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Effondrée, Viola voit sa mère héler un taxi alors qu’elle n’en a pas les moyens. Elle s’entasse sur la banquette arrière avec ses deux amis.

Lorsque la voiture démarre, la jeune fille commence à expliquer d’une traite ce qu’il s’est passé. Leurs jeux avec les lunettes, la découverte du criminel, l’appel à la police.

Prise de tremblements, elle lutte pour ne pas pleurer.

Tandis qu’Eddie et Sally téléphonent à leurs mères, Viola ne pense qu’à une chose : le médecin penché au-dessus d’Adam qui annonce son décès sur le bitume.

« On voulait retenir Adam, explique-t-elle. Mais il continuait de courir, il suivait ce Lean.

— Ces derniers temps, il a souvent fait ce genre de choses, remarque Sally en reniflant. Il était impossible de le freiner.

— Il avait beaucoup de retard à rattraper, concède Viola.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? lui demande sa mère.

— Il y a de cela quelques mois, Adam était complètement out, explique Sally. Puis, ensuite, il est devenu super cool.

— Peut-être voulait-il relayer l’opération de police, tente Eddie.

— Au lieu de quoi, c’est sa propre mort qu’il a transmise sur le Web », soupire Viola qui ne cesse de pleurer. « Nous pouvions tout suivre avec nos smartphones. Si ses comptes n’étaient pas privés, alors on doit le voir dans les émissions télé du monde entier. »

Viola sent le regard perçant de sa mère sur elle. Elle détourne le visage et regarde les rues grises de Londres défiler sous ses yeux.

« Ho ! » crie Henry. À cent mètres, le pigeon d’argile vole en éclats. Il a troqué son costume pour une veste en fourrure sans manches avec un renfort de cuir à l’épaule droite.

« Ho ! »

Le pigeon suivant explose.

L’homme qu’il attendait s’approche, du côté du monticule bordant le champ de tir. Henry retire son casque antibruit et ses lunettes, appuie le fusil sur son bras et le salue.

Autrefois, Joaquim Proust était le garde du corps d’Henry. Aujourd’hui, il est à la tête de la société de sécurité, spécialisée dans la protection individuelle, qui s’est développée dans le giron du groupe dirigé par Henry. Il dépasse Henry d’une tête. Sur son visage, les traits marqués d’un ancien soldat d’élite.

Dans sa propriété, à une heure de Manhattan en hélicoptère, Henry se sait totalement isolé. Depuis le President's Day, Joaquim doit d’ailleurs penser à revoir certaines mesures de sécurité.

Il est le seul à avoir été mis au courant des projets de Freemee. Depuis le début, il sait qu’il doit protéger cet investissement par tous les moyens. Dès que certaines personnes ont compris le potentiel de Freemee, les jalousies se sont éveillées et la critique a enflé. Afin de s’assurer de sa loyauté, Henry a donné à Joaquim une participation silencieuse de 2 % dans Freemee, dont Carl ne sait rien. Lorsque c’est devenu nécessaire, en raison des morts inattendues, aux causes réelles tenues secrètes, Henry a également parlé de l’expérience à Joaquim.

L’homme d’action n’aime pas les grands discours. « Je parie qu’il s’agit de l’ami d’Adam Denham, Eddie Brickle, et de la journaliste britannique…

— En premier lieu, oui. Nos programmes m’ont d’ailleurs alerté personnellement. Ces deux-là ont l’air aussi inoffensifs que tous les autres. Mais si les algorithmes le disent…

— On utilise depuis plusieurs années chez EmerSec des systèmes identiques pour combattre le crime et le terrorisme, et tu sais à quel point leurs prévisions sont fiables. Brickle sera manipulé par Carl grâce à Freemee. On garde un œil sur lui. Idem pour Bonsant.

— J’aimerais éviter une seconde affaire Joszef.

— C’est ce que nous voulons tous, acquiesce Joaquim. Il n’y a pas besoin d’intervenir. Dans le cas de Joszef, il fallait faire vite. Les algorithmes avaient calculé qu’il y avait 90 chances sur cent qu’il parle. Chez Brickle et Bonsant, c’est 20 %, max.

— Et s’ils découvrent le pot aux roses ?

— S’ils tombent sur les trois mille morts, alors on aura recours aux procédures classiques. D’abord, détourner leur attention. Si ça ne suffit pas, on leur proposera un beau paquet d’actions Freemee qui les rendra riches.

— En somme, on essaiera de les acheter.

— Oui. Il est très rare qu’il faille mettre quelqu’un hors circuit. Ce genre de choses risque toujours de ne pas passer inaperçu.

— Très bien. Et sinon ?

— Presque rien. Un type à Toronto, deux à Los Angeles, deux à Berlin et une fille de Sydney flirtent avec les 3 %. Ils publient sur des blogs. Des spéculations, sans aucune action. Pas plus dangereux que tous les partisans de la théorie du complot. Personne n’a pu mettre en évidence des faits tangibles. D’ailleurs, nous ne sommes encore jamais tombés sur quelqu’un qui a réellement essayé.

— Parfait. »

Henry redresse son arme.

Il remet son casque antibruit et ses lunettes de protection, salue son interlocuteur d’un signe du menton, se tourne et lève le canon. « Ho ! »

Cyn et les jeunes gens débarrassent les assiettes auxquelles sont collés des restes de spaghettis. Un fumet de bolognaise emplit encore la pièce. On sonne à la porte.

Annie Brickle salue Cyn en la serrant dans ses bras, puis fonce dans la cuisine. Son fils se dérobe adroitement à son accolade. Elle arrive directement de son travail dans une boutique et accepte bien volontiers la proposition de Cyn de boire un verre. Les deux femmes sont amies depuis que leurs enfants sont sur les bancs de l’école. Le père d’Eddie a quitté sa femme deux ans après que celui de Viola a pris la tangente, peu de temps après la naissance de sa fille.

Annie se laisse tomber sur une chaise de la cuisine et demande aux enfants de lui raconter ce qu’il s’est passé. Le premier choc s’étant éloigné, leurs propos sont plus ordonnés. Cyn sent chez eux un mélange de colère et de tristesse.

Eddie laisse parler les jeunes filles pour pouvoir lire une notification sur son téléphone. Il est soucieux. C’est maintenant au tour de Viola de consulter son mobile, la mine préoccupée. Excitée, elle tapote sur le clavier. Cyn trouve agaçante l’impolitesse de ces jeunes toujours scotchés à leurs appareils, y compris lorsqu’ils sont en société. Elle est sur le point de leur faire une remarque lorsque la sonnerie de son propre portable retentit. C’est un collègue d’un journal concurrent. Tout en décrochant, elle se rend dans le couloir.

« Ta fille y était ! » s’exclame-t-il après les habituelles formules de politesse. « Comment tu te sens ? As-tu mauvaise conscience ? »

À vrai dire, cet homme ne la laisse pas indifférente. S’il ne cessait de souligner à quel point il est heureux dans son couple, elle se laisserait même complètement séduire. Mais à sa question, elle se met en colère.

« Et pourquoi ? le rembarre-t-elle.

— Parce que ta fille fait ce genre de choses.

— Quoi comme choses ?

— Tu n’as rien à me dire, alors ?

— Sans doute pas », répond-elle avant de raccrocher.

Elle repense au lieu de la fusillade. L’un de ses collègues l’aurait-il donc vue ? À moins que la police n’ait communiqué le nom de Viola ? Alors qu’elle retourne dans la cuisine, la sonnette d’entrée retentit. S’attendant à voir la mère de Sally, elle ouvre et tombe nez à nez avec deux hommes, dont l’un tient une caméra.