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Il fait une vilaine frime, je vous l’annonce. L’embout lui gonfle la bouche. Il a l’air d’unanimal préhistorique miraculeusement conservé dans de la glaise.

— On peut sortir à plusieurs par le sas ? s’inquiète Dominique.

— Par deux, fais-je.

— Alors, dit-elle, je partirai avec votre ami et je lui tiendrai la main, de façon à lui éviter toute fausse manœuvre.

Je mate le visage du Gros à travers son masque de verre : il chiale contre sa vitre ovale, le Béru. Tant de mansuétude chez une femme qu’il vient d’accabler des plus noirs soupçons, ça lui remue l’âme, au biquet.

— Allez, déclaré-je, en route !

Je les guide au sas. Avec des mouvements patauds, Dominique et Béru s’y engagent. J’explique à mon copain la manœuvre qu’il doit exécuter pour ouvrir le couvercle, je leur crie merde et je volante la fermeture du bas.

C’est alors que je me pose la question ci-dessous, mèche air lecteurs : « Qu’est-ce qui va t’opérer la manœuvre lorsque ce sera ton tour de filer ? ». Maintenant que tout circuit électrique est interrompu, la manœuvre ne peut qu’être manuelle. Or, comment va-t-on refermer le couvercle du sas après la sortie de mes aminches ?

Je cherche un autre volant susceptible de commander de ma place la fermeture dudit couvercle. En vain. In the babe, San-A. ! Very profondely.

*

Ce qui me différencie de mes contemporains, c’est que chez eux l’esprit de jouissance l’emporte sur l’esprit de sacrifice, comme le faisait si justement remarquer cet ancien capitaine promu maréchal, tandis que chez moi, l’esprit de jouissance découle de l’esprit de sacrifice.

Me voici con damné, irrévocablement, et l’impression dominante qui m’agite, c’est la joie.

Joie d’avoir pu sauver le Gros, ainsi que Dominique. Joie d’avoir vaincu, par personnes interposées, le sort malin qui nous entraînait aux abîmes.

Car je ne doute pas que mes deux ex-compagnons (du moment qu’ils ne sont plus là, je peux les qualifier d’ex, comme en Provence) n’atteignent la surface. Je vais mater les cadrans, mais à la lueur d’une lampe électrique, ils restent plus indéchiffrables encore. Je ne suis pas fichu de dégauchir le profondimètre. Tout ce que je peux interpréter, c’est la boussole. Elle indique le plein sud. Je vous parie une tarte à la pomme contre une tarte en pleine poire, qu’on a bien percuté la Terre Adélie, mes biquettes. Si Dominique et Béru ne crèvent pas de froid ni de faim, peut-être qu’un avion de reconnaissance les sauvera et méritera ainsi la leur[12]. Dès que je m’immobilise, il se fait à bord de l’lmpitoyable un silence sépulcral. Ah, comme ce sous-marin mérite bien son nom. Impitoyable, il l’est, en effet, pour le malheureux San-A., abandonné dans cette nécropole (sud) échouée comme une amphore jusqu’à la fin des âges. Car, qui donc se souciera jamais de renflouer le submersible, à une pareille latitude ? Il va s’entartrer, se carapacer, se caméléoner dans le fond marin, s’y souder !

Un jour peut-être quels océans disparaîtront. Quels beaux parkings en perspective ! Ce qui me console, c’est que mes funérailles ne coûteront pas chérot à Félicie. Elle s’obstinera à m’attendre le reste de sa vie durant, en pensant qu’il est trop démerde, son rejeton, pour ne pas pousser un jour ou l’autre la porte de notre jardinet. Oui, dans le fond, c’est mieux ainsi…

On renifle avec de plus en plus de difficulté. Est-ce un effet de mon imagination, éternellement survoltée ? Il me semble aussi qu’une vilaine odeur de mort se dégage. Je réfléchis. Existe-t-il un moyen se sortir du piège ? Non. Si j’ouvre la vanne inférieure, l’eau se précipitera dans le sous-marin avec une telle force que je serai écrasé par la pression. Alors ? Alors, rien !

Faut en prendre son parti. Peut-être que je devrais me tirer tout de suite une dragée dans le pot à tabac pour m’éviter les affres de l’asphyxie ?

Fichaise !

Au lieu de ça, je me dis qu’il doit y avoir d’autres bouteilles d’air, au magasin, et qu’elles me permettront de prolonger mon agonie au maxi. C’est formidable, cet esprit de conservation, non ? Comment expliquez-vous ça, vous autres ? Pardon ? Vous ne l’expliquez pas ? Tiens, vous voilà raisonnables pour une fois. Une force obscure m’amène à nouveau devant le sas. Ne représente-t-il pas l’image du salut ? Je repasse dans ma big tronche des lois et des formules de physique… Tout corps plongé dans un liquide… etc…

C’est une grave erreur des ingénieurs que de n’avoir pas prévu un double système de commandes À L’INTÉRIEUR dudit sas. Notez bien que dans les autres sous-marins il doit exister, mais pas dans le mien. Il s’agit d’une omission volontaire des armateurs, soucieux de justifier une péripétie supplémentaire dans cet ouvrage.

Depuis combien de temps Béru et la fille sont-ils partis ? Vingt minutes ? Un quart d’heure ? Ou bien une demi-heure ? Ou plus ?

Je m’assois tristement sur une caisse. Dans le fond (c’est le cas de le dire) mon sort est peut-être plus enviable que celui du Gros et de Dominique, lesquels risquent de crever rapidement de froid sur leur tas de glace. Moi, au moins, je meurs au chaud…

Un choc sourd fait vibrer le sas. Je redresse ma pauvre tête accablée. Nouveau choc. Sont-ce des hallucinations auditives ? Que non pas. Quelqu’un cogne contre la trappe. Je tends l’oreille. Pas d’erreur, on frappe bien à l’aide d’un objet métallique. J’hésite, mais moi vous me connaissez ? Je suis à bloc pour le droit d’asile et celui qui toque à ma lourde ne poireaute pas longtemps. Tant pis pour ce qui arrivera. V’là le gars San-A. qui se met à tourniquer le volant. De l’eau commence à ruisseler. Je tourne toujours. La flotte s’engouffre, de plus en plus abondante. Une vraie tornade. Ça me balaie… Je suis plaqué à la cloison. L’eau se répand dans le submersible… Elle fonce par la porte ouverte, s’étale… Puis, très vite, cesse de couler. J’en ai jusqu’à la hauteur des genoux. J’essaie de piger ce qui vient de se passer. La voix de Dominique retentit, comme en chambre d’écho.

— Vous êtes là, commissaire ?

— Oui !

— Achevez d’ouvrir la base du sas, s’il vous plaît !

Elle a dit « s’il vous plaît », cette mignonne !

Vous parlez si j’y vais à l’huile de coude. Je tourne, je tourne… La trappe remonte. La lumière de ma loupiote me permet de découvrir Dominique, aggripée comme Agrippine (la jeune) après l’échelle de fer…

— Vous n’avez pas pu effectuer la remontée ! balbutié-je.

— Si.

— Bérurier ?

— Sur la terre ferme.

— Alors ?

— Comme on ne vous voyait pas émerger, nous avons pris peur, alors je suis venue aux nouvelles !

Ah ! la brave enfant ! La courageuse fille de France ! La nature d’élite ! L’être d’exception !

Je l’aide à descendre jusqu’à moi et lui ouvre grand mes bras. Nos combinaisons ne facilitent guère les échanges épidermiques, mais les battements des cœurs généreux se perçoivent même à travers des armures !

— Dominique ! Et dire que j’ai commis l’infamie de vous suspecter !

— Nous parlerons de cela plus tard ! Pourquoi n’êtes-vous pas sorti de l’Impitoyable ?

Je lui explique. Elle hausse les épaules.

— Un sas a pour mission de rendre possible la sortie d’un homme lorsque le sous-marin est immergé, tout en préservant son étanchéité. Cette fois, il suffit d’entrouvrir le couvercle supérieur et d’attendre que l’Impitoyable soit plein d’eau pour en sortir, puisqu’aussi bien, désormais, il est perdu.

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12

J’ai beau essayer de ne pas tomber dans le calembour, c’est plus fort que moi.