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« Salut Cynthia, lance l’autre. T’as un truc exclusif, hein ? Ta fille est là ?

— Au cas où tu saurais ce que fait ta progéniture, glapit le cameraman. On aimerait bien lui parler. »

Cyn les connaît. Ils travaillent pour deux feuilles à scandales. Elle essaie de refermer la porte, qui vient s’écraser sur le pied que l’un des journalistes avait introduit dans l’ouverture.

« Et te parler aussi, tant qu’on y est. Es-tu une mère indigne, ainsi que l’affirme Zero dans sa dernière vidéo ? »

Mère indigne ?

« Quelle vidéo ?

— Elle l’a pas encore vue, dit l’un d’eux.

— Ça en a tout l’air », insiste l’autre, d’une voix de fausset.

« Alors, la mère ou la fille ? Qui passe la première ? »

Elle parvient à claquer la porte en les insultant de tous les noms. Le cri de douleur que pousse l’homme qui avait son pied dans l’entrebâillement lui donne au moins un peu de satisfaction.

« Vautours ! » persifle-t-elle en s’adossant au mur.

« C’est des collègues à toi », lui rappelle Viola, qui a fait son apparition dans le couloir en compagnie des autres. « Tu crois que tu vas t’en débarrasser comme ça ? »

Ils entendent des voix et des coups de poing contre la porte.

« Ils vont nous assiéger, merde ! jure Cyn. Et ce n’est probablement que le début. De quelle vidéo parlent ces imbéciles ? »

Eddie lui rend un smartphone. « De celle-ci, je suppose. »

L’étrange transformation du visage de Zero se déplace dans les enregistrements des caméras de sécurité de Mare Street comme s’il était un reporter en plein milieu de l’action.

« Voici donc où nous en sommes, commence-t-il. Aujourd’hui, à Londres, deux personnes ont été tuées par balle et plusieurs autres grièvement blessées, parce qu’un jeune homme oisif s’est lancé dans une chasse à l’homme. »

Alors que l’image se fixe, Zero continue de s’y déplacer jusqu’à s’arrêter à côté d’Adam.

« Équipé de smartglasses, il scannait les passants », continue Zero tandis que les images s’animent de nouveau. On voit maintenant le point de vue d’Adam grâce aux enregistrements des lunettes. Autour de lui, des gens en mouvement. Devant lui apparaissent Viola et Eddie.

« Merde, c’est nous ! » s’exclame Viola.

« Et tout ce qu’il voyait était enregistré sur son profil Freemee. Hé, parents, savez-vous ce que fait votre progéniture ? » demande-t-il tandis qu’un carré bleu encadre le visage d’un homme et qu’apparaît l’avis de recherche de Lean Trevor.

« Le jeune homme identifie un criminel. Sans savoir s’il est accusé de quoi que ce soit, s’il vient d’être condamné ou s’il est en cavale, il décide de le suivre. Pour sa malchance. En effet, il ne survivra pas à sa découverte. »

Les images accélèrent jusqu’au moment où Lean sort son arme et tire sur son poursuivant. L’enregistrement cesse alors.

« Qu’est-ce qui a transformé ce sympathique jeune homme en shérif ? Le souhait, l’envie d’être remarqué ? En tout cas, il a réussi », commente le pirate sous les traits d’un vieil homme.

« Mais on ne peut rien lui reprocher. Là, dehors, autour de vous, ils se livrent tous à cette chasse à l’homme. Les banques, les organismes de cartes de crédit, les supermarchés, les constructeurs automobiles, les marques de vêtements, tous. Des moteurs de recherche. »

Un court instant, Cyn croit reconnaître le visage du patron de Google avant qu’il ne se métamorphose en celui du patron de Facebook.

« Facebook, le livre des visages. Eux aussi ils ont eu leurs problèmes et leurs scandales. Ils ont pourtant des milliards de membres. C’est ce que doit penser votre chiotte : il faut manger de la merde ! C’est bon la merde, impossible que des millions de mouches se trompent. » Zero marque une pause. « Mangez de la merde ! Chacun de vous ! Toi ! Oui, toi qui regardes cette vidéo ! Tu te fous de ce qu’ils savent de toi ou de ce qu’ils en font ? Mais qu’il se passe quoi que ce soit et tu te plains ! “Comment c’est possible ? Pourquoi ont-ils le droit de faire ça ? Je ne savais pas !” Faux ! Tu ne voulais pas le savoir ! Tant que les géants d’Internet te font miroiter quelques avantages, tu marches dans la combine. Et tu trouves ça confortable ! Combien de temps encore allez-vous accepter ? Défendez-vous ! Votre oligarchie des données n’aura pas ma peau ! Mon âme n’est pas à vendre ! Et n’oublie pas qu’il faut terrasser l’hydre des données. »

Hé, parents, savez-vous ce que fait votre progéniture ?

Sa gorge se serre. C’est donc à ça que faisaient allusion les deux connards ! Le monde entier peut identifier sa fille sur cette vidéo !

« Enculé ! souffle Eddie. On est dans une vidéo de Zero…

— Surveille ton langage, jeune homme, le sermonne sa mère. C’est qui d’abord, ce Zero ?

— Maman ! »

Avant que qui que ce soit ne puisse répondre à Annie, le téléphone de Cyn sonne de nouveau. Elle connaît ce numéro.

« Salut Cynthia ! la salue Anthony. Comment va ta fille ? Quelle histoire ! T’as écrit un papier ? T’as une vidéo ? Une interview avec ta fille ? Une exclu pour le Daily ? »

Elle raccroche sans un mot.

C’est à propos de vos réactions que je devrais écrire quelque chose !

Presque simultanément, les téléphones de Sally et d’Eddie sonnent.

« Ne répondez pas ! » leur intime Cyn.

Dehors, les vautours frappent à la porte, criant son nom. Elle hausse les épaules. « Navrée ! Je m’excuse pour eux.

— Je suis désolée », dit Viola. Désemparée, elle poursuit : « Cette vidéo… on n’avait aucune idée… »

Cyn se retient d’exprimer son opinion sur ce genre d’appareils et leur usage et réconforte sa fille. « Personne ne pouvait savoir. Va plutôt dans le salon avec les autres. »

Le bruit à l’extérieur se fait plus fort, les voix sont plus nombreuses. Elle regarde par le judas.

« Génial. Ils sont cinq maintenant.

— Mon Dieu ! soupire la mère d’Eddie. Ils vont nous assiéger ? Comment peut-on sortir ? Tu peux pas leur parler ? Entre collègues ?

— Oublie. Ils veulent du scoop. »

Un autre appel d’Anthony, qu’elle ignore.

« On pourrait appeler la police ?

— Quand ils apprendront que je suis moi-même journaliste, ils me riront au nez.

— Ça veut dire qu’on est enfermés ici ?

— Pas forcément », intervient Eddie qui tape précipitamment sur son smartphone.

« Une de tes Act Apps a un conseil à nous donner ? » lui demande Sally tout en tapotant elle-même sur son clavier. « Une app pour ce genre de cas. Pour les relations publiques. Pourquoi n’avons-nous pas été prévenus ?

— On vient de le faire, répond le jeune homme. Comment crois-tu que j’y aie pensé ?

— Pareil pour moi, confirme Viola. Et notre nombre de points a même grimpé. Parce qu’on est plus connus.

— Super ! » s’exclame Sally.

Cyn ne comprend rien à cette conversation.

« Qu’est-ce que vous faites, bon sang ? s’impatiente la mère d’Eddie.

— Surveille ton langage, jeune femme ! ironise son fils, sans lever les yeux de son appareil.

— Écoutez-moi. Pas besoin d’Act Apps. Ils veulent que nous nous exprimions ? On va leur en donner. Depuis quand j’ai besoin des journalistes pour m’exprimer ? »