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Le tuméfié explose.

— Cet horrible flic est entré dans ma cabine comme aux cabinets, il m’a demandé à brûle-pourpoint qui était remonté sur le pont pendant l’autopsie. Je lui ai répondu « personne », ce qui est la vérité. Alors il s’est jeté sur moi à bras raccourcis en me couvrant d’injures.

— Et s’sus prêt à continuer la séance ! affirme le Tonitruant.

Cette fois je m’emporte.

— Ça suffit, Béru. Je vais tirer cette affaire au clair.

Le Dodu se renfrogne et rabat ses manches de chemise en maugréant des choses funestes.

— Capitaine, poursuis-je en m’adressant au second, vous reconnaissez ne pas avoir quitté la tourelle depuis que nous sommes redescendus ?

— Je reconnais, je reconnais, déclare l’interpellé.

— Vous ne vous êtes pas absenté un seul instant ?

— Absolument pas !

Il a un visage sympa, énergique, avec de grands yeux bleus assombris par l’indignation.

— Alors comment expliquez-vous que quelqu’un soit remonté sur le pont pendant l’autopsie, ait tué le professeur, et soit redescendu sans attirer votre attention ?

Il hausse les épaules.

— Je n’explique rien, monsieur le commissaire. Mais j’affirme que personne n’est monté ou descendu pendant que je vérifiais le périscope, un point c’est tout. Et ce ne sont pas les voies de fait de votre gorille qui me feront dire autre chose !

— Vu que c’est toi l’assassin, pardine ! ne peut s’empêcher de clamer le Gros.

L’officier se tourne vers moi.

— Si cet imbécile continue de m’injurier, nous allons au-devant de nouveaux malheurs, m’avertit Leborgne-Daideux.

— Écoutez, enchaîné-je, vous sentez bien que quelque chose ne va pas dans vos déclarations. Capitaine, les faits sont là, tout crus : le professeur a été assassiné sur le pont. Nous l’avons laissé en compagnie de deux morts. Lorsque nous sommes remontés, on l’avait tué. Vous, vous affirmez que personne n’est allé sur le pont, mais puisqu’on l’y a tué… Vous niez une évidence !

Il secoue la tête.

— Je dis la vérité. La vérité ! La vérité !

— Rappelez bien vos souvenirs. À un moment ou à un autre, vous avez quitté le périscope pour aller chercher un outil, ou pour donner un ordre…

— Non !

— Mais…

Il s’emporte.

— Non, vous dis-je ! Il me suffirait de vous répondre oui pour me laver de l’infamant soupçon qui pèse sur moi. Mais je ne peux vous répondre oui car ce serait un mensonge, et dans la marine française on n’a pas pour habitude de mentir, termine-t-il en complétant par un soupir dans lequel je crois déceler les deux premières mesures de la Marseillaise.

Un de mes collègues de la Défense suggère :

— Et si l’assassin était resté caché sur le pont ? Je sais bien que les cachettes y sont peu nombreuses, mais enfin la chose est tout de même réalisable. Une fois que nous sommes redescendus, le meurtrier accomplit son forfait, retourne à sa cachette et attend que nous remontions. Il lui a été alors facile de se mêler discrètement à nous pendant la confusion qui a suivi.

La thèse est valable. Je m’apprête à en convenir lorsque le capitaine intervient :

— J’ai le regret de vous dire que c’est impossible, monsieur.

— Pourquoi ?

— Mais parce que le steward a été tué PENDANT que le professeur était sur le pont. Donc, l’assassin ne s’y trouvait plus !

— Conclusion, risque le Mastar en désignant le second…

Un silence de vingt tonnes se met à peser sur nous.

Il est heureusement rompu par l’évanescent Dominique Lancin.

— D’après l’avis du professeur, les deux matelots sont morts pour avoir respiré un gaz extrêmement toxique, peut-être qu’en pratiquant l’autopsie, le professeur a libéré une infime partie du gaz qui subsistait dans les cadavres. Il l’a respiré et en est mort à son tour !

Assassiné par des cadavres, en somme ? L’idée n’est pas à repousser. Il n’empêche que notre raison commence à branler sérieusement du manche, mes amis. Je me dis que les crimes les plus audacieux sont les plus difficiles à élucider. On trouve un gars zigouillé en plein Paris, illico on met en œuvre un dispositif qui, onze fois sur dix, permet l’arrestation du coupable. Là, nous sommes une poignée d’hommes dans un espace réduit. Quatre personnes sont tuées et on n’arrive pas à déterminer qui a fait le coup. C’est obsédant. On est quatre flicards à bord. Fins limiers réputés ! Quatre craks abasourdis et on tournicote dans notre mystère, comme des bouts de bois dans un remous.

Je considère le second avec attention. Effectivement, lui seul a pu tuer le professeur, si celui-ci n’est pas mort comme vient de le supposer notre petit camarade Lancin. Nous nous rabattons donc sur l’idée initiale : faire défiler devant notre aréopage chacun des membres de l’équipage, le questionner bien à fond pour connaître ses faits et gestes au cours de la période qui fut fatale au steward et au professeur.

La procession commence. On ratisse scrupuleusement l’emploi du temps des matelots. On reconstitue leurs allées et venues et on découvre qu’aucun d’eux n’est jamais resté complètement seul. Chacun peut témoigner pour un autre, ce qui revient à dire que le second est bien le coupable, ou qu’il existe plusieurs assassins à bord.

Si vous voulez bien, on va se faire une pause-café pour vous permettre de bien piger la situation, mes drôles.

Je me doute que ça doit pas être complètement au feu vert dans vos petites tronches anémiées. Y en a qui doivent béquiller de la pensarde, hein ? Faut pas avoir honte, les gars. Tout le monde peut pas être intelligent et gagner au tiercé. Ce qu’il faut, surtout, c’est ne pas vous affoler.

Parce que si vous perdez pied maintenant, vous ne pourrez plus suivre.

Et ce qui va suivre n’est pas bouffé aux mites, je vous avertis !

Alors relaxez-vous, réfléchissez, prenez une douche, changez de chemise, libérez votre vessie et venez me rejoindre au chapitre suivant.

C’est un des meilleurs.

CHAPITRE VII

Il est sept heures du matin lorsque je m’éveille. Sept heures (moins quatre, pour être précis et si je me fie à ma montre. Pourquoi ne me fierais-je pas à une montre suisse contrôlée ? Dans un monde où tout est devenu bluff, la montre suisse est l’ultime refuge de la confiance universelle. Il n’est plus que ses deux aiguilles pour tricoter la vérité de chaque instant.

J’ai eu un sommeil tourmenté, nauséeux, à cause de la gnole ingurgitée au cours de la sinistre soirée. On a passé des heures à épiloguer, à tergiverser, à ronchonner, à échafauder, à suggérer, à réfuter, à proposer, à ergoter, à palabrer, à clamer, à déclamer, à réclamer. Ah ! oui : triste veillée. Le commandant se refusait à poursuivre sa route avant que nous ayons mis la main sur le meurtrier. C’est dans le fond Béru qui l’a décidé, grâce à cette saine logique qui lui permet d’exprimer en peu de mots ce que d’autres pensent en termes choisis.

— Commandant, lui a-t-il déclaré, on est tous dans le même bateau, c’est une espèce de comble que ça soye les civils qui voulussent poursuivre la mission, et que ça soye les marins qui se dégonflassent. Moi, je resterais tout seul dans votre citerne à mazout, que je continuerais malgré tout pour peu que je susse la conduire.

Là-dessus, il a quitté le carré des officiers, Béru. Dans le fond, le dernier carré c’est lui.