastique.
Des trucs high-tech !
Agacée, Cynthia passe ses doigts dans ses cheveux frisés, les ébouriffant encore plus. Elle se recoiffe et laisse son regard glisser sur le nouvel open space où s’entassent les journalistes print et Web du Daily. Autour des six longues rangées de tables, anciens et nouveaux collègues déballent leurs affaires, les empilent, les ordonnent. On se croirait au milieu des racks d’une société de vente d’articles de bureau par correspondance. Des techniciens sont occupés à tirer les derniers câbles pour connecter les écrans qui se succèdent. D’autres collaborateurs entrent dans la pièce en portant leurs cartons devant eux. Ils se frayent un passage à la recherche de leur poste. Tout au fond l’immense mur d’écrans brille : des chaînes internationales d’information continue, des sites Web, des réseaux sociaux. En dessous, un prompteur.
Bienvenue dans la nouvelle salle de rédaction du Daily !
« Salle de rédaction, marmonne Cyn. Salle des machines, plutôt ! »
Elle se penche sur son carton de déménagement.
Aucun gadget cool.
Elle pose son pot à stylos devant son nouvel écran et, à côté, un bloc-notes.
Lorsqu’elle relève la tête, Jeff a fini de ranger ses affaires et regarde fixement son moniteur. Tous les autres ont également arrêté de s’agiter et chuchotent, en petits groupes, devant leurs bureaux.
« C’est complètement dingue », lâche Jeff en grattant les quelques poils de barbe peinant à s’affirmer sur son menton. « Regarde-moi ça ! »
À cet instant, Anthony Heast, le rédacteur en chef, sort en trombe de son bureau.
« Diffusez ça sur le mur d’écrans ! »
Tous les moniteurs retransmettent la même chose : les images aériennes vacillantes d’un terrain de golf. Dans le bois, plus loin, des toits. Au-dessus de l’un d’eux flotte la bannière étoilée.
« Un drone… Une attaque de drone », balbutie Jeff.
Cyn reconnaît le président des États-Unis d’Amérique. Il s’apprête à frapper la balle. À ses côtés, sa femme. Autour de deux autres postes, ses enfants jouent sans entrain. À quelques mètres de la famille présidentielle, cinq officiers de sécurité s’ennuient derrière leurs lunettes de soleil.
« Ces images de la résidence de vacances du Président ont été postées il y a quelques secondes sur Internet, commente un journaliste. Peu de temps avant, l’intrusion du drone a été revendiquée publiquement par une organisation nommée Zero. Nous ne savons pas encore comment l’appareil a pu déjouer les mesures de sécurité. Ni même quelles sont les intentions de ce groupuscule. »
La caméra volante fond sur le Président, le cœur de Cyn se met à battre plus rapidement.
Ils ne se rendent compte de rien ou quoi ?
Quelques-uns poussent des cris d’effroi. Même les déménageurs ont arrêté de vaquer à leurs occupations pour regarder les images.
Le Président prépare son swing, il frappe. Il pose son club dans le gazon et crie quelque chose à la balle. D’après sa grimace, sans doute pas un mot doux, suppose Cyn. Il étend son bras, pointe la caméra du doigt, se tourne vers ses gardes du corps puis court vers sa femme et ses enfants pétrifiés. Les officiers de sécurité courent derrière lui. Deux 4x4 noirs surgissent du bois. Les pneus labourent le terrain de golf tandis que les fonctionnaires se jettent sur le Président et sa famille pour les protéger.
Une troupe d’hommes apparaît entre les arbres et les postes du parcours. Une partie se rue vers la famille présidentielle. Les autres regardent nerveusement autour d’eux grâce à leurs jumelles, pianotent fébrilement sur leurs téléphones et leurs tablettes, hurlent dans le micro de leurs oreillettes.
L’essaim d’officiers de sécurité pousse avec empressement la famille dans la première voiture. Des mottes de terre et d’herbe sont projetées lorsque le véhicule rejoint le bois. Cyn a le souffle coupé.