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— Je n’y comprends rien, soupire Dominique…

— J’en ai autant à votre service, conviens-je…

En somme, le topo se présente de la façon suivante : derrière nous, l’océan. Devant nous, ce lac bizarre. Entre l’océan et le lac, une langue de terre pelée, hérissée de rochers… Cette bande de sol est à peu près large d’un kilomètre.

— C’est étonnant, murmure Dominique, je ne comprends pas du tout à quoi correspond un tel paysage sous cette latitude…

Je sonde désespérément l’immensité environnante.

— Il va falloir trouver le moyen de subsister maintenant.

Nous sommes dans des combinaisons de caoutchouc qui nous compriment, sans autre chaussure que nos ridicules palmes. Rien à bouffer, rien pour se couvrir… Du grand air, certes, à s’en faire une hernie aux poumons, mais c’est tout.

— Regardez, sur la gauche ! ordonne tout à coup ma compagne.

J’obéis.

— Vous ne distinguez rien ?

J’ai beau mater à m’en faire gicler les gobilles, je ne vois que le ciel, le soleil et la mer, comme dans la chanson.

— Quoi donc, Dominique ?

— Une fumée…

— Un bateau ?

— Non, sur la langue de terre…

En effet, quelque chose de blanchâtre et de vaporeux monte, rectiligne.

— Une source d’eau chaude, peut-être ? émets-je.

— Allons toujours voir, qu’en pensez-vous ?

— Qu’est-ce qu’on risque ?

Et nous v’là partis, cahin-caha. Dans ce paysage cahotique, on doit ressembler à trois Martiens… Sur la planète Mars !

*

Nous avons la plante des pieds en sang, mais la fumée se fait de plus en plus présente. Malgré le froid qui nous fouette le visage, nous transpirons dans nos combinaisons.

Je vous le répète : des qui nous verraient déambuler dans cet appareil, ils se grouilleraient de déballer leur polaroïd.

Le Gros halète comme trente-six bœufs attelés à l’obélisque de la place de la Concorde. Il dit qu’il a faim, il dit qu’il a soif et qu’il en a marre d’être pris pour un gland par ses supérieurs. Il dit qu’il se fout du pôle Sud comme de sa première fessée. Il prétend que la France tout entière s’en tamponne, du pôle Sud. C’est sa minute de vivacité. Son trop-plein qui déborde.

Mais tout en grognant, tout en rognant, tout en hargnant, il avance à nos côtés. Contrairement aux grognards de l’Empire qui marchaient toujours sans jamais avancer, nous, nous avançons.

Et, à force d’avancer, nous finissons par découvrir, blottie dans un amoncellement de rochers, une grande tente verte. Devant cette tente, un feu pétille. Feu dont la fumée, telle l’étoile du berger, nous guidait. Un quartier de viande grille au-dessus du brasier. Un homme athlétique et barbu, vêtu de peaux de bête, comme Caïn lorsque avec ses enfants il se fut enfui de devant la tempête[16], surveille la cuisson de la bidoche.

Le bruit d’éboulis provoqué par notre déplacement lui fait relever la tête. Il reste dix secondes sans broncher, confondu par l’arrivée de ces trois êtres surnaturels ; puis il se rue dans sa tente pour en ressortir armé d’un fusil.

— Levez les bras ! lancé-je à mes compagnons.

Ils obéissent.

— Planque ta rapière, Toto, on belliqueuse pas, on vient ici en touristes ! lance Béru.

— What do you say ? fait le barbu en anglais, ce qui est son droit le plus absolu.

— Nous sommes des naufragés, réponds-je dans la même langue.

Il ne semble pas autrement convaincu, l’homme au piège à macaroni. Il est un brin hirsute. Sa barbouze est châtain roux, son regard châtain clair, ses cheveux châtain foncé, sa peau châtain très clair. On ne peut pas lui donner d’âge, mais ça doit osciller entre trente et soixante-cinq ans.

Il continue de nous braquer après nous avoir fait signe d’approcher d’un bref mouvement de tête.

Béru n’a d’yeux que pour la viande qui grésille en dégageant une intéressante odeur.

— Soyez sans inquiétude, gentleman, fais-je à l’homme, nous sommes français et n’avons aucune mauvaise intention. Nous nous trouvions à bord d’un sous-marin qui a éperonné un récif et a coulé.

Il cligne de l’œil. J’ai jamais vu un gus possédant des sourcils aussi fournis. On dirait des auvents de chaume.

— Quel nom, votre sous-marin ?

— L’Impitoyable, sir.

— Qu’est-ce qu’il foutait dans ces parages ?

— Il se dirigeait vers le pôle.

— Pourquoi ? Le canon du fusil est toujours dirigé vers nos chères personnes. Ses deux yeux noirs ont l’air de loucher sur nous avec convoitise.

— Mission scientifique en Terre Adélie, sir. Puis-je vous demander où nous sommes ?

Il plisse ses yeux sous la broussaille des sourcils.

— Au pôle, déclare-t-il.

Dominique qui comprend l’anglais bondit.

— C’est impossible !

L’homme des rochers darde sur ma sauveuse un regard dénué d’aménité, comme on l’écrit si joliment dans les romans de ces dames du Fémina.

— Ah oui ? Vous êtes sur la Terre Victoria, annonce le solitaire, à environ 40 miles de la Terre Adélie.

— C’est à dire en territoire australien ?

— Oui.

— Non ! déclare fortement Dominique en laissant retomber ses bras, nous ne sommes pas au pôle, la température et l’absence de glaces le prouvent.

L’autre a un ricanement pareil à celui du renard après que le corbeau se soit laissé pigeonner.

— C’est pourtant ainsi, ma belle, je ne sais pas ce qui s’est passé ces derniers temps, mais y a eu dans ce coin un radoucissement…

Il étend le bras en direction du lac immense.

— Regardez un peu la banquise, ce qu’elle est devenue : une étendue d’eau avec juste une pellicule de glace en surface et encore pas de partout !

— Insensé, me dit Dominique, — en français — cet homme est fou ou bien il se fiche de nous !

Béru prend la parole.

— Écoutez, les gars, nous dit-il, j’sais pas ce que vous baragouinez avec ce barbichu, mais faudrait le prévenir que son gigot va tourner au charbon de bois s’il s’en occupe pas rapidos. Ça pue le cramé à ne plus en pouvoir.

Je traduis à l’Australien. Celui-ci palpe nos combinaisons d’un geste rapide, s’assure que nous n’y dissimulons aucune arme et passe la bretelle de son arquebuse sur son épaule.

— O.K., baissez les bras, dit-il.

Et il se remet à tourner sa broche improvisée (un simple pieu à une extrémité de laquelle il a confectionné une manivelle en fil de fer).

— Demande-lui s’il a enduit la barbaque de moutarde, s’il y a mis des herbes romatiques, et surtout s’il n’a pas oublié de saler-poivrer, le gigot à la braise, ça paraît fastoche, en réalité y a rien de plus calé à réaliser.

Est-il nécessaire de vous préciser que je ne partage pas les préoccupations culinaires du Gros, et que j’ai bien d’autres questions à poser au barbu !

Un rude bonhomme à la vérité. C’est une force de la nature.

— Vous avez pu sortir d’un sous-marin naufragé ? demanda-t-il avec une pointe de scepticisme.

— La preuve ! réponds-je.

— Et l’ail ! s’exclame Béru. Est-ce qu’il l’a seulement piqué d’ail ?

Je le refoule d’un méchant geste.

— Écrase, tu veux bien, boulimique !

Le Martien des profondeurs ronchonne :

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16

San-A. serait-il non seulement un hugoton, mais aussi un hugolâtre ?