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Elle suit donc à la lettre les conseils de son app.

Une fois leurs hôtes partis, Viola retrouve son téléphone. « Maintenant, je dois vraiment aller réviser.

— Ces conseils sont-ils toujours aussi précis ? » lui demande sa mère.

Elle lui montre l’écran.

Ne t’occupe pas des mathématiques. Il est trop tard. Je t’aiderai à rattraper ce que tu as manqué dans les jours à venir. Fais un peu de physique. C’est le mieux, et ça t’occupera l’esprit.

S’ajoutent au message un titre de livre, des numéros de pages et des liens.

« Ne devrais-tu pas plutôt te reposer ? Après tout ce qui s’est passé ? T’arriveras à bosser ? » s’enquiert-elle, soucieuse. « Je veux dire, votre ami Adam…

— Que je ne fasse rien ne le fera pas revenir. Penser à autre chose, c’est précisément ce qu’il me faut. »

Cyn se demande si Viola a lu cette phrase sur son smartphone. Mais elle ne veut pas se montrer insistante. « Très bien. Je suis là si tu as besoin de quoi que ce soit.

— Merci maman. »

Elle l’embrasse sur le front et la regarde rejoindre sa chambre.

Pensive, Cyn reste dans le couloir, fixant la porte fermée. Les images de la journée s’entremêlent dans sa tête. Son téléphone vibre. Une fois de plus. Elle rejette l’appel sans même regarder de qui il s’agit.

Sur le bureau d’Anthony, quatre téléphones sonnent de concert. Voilà des heures que les journalistes veulent des informations sur Cynthia Bonsant et sa fille. Sa boîte mail est sur le point d’être saturée. Le rédacteur en chef est en ébullition ! Partout, on voit les images du lieu de la fusillade prises par la police. Ainsi que celles où apparaissent Cyn et les jeunes gens prises par d’autres journalistes restés à l’extérieur du périmètre de sécurité. La photo de Cynthia dans l’entrebâillement de sa porte tourne également en boucle. Elles sont quasiment autant diffusées que les captures d’écran du compte Freemee d’Adam, que l’avis de recherche de Lean, et que le pistolet aperçu du point de vue du jeune homme. Et eux, au Daily, ils doivent acheter des images d’agence alors que leur propre journaliste était présente sur place et que sa fille est un témoin clef de l’affaire ! En Grande-Bretagne, ainsi que dans une grande partie de l’Europe occidentale, la mort d’Adam Denham a presque fini par éclipser le President's Day. La nouvelle vidéo de Zero à ce sujet a été visionnée des dizaines de millions de fois. Bon Dieu ! Le Daily aurait pu donner le la si seulement Cyn s’était montrée plus coopérative !

Anthony ne sait pas bien ce qui l’énerve le plus. Cette occasion ratée ou le refus de travailler de sa journaliste, qu’il prend comme un affront personnel.

Elle se prend pour qui, cette morue ? Demain, elle peut prendre ses cliques et ses claques.

Mel, à la tête du service de la publicité et des partenariats, frappe à la grande vitre par laquelle Anthony peut apercevoir toute la salle de rédaction. Il l’invite à entrer.

« Je viens de recevoir une demande dont nous devons rapidement parler.

— Pourquoi rapidement ? Comme si je n’avais pas assez à faire !

— Parce qu’elle est liée à Zero et à notre collègue Cynthia Bonsant.

— Ce n’est plus notre collègue, je viens de la virer.

— Tu devrais y réfléchir à deux fois.

— Et pourquoi ?

— Parce qu’un client potentiel voudrait investir quatre millions de livres. La seule condition, c’est que Bonsant rédige elle-même toute la série d’articles sur Zero, mais selon certaines règles.

— T’as déjà entendu parler de la séparation entre la publicité et la rédaction ? » demande Anthony, non sans ironie.

« Une bonne chose », rigole son interlocuteur.

Et Anthony de rire aussi. « Pourquoi Bonsant ? » demande-t-il après s’être repris.

« Parce qu’elle est devenue connue en raison de sa fille, de la mort d’Adam Denham et de la vidéo de Zero.

— Quinze minutes de célébrité…

— … que notre client veut prolonger et mettre à profit.

— On parle de la série d’articles de Jeff et de Cynthia, ou d’une campagne de publicité ?

— C’est une seule et même chose.

— Je ne comprends pas. C’est qui, ce client ?

— Sheeld, une start-up montante qui programme des applications pour la sphère privée. »

Anthony se rend aussitôt sur son site Internet.

« Sheeld », répète-t-il en lisant le texte de présentation de la page d’accueil.

« Une cacographie de shield. Ils ne veulent ni insertion publicitaire ni que leur nom soit mentionné.

— Je comprends encore moins… Alors, que doit leur apporter cette série ?

— Voici ce que le type m’a dit : depuis l’attaque de Zero contre le Président, la demande a explosé. Comme l’entreprise est leader dans son domaine, ils profitent de ces hausses. Il leur suffit donc que les débats autour de Zero perdurent. C’est à ça que doit servir notre série rédigée par Bonsant.

— Quatre millions… On peut en avoir besoin. Tu as dit “selon certaines règles”. Qu’est-ce à dire ? Que doit faire notre Cynthia ? »

Cyn jette un coup d’œil prudent à sa fille à travers la porte entrouverte. Elle dort, elle respire régulièrement et profondément. Cyn referme avec précaution. Les événements de l’après-midi la hanteront longtemps.

Elle s’installe à la table de la cuisine avec son ordinateur. Après cette folle journée, elle a bien mérité un verre de vin, même d’une infâme piquette bon marché. Elle en boit une gorgée.

À la vue des premières manchettes à côté de sa photo, elle manque de s’étouffer. Elle tousse tant qu’elle en pleure. Ahurie, elle survole l’article dans lequel on parle autant d’elle, ou presque, que d’Adam Denham.

Hé, parents, savez-vous ce que fait votre progéniture ?

Son visage dans l’encadrement de la porte est repris par les médias comme symbole de l’inconséquence et de l’ignorance des parents. En proie à la colère, elle se demande si elle ne va pas écrire un commentaire. Elle renonce. Sa boîte mail déborde. D’innombrables médias britanniques et étrangers veulent l’interviewer. Quelques mails émanent d’amis inquiets qui n’ont pu la joindre au téléphone. Cyn les remercie de quelques mots.

Sur la toile, des articles où des internautes véhéments, des politiques enflammés et des commentateurs virulents débattent à propos des lunettes et de la reconnaissance faciale, à propos d’une éventuelle interdiction ou, tout du moins, de restrictions. Comme de bien entendu, leurs opposants soulignent que les milliers de caméras de surveillance londoniennes n’ont pu empêcher un tel événement.

Des articles déroulent la vie d’Adam, son enfance couvée, sa jeunesse de fils unique, sa mère institutrice, son père employé de banque.

C’était leur seul enfant, se dit Cyn, la gorge nouée.

Sur les dernières images d’un reportage, la transformation d’Adam est flagrante. Ça lui rappelle celle de sa propre fille et les étranges conseils qui pleuvent toute la journée. Soudain, le comportement de Viola, ses accès de bonne conduite, ne lui semblent plus heureux, mais suspects. Comment peut-on, après quatre ans d’insolence, adopter ce comportement avenant et serviable, quasiment du jour au lendemain ? Elle se souvient de l’échange de regards discrets avec Eddie avant qu’ils ne se mettent à parler des Act Apps. Pourvu qu’elle ne soit pas tombée dans les griffes d’une secte ! Elle doit savoir coûte que coûte qui communique ces conseils à sa fille, et qui elle écoute. N’est-ce pas le même type de programmes qui a transformé Adam ? N’était-il pas devenu trop casse-cou ?