Son pouls s’accélère. La caméra volante garde l’auto dans sa ligne de mire profitant de la percée du feuillage au-dessus de la route. Les vitres d’une seconde voiture se baissent. Des hommes passent le canon de leurs armes et pointent en direction du ciel. Puis le convoi atteint des bâtiments et s’engouffre dans une entrée de garage.
« OK », annonce le commentateur à l’antenne, haletant, lorsque la porte du garage se referme. « Le Président et sa famille ont l’air sains et saufs. »
« Notre téléscripteur est-il prêt à fonctionner ? » s’égosille Anthony en desserrant sa cravate. « Pouvons-nous passer un bandeau sur notre page d’accueil ? Le titre : “Un attentat contre le président des États-Unis”… »
Des cris stridents dans la salle l’obligent à se taire. Cyn reconnaît les deux véhicules sur les images imprécises d’un parking souterrain. Paniqués, le Président, sa famille et les fonctionnaires en descendent. Ils n’ont pas remarqué le drone qui les menace. Jusqu’à ce qu’un des enfants crie. Ils se mettent alors à courir.
Comme poursuivis par un essaim de frelons, pense Cyn. Elle frissonne.
Abritée derrière les fonctionnaires, la famille présidentielle atteint la sortie du parking, tandis que deux hommes restent en retrait, faisant de vains moulinets avec leurs armes. Derrière eux, une silhouette grosse comme le poing bourdonne.
« Fuck ! Comment ces trucs sont-ils entrés là ? » jure l’un d’eux en pointant le canon de son arme en direction de la caméra. Sur les écrans, on aperçoit des bouts de murs, des gens et des véhicules dans tous les sens et on entend des détonations assourdissantes. Puis plus rien. Les présentateurs de journaux réapparaissent alors à l’antenne.
Dans la pièce, un soupir collectif. Cyn se demande s’il traduit un soulagement ou une déception.
« Putain ! » s’écrie Jeff, lorsque les images reviennent. « Il reste encore une caméra ! »
Contre-plongée, une mêlée de jambes qui courent. Cet appareil est tapi quelque part, comme un animal sauvage prêt à fondre sur sa proie. Cyn se rend compte que ces images la tiennent en haleine.
« Il y en a encore, Chuck ! » hurle dans son téléphone Erben Pennicott, le chef d’état-major de la Maison-Blanche. Sa main libre se contracte de colère. Sur les écrans des ordinateurs et des téléviseurs de son bureau, la famille présidentielle et les gardes du corps atteignent la pièce suivante. Il n’y a plus que deux paires de rangers noires à l’image. Mais soudain la caméra les dépasse et poursuit le Président. Détonations. Cris. L’objectif capture le regard terrifié et la bouche hurlante de l’homme le plus puissant du monde ; c’est interminable !
« Bon Dieu ! Bon Dieu ! pense Erben en grimaçant. Ces images font le tour du monde. Quelle image désastreuse du Président ! Pas la moindre trace de dignité ! »
À la suite d’une nouvelle salve, l’écran s’assombrit. Le téléphone à l’oreille, Erben est médusé. Il ignore qui tire. Les fonctionnaires ? Les drones ? Le débit de parole des journalistes s’accélère. Que se passerait-il si le Président ou l’un des membres de sa famille était touché ? Il se lève précipitamment.
Il court maintenant le long des couloirs et traverse les pièces de l’imposant complexe. Des coups de feu de nouveau. Encore une autre pièce, où pourrait loger une dizaine de personnes. Face à lui, la porte à double battant est ouverte. Protégés par trois hommes entraînés, les enfants du Président courent dans sa direction, derrière eux la Première dame, enfin le Président en personne et d’autres officiers de sécurité. Du coin de l’œil, Erben aperçoit une ombre se glisser entre leurs pieds. Le cortège le dépasse. Les hommes tirent en direction du sol.
« Vous êtes fous ? » leur crie-t-il. « Où est cette saloperie ? » jure-t-il tandis que son regard passe de l’écran de son smartphone à différents endroits de la pièce.
« Là ! » crie un officier en pointant son arme en direction d’un sofa.
Erben, d’un geste, dévie son tir. Les balles crépitent sur le plafond et un nuage de plâtre se dépose sur eux.
« Arrêtez de canarder ! » Il a découvert le petit robot. Il ôte son veston, et, soudain, se jette sur l’araignée métallique, pour la prendre au piège.
« Oh ! » soupirent quelques-uns dans la salle de rédaction lorsque le moniteur s’obscurcit. Mais la déception n’est que passagère car d’autres images apparaissent, prises en contre-plongée cette fois. Elles déclenchent des hurlements dans la salle de rédaction. On y voit Erben Pennicott qui fouille dans son veston en boule. Il brandit son poing, arborant une mine triomphale. Entre ses doigts puissants, de petites pattes métalliques. Il les arrache une à une pour ne conserver que le corps de l’appareil, de la taille d’une souris, qu’il manipule avec circonspection.
« C’est quoi ? demande Cyn. Qu’est-ce qu’il fait ?
— Ça ? répond Jeff. Un robot miniature avec une caméra. Lorsqu’il était étudiant, Pennicott a créé sa propre boîte d’informatique. Il l’a vendue ensuite pour plusieurs millions. Il s’y connaît dans ces trucs-là. »
En effet, entre ses doigts, le chef d’état-major tient quelque chose que Cyn ne connaît pas.
« Une puce pour téléphone mobile ! » tonne la voix grave de Pennicott, tandis que les officiers de sécurité continuent de chercher fébrilement d’autres appareils. « Déconnectez immédiatement tous les réseaux de téléphonie mobile ! »
Une ombre obscurcit les images de la dernière caméra, les voix sont étouffées. Elle a à son tour été prise au piège dans un vêtement.
« C’est qui Zero ? Ou c’est quoi ? » tempête Anthony en faisant les cent pas dans la salle de rédaction. « Des terroristes ? Charly, t’as un truc ?
— Des activistes du Net », répond ce dernier en se grattant le crâne.
Charly est un fossile du Daily. Il travaille pour le print, c’est de là que le connaît Cyn. Elle parierait qu’il barre sur un calendrier tous les jours de travail qui le séparent de la retraite, et depuis belle lurette !
« Un peu comme les Anonymous. Mais pas aussi connus. Ils ont balancé quelques vidéos sur la toile, avec quelques conseils pour échapper à la surveillance globale. The Citizen’s Guerrilla Guide to the Surveillance Society.
— En tout cas, ils ne sont plus inconnus maintenant. Mais quelle putain d’histoire ! Je n’aimerais pas être à la place de ces mecs quand le FBI leur mettra la main dessus ! »
Pendant quelques minutes, Cyn écoute les bavardages excités de ses collègues jusqu’à ce qu’ils se taisent, se rendant compte que tout est fini. Il n’y aura pas d’autres images clandestines de la résidence de vacances présidentielle. Les déménageurs se remettent au travail, les techniciens reprennent le leur sous les bureaux et tirent les derniers câbles, serrent les dernières fixations.
« Et maintenant ? demande Jeff.
— Maintenant ? Tu me rédiges un article là-dessus », répond Anthony.
C’est un type intelligent, de l’âge de Cyn, un manager et un comptable, et de plus créatif, ainsi qu’en témoignent sa garde-robe et sa coupe de cheveux. Il a été nommé à la tête du journal par les propriétaires pour « le conduire dans le futur ». Un futur qui se trouve sur Internet.
« Jeff, Charly, faites-moi des recherches sur Zero. Déterrez-moi tout ce que vous pouvez ! Cyn, tu suis l’enquête.
— Internet, c’est pas mon truc », lui rappelle-t-elle tandis qu’il farfouille dans un carton.
« Internet, c’est votre truc à tous ! » rétorque-t-il sans même la gratifier d’un regard.