OK mon garçon, je le vois, murmure l’opérateur. Puis parlant dans son micro : « Monsieur Denham, je vous vois grâce aux caméras de vidéosurveillance. Ne prenez aucun risque ! »
À cet instant, le criminel bascule sa tête en arrière pour respirer profondément. L’opérateur parvient alors à l’identifier. Il fait une sauvegarde de l’image. Mais elle est de trop mauvaise qualité pour une reconnaissance faciale.
« Cherche-moi ce Trevor Lean », demande-t-il à son voisin de droite. Ce dernier ouvre une base de données, entre son nom. Un visage et de multiples informations apparaissent. L’opérateur louche sur l’écran de son collègue. Nul doute, il s’agit bien du même homme.
« Monsieur Denham ? Vous m’entendez ? »
Pas de réponse.
De toute façon, quelqu’un a besoin d’aide. Sans compter la pagaille que peut provoquer dans le public une chasse à l’homme. Il doit y mettre fin pour éviter toute panique. Il entre en contact avec les patrouilles proches : « Poursuite à pied dans Mare Street, à hauteur de Richmond Road. Plusieurs personnes. L’une recherchée par la police et dangereuse. »
Les gens s’écartent devant Lean, qui jette un regard apeuré par-dessus son épaule.
« Que fais-tu, Adam ? demande l’opérateur. Nous avons Lean dans notre viseur. Laisse-le courir. On va l’attraper. »
Viola court dix mètres derrière Adam et Eddie. Sally est à ses côtés, à bout de souffle. Ils ont semé Bettany. Viola ne parvient à regarder son téléphone, qui retransmet ce que voit Adam, qu’à de brefs moments.
Stop ! Ne le suivez pas !
En lettres capitales rouges, le texte clignote sous les yeux d’Adam. Pourquoi d’ailleurs continue-t-il de courir après le fugitif ? Auparavant, jamais il n’aurait osé.
Viola hésite, laisse l’écart se creuser. Soudain, elle voit Lean tirer un objet métallique de sa ceinture de pantalon. Elle est pétrifiée. Elle jette un coup d’œil sur son téléphone. Malgré la piètre qualité de l’image elle reconnaît clairement un pistolet.
« Adam ! glapit-elle, il est armé. »
« Fuck ! » lâche l’opérateur en appuyant sur le signal d’alarme. « Un homme armé dans Mare Street ! » hurle-t-il dans son micro, convoquant toute son équipe. Ses trois collègues des postes voisins se joignent à lui.
« Toutes les unités dans Mare Street, un individu armé dans la rue. En direction de Richmond. »
Sur ses écrans, l’opérateur peut voir les passants se mettre à couvert, se jeter à terre ou fuir à toutes jambes. Il n’a pas les sons mais leurs réactions sont sans ambiguïté : Lean a tiré.
« Il fait feu ! » lance-t-il aux équipes sur le terrain. « Toutes les patrouilles disponibles sur zone, Mare Street, direction Richmond ! »
Sur les écrans de l’unité de surveillance, les images relayées par sept caméras scintillent. Des voitures de police disparaissent de l’un pour réapparaître sur un autre. Angles différents, cadrages différents. Pas évident de ne pas perdre l’orientation.
L’opérateur communique des informations aux patrouilles. Les premiers agents sont presque sur place, ils transmettent leurs positions. Ils atteignent Lean, freinent brutalement quelques mètres devant lui. Deux fonctionnaires bondissent hors du véhicule. Les opérateurs les entendent hurler dans leurs casques : « Trevor Lean ! Plus un geste ! Vous êtes en état d’arrestation ! » Des passants se figent, saisis d’effroi, d’autres s’enfuient.
Lean et les policiers lèvent leurs armes. L’opérateur entend les détonations et voit une fonctionnaire tomber à genoux, puis s’effondrer à terre. Au même moment, le fugitif est propulsé en arrière. Il lâche son arme, reste étendu sur le dos, les bras en croix. Une flaque de sang se forme autour de lui.
De tous côtés, des véhicules de police, sirènes hurlantes, apparaissent. Les fonctionnaires sortent des voitures, s’abritent derrière les portières, à couvert, leur arme pointée vers Lean.
Des policiers en tenue s’approchent du criminel, écartent son arme, puis lui prennent le pouls. D’autres prennent en charge la fonctionnaire touchée. L’opérateur ne peut juger, d’où il est, si elle est grièvement blessée. Trois collègues sont penchés au-dessus d’elle. Malgré la pagaille ambiante, il comprend qu’elle est inconsciente. À quelques mètres d’elles, d’autres policiers pratiquent un massage cardiaque et un bouche-à-bouche sur Lean. Fébrilement, l’opérateur parcourt ses écrans du regard pour s’assurer qu’aucun passant n’a été blessé.
« Où est le jeune homme qui l’a suivi ? demande-t-il à ses collègues. Où se trouvent son camarade et les deux filles ? J’ai pourtant bien vu d’autres victimes ! »
Derrière les têtes des trois personnes installées autour de la table de réunion, Will Dekkert voit la skyline de Manhattan, au-delà des toits de Brooklyn. À quarante-cinq ans, il est le plus âgé du groupe, même s’il ne se trouve pas vieux. Si les autres remarquent ses cheveux gris et les premières rides de son visage, lui ne les voit pas.
Son regard passe sur le One World Trade Center, lorsqu’un voyant lumineux rouge se met à clignoter.
Code 705, Londres, GB
Les trois autres se redressent aussitôt sur leurs chaises et roulent des yeux derrière leurs lunettes, comme s’ils étaient pris simultanément d’épilepsie.
« Branle-bas ! » ordonne Will. Le code 705 est l’un des rares susceptibles de l’inquiéter en tant que directeur de la communication de Freemee.
Sur l’écran recouvrant tout un mur de son bureau passent les enregistrements de deux caméras de surveillance. Des gens courent en tous sens, trois personnes sont à terre, l’une immobile, les autres se tordant de douleur.
« Mare Street, Londres », peut-on lire sur le bandeau en bas de l’écran, accompagné du nom des deux magasins sur place dont les caméras de surveillance retransmettent continuellement leurs données sur Internet. S’ajoute à cela une carte du district de Hackney. Des triangles violets accompagnés de petits symboles de caméras représentent les champs de vision de toutes les caméras de surveillance privées de l’endroit, le couvrant quasi totalement. Dans les rues se déplacent un grand nombre de points rouges. L’un d’eux clignote, immobile. Will l’active d’un geste de la main grâce à un capteur invisible du mur d’écrans. Une fenêtre s’ouvre alors avec la photo d’un jeune homme assortie d’un texte.
Utilisateur Freemee :
Adam Denham, 18 ans, Londres, GB
Fonctions vitales arrêtées
« Mer… » Will ravale son juron. D’un geste maîtrisé, il active la radio pour tout son département. « Tout le monde dans mon bureau. Nous avons notre premier code 705. »
Une grosse vingtaine de collaborateurs sont rassemblés devant l’immense écran du bureau de Will Dekkert. S’affichent dans différentes fenêtres les images des caméras de surveillance de Mare Street, dont certaines sont floues et de mauvaise qualité. Des médecins urgentistes effectuent des massages cardiaques, des secouristes portent des perfusions. Des curieux encombrent la rue et des policiers courent dans tous les sens.
Un plan de la ville et les informations du profil Freemee d’Adam Denham sont également visibles.
« Le code 705 est arrivé il y a cinq minutes », commence Will. Certains visages sont affectés. Lui masque son émotion, rompu qu’il est à rester concret.