Выбрать главу

Je hausse ces épaules qui impressionnent tellement les dames et mon tailleur.

— Alors, fais Béru. Suis ton inspiration, et que le ciel te dicte la marche à suivre.

— Tu veux pas t’en charger, toi ? demande-t-il, saisi d’une brusque timidité.

J’agite mon index avant de m’en servir.

— Dans les tombolas, on fait toujours appel à une main innocente.

— Kil en soie fête ce long tas veau long thé ! dit-il.

Un bruissement derrière nous. C’est la môme Dominique, chancelante.

Elle m’émeut. Une criminelle ? J’ai peine à le croire. Elle est si frêle, si désemparée. Et belle avec ça. Comment avons-nous pu la prendre pour un homme. Je ne vois plus que ses seins agressifs, que les lignes harmonieuses de son visage, que le velouté de sa peau. Par mesure de sécurité pourtant, je regarde ses mains. Elles sont vides.

Elle n’a d’yeux que pour les deux cadavres gisant dans le poste de pilotage.

— Restez pas là, conseillé-je.

— J’ai peur, balbutie-t-elle.

Elle demande, d’une voix basse, presque timide :

— Qu’allez-vous faire ?

— Tenter une manœuvre à la désespérée pour essayer de remonter. Si nous parvenons à la surface, je taperai des S.O.S. à la radio, cela je sais le faire…

— Bon, s’impatiente le Gros, on usine, mec ?

— On usine ! réponds-je.

Il rigole, l’Inconscient.

— Attachez vos ceintures, m’sieurs-dames, on va p’t’être bien traverser une zone orageuse.

Sa formidable patte velue plane au-dessus du tableau de commandes. Elle hésite. Je sens que le sort est en train de s’enclencher. De mystérieux rouages se mettent à fonctionner sous le capot du destin, comme l’a si joliment écrit Jean-Paul Sartre sans son traité bougnafique sur l’interpénétration du réel dans l’admission à l’intemporel défromagé. La main de Dieu ? Pourvu qu’elle ne s’égare point dans la culotte d’un zouave, mes chéries !

— Vas-y, mon Kiki, c’est pas la mer à boire, déclame Alexandre-Benoît en actionnant la plus importante des manettes.

CHAPITRE IX

Nous basculons. Comme si le sous-marin venait de se cabrer. Nous roulons pêle-mêle contre le tableau des commandes.

— Vite ! Vite ! On descend ! beuglé-je.

— T’occupe pas, j’ai plus d’une corne à monarque, rassure le Gros en se dégageant de cette petite mêlée de rugby.

Il allonge la main, empoigne une autre manette. La vitesse du bâtiment diminue sensiblement, mais il garde sa position inclinée.

— Y a du mieux, attend que je continuasse, lance Sa Majesté pilotante.

Il exécute une troisième manœuvre. Cette fois, on a l’impression que le submersible est pris dans un toboggan. Il se trémousse, il frétille. On roule. On coule, on croule, on s’écroule, on se déroule, on s’enroule, on s’en houle. Pourtant, il semble que notre plongée soit freinée. Et puis les soubresauts s’apaisent. Et — ô, miracle ! — l’Impitoyable s’apitoie. Il remonte ! Vous avez bien lu, mes frères ? Il re-monte ! Peinardement, au petit train, à la pépère… C’est majestueux à force de lenteur, mais justement parce que c’est lent, ça nous grise.

— Eh ben, vous voyez, déclare le Satisfait, pas science haie longue heure d’étang, fée plût queue force et garage ! Me reste plus qu’à dénicher l’accélérateur.

Je me redresse, assure tant bien queue mâle ma position verticale en prenant appui contre la cloison et affirme :

— Béru, si tu touches à quoi que ce soit maintenant, je te fais bouffer ton slip.

— Réfléchis, San-A., proteste le pilote hors ligne, je sais comment t’est-ce qu’on monte et comment t’est-ce qu’on descend ; faut bien que je trouve comment t’est-ce qu’on s’arrête !

— Tu chercheras quand nous aurons refait surface, c’est cela avant tout qui importe.

— Et on saura comment qu’on a fait surface ?

— Quand on aura cessé de grimper, C.Q.F.D. !

— Sois poli ! rouscaille l’Enflure.

Il réfléchit. C’est vraiment un penseur, Bérurier, dans les instants d’exception.

— Tu pourrais p’t’être hisser le père iscope, me dit-il. Qu’on susse le moment où qu’on démerdera[10].

L’idée est valable. Rien de plus zaizé que de sortir le périscope. Il est commandé électriquement et j’ai vu naguère de quelle manière on s’y prenait pour le développer.

J’opère la manœuvre. Un voyant s’allume. Ça dure un chouïa et il s’éteint. Je me file la pipe dans la gaine de caoutchouc du viseur. Je n’aperçois rien. C’est plus trouble que l’intérieur d’une boîte de caviar. On devait vadrouiller à une drôle de profondeur, croyez-moi[11].

J’attends un moment. Dominique est venue me rejoindre.

— Vous croyez qu’on va s’en sortir ? demande-t-elle.

— Pourquoi pas ! objecté-je pertinemment.

— Si nous nous en tirons, commence la jeune fille…

Elle se tait.

— Eh bien ? stimulé-je.

— Il me semble que j’aurai la foi !

— En Dieu ou en nous ?

Elle secoue la tête.

— Ne proférez pas de paroles sacrilèges, commissaire.

— Donc, vous l’avez déjà, lui dis-je… Qu’est-ce que vous fabriquiez, l’autre nuit, chez Hourrou ?

— On m’avait ordonné de le contacter.

— Qui ?

— Mais, ces messieurs de la Défense. Seulement, quand je suis arrivée chez lui, je l’ai trouvé mort.

— Vous faites partie des services de Renseignement ?

— Un peu… Côté technique…

— Les deux copains savaient que vous étiez des leurs ?

— Naturellement.

— Ils ont fouillé votre cabine, hier ?

— Oui. C’étaient des garçons consciencieux.

— Ils savaient que vous étiez une femme, bien sûr ?

— Ce sont eux qui m’avaient conseillé de prendre une apparence masculine pour que je me sente plus à l’aise parmi tous ces hommes.

— Dominique, c’est votre vrai prénom ?

— C’est mon vrai prénom, ça tombe bien, murmure la jeune fille.

Elle semble s’être quelque peu ressaisie… Des couleurs réapparaissent sur ses joues et son regard est moins marqué par l’effroi ; car on s’habitue à tout, même à l’épouvante, mes bons amis.

Je cesse de la questionner car il me semble que le voyant du périscope est moins opaque. Une confuse clarté naît dans le sombre tourbillon de machine à laver en action qui brouille l’objectif.

— J’ai l’impression qu’on n’est plus très loin de la surface, annoncé-je.

Pour le coup, mes compagnons oublient les cadavres environnants. L’air libre… La lumière… Le vent. Le ciel. Des nuages… C’est le salut, c’est la vie.

— À ton avis, faudrait faire quoi t’est-ce que ? demande le Gros.

— Attends encore. Nous aviserons lorsque nous serons sortis des enfers.

À vrai dire, je ne sais trop ce qui va se passer une fois que nous aurons émergé. Mais je compte fermement sur notre bonne étoile.

— Ça y est, hurlé-je, en découvrant un ruissellement lumineux.

Non seulement il fait jour, mais de plus il fait beau. Il me semble déjà respirer à pleines éponges le grand air du large… La lentille du périscope devient nette… J’aperçois les vagues moutonnantes, un ciel pur, presque azuréen dans lequel des oiseaux aux longues ailes lentes évoluent. Des oiseaux ! Donc la terre n’est pas loin. Serions-nous tout à fait sauvés ? Se pourrait-il que…

вернуться

10

Du verbe béruréen démerder, qui signifie s’extraire de la mer.

вернуться

11

Si vous refusez de me croire, je ne m’en formaliserai pas.