Zero prend l’apparence d’un policier et continue.
« Imagine : ton gouvernement ou la police exigeraient que tu portes en permanence une petite boîte qui leur apprendrait où tu te trouves et ce que tu fais. Tu leur ferais un doigt d’honneur ! Mais les oligarques de la base de données, tu les payes grassement pour qu’ils t’espionnent. C’est le grand art de la surveillance ! Tu voudrais que je te donne mon argent pour que tu me localises et que tu utilises mes données ? Les services secrets peuvent en prendre de la graine ! »
La voix se fait plus basse, plus tranchante également.
« Les voici avec leurs chevaux de Troie, ils te promettent des résultats rapides dans les moteurs de recherche, de nouveaux amis, des cartes routières, de l’amour, du succès, un corps musclé, des offres promotionnelles et que sais-je encore ! Mais les prédateurs sont là, tapis, n’attendant que le bon moment pour frapper ! De leurs flèches, ils te transpercent le cœur et l’esprit. Ils te connaissent mieux que n’importe quel agent secret. Ils te connaissent mieux que toi-même ! Seule demeure une question souvent posée : qui surveille ceux qui surveillent ? Et ceux qui surveillent ceux qui surveillent ? Mais peut-être avons-nous la réponse. Chacun surveille chacun », chantonne Zero, presque joyeusement, en agitant son index face à la caméra.
« Little Brother, I’m watching you. » Soudain, il reprend son sérieux. « Mais pas nous ! Et n’oublie pas qu’il faut terrasser l’hydre des données. »
« Bien foutu, observe Cyn.
— Ce n’est pas fait avec des logiciels d’animation, constate Jeff.
— Zero a posté une quarantaine de ces vidéos au cours des dernières années, fait Charly.
— Je vais les regarder d’ici demain, dit Jeff.
— OK. Et je vais voir s’il y a des résultats concernant l’enquête », annonce Cyn en prenant son sac à main. « Il est 19 heures passées.
— Attends ! » crie Jeff en la voyant s’en aller. « Tu ne sais pas encore ce qu’il y a de mieux dans ces lunettes : la reconnaissance faciale.
— La quoi ?
— Tu la trouves déjà sur Facebook ou dans des logiciels photo. Depuis peu, tu peux identifier tous les visages grâce à Internet. En temps réel ! Regarde ! »
Il enfile les lunettes, la regarde et lui tend son smartphone.
Bonsant, Cynthia
Naissance : 27/07/1972 Taille : 1,65 m
Adresse : 11 Pensworth Street, Londres, NW6 Kilburn
Numéro de téléphone portable : +4475269769
Téléphone fixe : anonyme (plus >)
E-mail : cynbon@dodnet.com
Profession : journaliste
Situation familiale : divorcée de Cordan, Gary (plus >)
Enfants : Bonsant, Viola (plus >), > profil Freemee
Mère : Sandwell, épouse Bonsant, Candice, décédée (plus >)
Père : Bonsant, Emery, décédé (plus >)
Photos : …
Plus d’informations Freemee :
Professionnelles : à partir de £ 0,02 {> acheter)
Analytiques : à partir de £ 0,02 (> acheter)
« Il y a tout sur toi, commente Jeff. Et qui est cette jeune fille ici ?
— Ma fille. »
Elle n’a jamais vu d’un très bon œil cette manie qu’ont les jeunes de poster aussi facilement des photos d’eux sur Internet. D’autant plus lorsqu’il s’agit de sa propre fille.
« Elle est gothique ? demande Jeff.
— C’est du passé, heureusement. »
Une nouvelle photo montre Viola avec les cheveux courts et blonds. Elle a dix-huit ans, a hérité du visage allongé de sa mère et des boucles blondes de son père, coiffées avec désinvolture.
« Elle est méconnaissable ! » s’exclame Jeff.
Deux dizaines de photos de Cyn, à des âges différents, apparaissent également, l’une datant même du collège. Elle provient d’un réseau social destiné à retrouver d’anciens camarades de classe.
Elle plisse le front. « Que signifient “professionnelles” et “analytiques” ?
— Des informations, des analyses. Pour qui tu vas voter, ce que tu vas acheter, où tu partiras en vacances, etc.
— Et comment le sauraient-ils ?
— Oh ! Ils peuvent le calculer sans problème grâce à ce qu’ils savent sur toi et sur des milliards d’autres personnes.
— Tu plaisantes ?
— La plupart des entreprises font ça maintenant », explique Jeff avec indulgence. « Et depuis longtemps ! Tu as un téléphone, des cartes de fidélité pour tes courses, ton essence, tes vacances, ta carte de crédit, que sais-je encore ! Depuis des années, tu laisses derrière toi une quantité de données. Comment crois-tu que les assurances, les banques et les organismes de crédit évaluent les risques ? Une société de cartes de crédit sait à 95 % quels clients mariés divorceront au bout de cinq ans.
— Alors ils auraient pu me prévenir à temps », commente Cyn, sèchement.
Jeff esquisse un large sourire. « Mais ça a aussi ses bons côtés. Pour te donner seulement deux exemples, Google peut suivre, et même prévoir, l’évolution des épidémies de grippe en temps réel grâce aux requêtes sur son moteur de recherche, et les prévisions météorologiques sont aussi devenues plus fiables grâce à ces programmes.
— Pourtant, on continuera de gueuler après les bulletins météo », grogne Charly.
Jeff enchaîne. « Tu connais tout de même la fameuse histoire du supermarché Target ?
— Tellement fameuse que je n’en ai pas entendu un mot », soupire Cyn. Tout ce qu’elle veut, c’est rentrer chez elle, la journée a été longue. Mais Jeff est intarissable.
« Le magasin Target sait depuis des années, grâce aux données collectées par l’intermédiaire des cartes de fidélité, que ses clientes enceintes achètent tels types de produits suivant les stades de la grossesse. Du savon sans additif, du coton à démaquiller non coloré, etc. À l’inverse, ils savent aussi qu’une femme achetant l’un de ces produits est probablement enceinte. Du coup, Target peut prédire presque au jour près la date de naissance de l’enfant.
— Tu te fous de moi ?
— Non, rétorque Jeff. Il s’agit de la reconnaissance des modes de comportement. On parle d’analyse prédictive. De nos jours, nous croyons tous être différents. Pourtant, nos comportements sont uniformes. Donc prévisibles. C’est ainsi que la police traque les criminels en série. Les pyromanes et les violeurs agissent souvent de la même manière. À l’aide de programmes, les flics peuvent prédire rue par rue, dans chaque ville, quand aura lieu le prochain délit, qu’il s’agisse de vente de drogue ou d’un casse. Ainsi, ils peuvent anticiper. De plus en plus de villes disposent de ce genre de programmes.
— On se croirait dans Minority Report, intervient Charly. Un bon film.
— On n’en est plus très loin. Les premiers jalons sont posés. Dans certains États américains, on ne se donne plus la peine de présenter aux juges d’application des peines une partie des détenus parce que quelqu’un, grâce à des algorithmes, a prédit qu’il y avait d’importantes probabilités qu’un pourcentage précis de prisonniers récidive au cours des trois années suivantes.
— Et lorsqu’on fait partie de ceux qui ne récidiveront pas ? » s’exclame Cyn, hors d’elle.
« Tant pis pour eux. » Jeff hausse les épaules.
« Mais… ces gens n’ont même pas la plus petite chance de prouver qu’ils ne récidiveront pas ? » demande Cyn, décontenancée.
« Pff… De nos jours, la chance est indexée sur les calculs de probabilités. Plus ça va, plus ton avenir dépend de ton passé. On calcule ton futur à partir de ton passé.