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— Occupe-toi pas du chapeau de la gamine, décrète le Déconcertant en se remettant debout, maintenant que j’ai repéré la manœuvre de remontée, on est bonnard.

— Je te dis que les ballasts sont nazes, hé, rat d’égout ! En plus de ça, la machinerie est k.o…

Voilà qui le rend méditatif.

— En somme, si je comprends bien, murmure mon cher compagnon d’infortune, on est échoué définitivement ?

— Tu as résumé la situation…

Ça remue à l’autre bout du local. C’est Dominique qui a repris conscience. Une pénombre jaunâtre comme un clair-obscur à la Rembrandt enveloppe le poste, et je constate que nous respirons déjà un peu moins librement. D’ici pas longtemps, ce sera l’affreuse asphyxie, lente, inexorable.

— Si près de la terre, murmure la jeune fille.

Il y a de la résignation dans ses paroles. Une espèce de consentement infini, de fatalisme. Béru ne les entend pas de cette manière, qui s’écrie :

— La môme a raison, San-A. Si près de la terre, ce serait un peu gland de mourir. Faut essayer quelque chose !

— Avant tout, déclaré-je, réunir des lampes électriques de poche car dans quelques minutes ce sera le black in complet.

On se file en branle illico, tous les trois. Nous voilà partis dans les cabines, à explorer les tiroirs. Très vite nous sommes à la tête d’une demi-douzaine de calbombes.

— Et maintenant ? questionne Sa Majesté.

— Descendons au magasin.

Il braque sur moi le faisceau de sa loupiote.

— Au magasin ! Hé, dis, San-A., tu te crois sur les Champs-Elysées ?

— On appelle magasin la soute où sont stockées les denrées et accessoires nécessaires à la vie du bord.

— Qu’est-ce t’espères y trouver ?

— Des équipements de plongée, il doit bien y en avoir sur un sous-marin pour permettre de réparer les avaries éventuelles.

Il me prend le bras.

— Où est la môme ? demande-t-il brusquement.

Je promène le rayon de ma propre lampe alentour. Effectivement Dominique n’est plus là. Je l’appelle, elle ne répond pas.

— Cette garce vient de nous fabriquer, gronde le Pachyderme. Tu veux parier qu’elle s’est débinée ?

— Pour aller où, Gros ? On est tous dans la même galère, non ? Et une galère échouée, qui pis est !

— En tout cas, elle manigance un coup fourré. C’est elle l’assassine, gars. Elle a pas pu nous effacer plus tôt, mais c’est un prêté pour un rendu.

— Je ne pense pas, Béru.

— Oh toi, nature, du moment qu’une gamine beau-sourire te papillote des stores, tu chopes des vapeurs. Chez toi, c’est un rolleiflex qu’on dit sonné ! Qui c’est le tueur du bord, alors ? Moi, p’t’être ? Comme t’en avais l’intention au début ? Ou bien toi ?

— Je ne peux pas croire qu’un meurtrier, à moins d’être fou à lier, se soit lancé dans une aventure aussi sinistre.

— S’il a la mentalité des japonouilles pendant la dernière guerre, tu sais : les chérubins qui chiquaient à la torpille humaine. Les amis casés, comme on les appelait…

Ça ne me convainc pas. Un fanatique dont la mission consisterait à neutraliser l’Impitoyable aurait carrément fait sauter le sous-marin, il ne se serait pas amusé à éliminer les membres de l’équipage pour périr lui-même à petit feu. Il aurait laissé survivre des hommes susceptibles de ramener le bâtiment dans un port, au lieu d’épargner deux flics aussi instruits des choses de la sous-mer qu’un garçon de ferme de l’énergie thermo-nucléaire. C’est ce que j’explique à Béru. Alors il se fâche.

— Et pourquoi tu me traitais d’assassin, tout à l’heure, moi Béru, moi ton homme de confiance, moi que je t’ai si souvent sorti les pines du pied, hmmm ?

— À cause de ton rêve de cette nuit, Gros. Devant l’énormité de la situation, je me suis dit que tu étais peut-être devenu fou et que tu avais agi dans un état second…

— État sœur ! s’emporte le Mastar. Cette suspection, San-A., je te la pardonnerai jamais, si tu veux tout savoir.

Il est interrompu par un bruit qui n’est pas sans rappeler le déplacement d’un troupeau de vaches bernoises dans les montagnes Oberlandes.

Nous conjuguons nos lumières et voyons déboucher Dominique dans la coursive. Elle ploie sous la charge. Elle trimbale trois bouteilles d’air comprimé et trois combinaisons noires, en caoutchouc doublé.

— J’ai découvert ce matériel de plongeurs dans la cale, fait-elle en déposant tout son bastringue à nos pieds. Vous savez vous en servir ?

— Oui, dis-je, mon record c’est soixante mètres.

— Le mien n’est que de cinquante, dit-elle, mais je ne pense pas qu’en limite de côtes nous gisions à une plus grande profondeur.

Béru louche sombrement (d’autant plus qu’il est dans une demi-obscurité) sur le tas de carapaces noires, sur les bouteilles jaunes, sur les masques vitrés, sur les palmes (très académiques) et déclare :

— En ce qui concerne mécoinsse, y a pas de record vu que je saurais jamais me servir de ce bidule.

— C’est bête comme chou, le rassuré-je.

— Parle pas de chou, ça me donne faim ! Si tu espères que je vais me mettre ce circus sur les endosses, tu te fais des illuses, mon pote.

Il soulève une bouteille et fait la grimace :

— D’autant qu’avec c’t’usine à gaz dans le dos, je pourrais jamais remonter.

— Au contraire, ça fait flotteur, hé, truffe moisie ! Pour descendre, on est obligé de se lester avec des lingots de plomb.

Je choisis la plus large des combinaisons et la lui colle dans les bras.

— Dessape-toi et enfile cette tenue de soirée, à moins que tu tiennes absolument à claboter dans cette carcasse d’acier.

En maugréant il obéit, aidé de Dominique. Mais comme il a du mal à s’introduire dans cette pelure, Pépère.

— Ne croyez-vous pas qu’il serait bon que je me talcasse ? minaude-t-il. Ou que je m’huilasse ?

— Mais non, ça va aller, geint la jeune fille en tirant sur le vêtement élastique.

Bibi, pendant ce temps, se met à la recherche du sas d’évacuation. Celui-ci se trouve derrière le poste d’équipage. Je m’empare du levier de commande et la paroi inférieure du sas s’écarte lentement. La lumière de ma lampe plonge dans le conduit très sobrement meublé d’une échelle de fer. Il va falloir s’introduire là-dedans, s’y enfermer, ouvrir le couvercle du dessus et partir en vadrouille dans l’océan perfide. Je réprime un léger frisson. Ah, croyez-moi, la vie est dure pour les supermen de mon espèce. Je me serais fait critique littéraire, j’aurais couru et encouru de moins gros dangers, mes filles. J’aurais risqué quoi, au plus ? D’être griffé par une auteuse ? D’accord, elles ont les ongles sales et on risque une infection, mais tout de même, c’est pas comparable !

M’étant ainsi assuré que rien n’est faussé, je retourne auprès de mes petits camarades.

Le Gros est équipé. Dans sa combine noire, il ressemble à un cachalot. Nous l’aidons à endosser sa boutanche d’air et je lui apprends à respirer avec l’embout.

— Surtout ne t’affole jamais, Gros. Pas de mouvements inconsidérés. Si tu avales une gorgée de flotte, n’arrache pas ton truc respiratoire. Il faut te maîtriser à tout prix. Ah ! autre chose, j’ignore à quelle profondeur nous nous trouvons, il se peut que nous gisions par plus de cinquante mètres. La pression va te malaxer les cerceaux. Faudra marquer des paliers tous les dix mètres, sinon tu risques de te faire péter les veines.