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— Ah, là là, misère de nous ! Et ça se dit français !

Boudeur, il va s’asseoir sur un rocher. C’en est trop pour sa combinaison surmenée qui se fend dans la région postérieure, dévoilant brutalement le fabuleux dargeot de Bérurier.

Dominique est devenue professionnelle. On sent que les questions météorologiques, météoriques, théoriques et autres la passionnent. Elle s’intéresse vachement à la vitesse du vent, au frétillement des étoiles, à la température au sol, aux couches d’airs, aux courants, aux alizés, aux balisés, aux cyclones, aux atmosphères, aux sphères, aux planisphères, aux cumulus. Elle s’intéresse aux degrés au plus haut degré, de son plein gré. Elle s’intéresse aux tractions et aux attractions. Le soleil et son troupeau de planètes n’a pas de secrets pour elle. Elle sait tout de son système et des astéroïdes qui poudroient dans sa zone d’influence. Avec gravité, elle peut réciter les lois de la gravitation. Avec une cigarette elle fait des ronds de fumée elliptiques. Elle peut vous dire, même en dormant, que Pluton met 248 ans pour parcourir son orbite, tandis que Mercure ne met que 88 jours. Elle n’ignore pas qu’en irradiant, le soleil perd 4 millions de tonnes par seconde et que, du fait de cette déperdition, on sera définitivement en panne de courant d’ici 16.000 millions d’années (ce qui vous prouve bien, mes frères, que c’est le moment d’en profiter).

J’admire sa science. Moi, vous me connaissez ? L’intelligence faite homme, mais du diable si je sais tout ce bazar !

Elle dit au gars que ce réchauffement c’est du bidon, qu’il aurait été enregistré fatalement, qu’il aurait eu des conséquences abasourdissantes. La fonte du pôle Sud aurait entraîné une élévation du niveau des mers de 60 à 90 mètres et on en aurait entendu causer dans les chaumières (principalement dans les chaumières néerlandaises et landaises, j’ai idée). Bref, elle le prend pour un jobré ou pour un fumiste, le barbouzeux. Ça se voit tellement qu’il s’en rend compte. Et pourtant, les dingues, c’est comme les cocus : ils s’aperçoivent jamais qu’on se paie leur tartine.

— Par saint Inglinglhin, mon patron, fulmine le rôtisseur de gigot, puisque je vous dis que nous nous trouvons au pôle ! Vous êtes dans la météo, dites-vous ? O.K., ma toute belle. J’espère que vous saurez vous servir de ça !

Il nous entraîne dans sa tente. Des peaux d’ours blanc s’y ammoncellent. Il y a là des caisses, des armes, des bidons, des gamelles, des couvertures, des jeux de cartes, des cartes géographiques, des cartes Mich’Lyn et des instruments de précision capables de tout préciser, depuis la concordance des temps jusqu’à l’intensité des retombées atomiques.

Il présente à Dominique un perdromètre de gravitation à butées multiples, un grappilleur elliptique et une foutreuse moléculaire sous-tendue. Moi, vous me fileriez cette panoplie, je resterais cent mille ans à côté d’elle sans déterminer son utilité. Mais faut voir la petite Dominique. En deux temps trois mouvements, elle a dégagé la clavette à bain d’huile goménolée (à cause du gel) du grappilleur ; elle a sorti l’antenne privative de la foutreuse ; elle a branché les fiches à connivence du perdromètre. Penchée sur les appareils, elle se livre à des calculs rapides.

— Exact, finit-elle par déclarer, nous nous trouvons bel et bien en Terre Victoria. Mais alors, cette bande rocheuse ?

— Les anciens promontoires bordant la banquise, renseigne notre compagnon.

Mis en confiance par la science de Dominique, il se présente et nous raconte son histoire. Il s’appelle Inglinglhin Johnson et il était professeur de mathématiques angulaires comparées au lycée de jeunes filles de Melbourne. Un jour il est tombé amoureux d’une de ses élèves. Ils ont eu une aventure ensemble. Mais leur liaison a été découverte par la censeur de l’établissement qui leur a tendu un piège. Un jour, la censeur les a bloqués entre deux étages où ils s’embrassaient. Elle s’était fait accompagner du proviseur, un homme terrible. Johnson a été muté à Brisbane et les parents de sa jeune complice, alertés, ont bouclé leur fille dans un couvent de Bénédictines jaunes. Après quelques semaines languissantes, la pauvrette qui ne pouvait vivre sans son bien-aimé, s’est suicidée en absorbant à la file trois bouteilles de whisky qu’elle avait trouvées dans le tiroir inférieur de la mère supérieure. En apprenant la chose, Inglinglhin a décidé de se faire ermite et de consacrer le reste de séjour à l’étude des migrations au pôle Sud. Fin du premier épisode Johnson. Vous suivez sans secousses ? Bon, alors je vous projette le deuxième épisode. Le camarade Johnson s’était donc établi en Terre Victoria. Il vivait dans une maison démontable, à six kilomètres à l’intérieur des glaces, n’étant ravitaillé que tous les deux ans par le bateau qui assure le service Sydney — Pôle-Sud — magnétique, lorsque, voici une quinzaine de jours, ou plus exactement, une quinzaine de nuits, il s’éveilla en sueur. Il crut qu’il avait de la fièvre et se leva pour prendre de l’aspirine lorsqu’il perçut un ruissellement. Il sortit de sa demeure et constata alors que la glace était en train de fondre. La température s’étant élevée d’une trentaine de degrés. Bien que bouleversé par ce phénomène, il réalisa vite le danger, réunit en hâte du matériel qu’il charria dans les escarpements proches. Il fit deux ou trois voyages, le dernier en ayant de l’eau jusqu’à la ceinture, et lorsque le jour se leva, il vit son campement s’engloutir dans les eaux. La température restant au-dessus de zéro, la fonte des glaces se poursuivit plusieurs jours durant. Le niveau de l’eau montait, montait, et même montait ! Johnson, inlassablement coltinait toujours plus loin ce qu’il avait pu sauver du désastre. Enfin le phénomène cessa d’agir sur la glace. Le thermomètre se fixa aux alentours de zéro et le niveau du lac ainsi constitué se fixa.

Depuis lors, Inglinglhin Johnson bivouaque ici, consignant sur son cahier de hors-bord les étonnantes observations qu’il lui a été donné d’effectuer.

— Comment se fait-il, murmure Dominique, qu’un tel phénomène n’ait pas été enregistré ?

— Je suppose qu’il est localisé, déclare pertinemment le barbu.

— Comment le serait-il, si la glace a fondu ?

— Justement, ce réchauffement ne s’opère que sur une étendue du territoire relativement faible. Je pense qu’à une certaine distance, le froid subsiste. En s’étalant, l’eau gèle, provoquant une banquise très haute qui cerne la glace fondue comme le feraient les parois d’un réservoir, comprenez-vous ?

Nous admettons que sa définition est la seule plausible. À notre tour, nous lui racontons l’objet de notre mission. Il hoche la tête :

— D’après ce que vous dites, je suppose que le centre de réchauffement se situe en Terre Adélie. Il a dû s’opérer beaucoup plus rapidement qu’ici et vos gars n’ont pas eu le temps de s’évacuer, si bien que la base s’est engloutie rapidement.

— Et selon-vous, mister Johnson, quelle serait la cause de ce réchauffement ?

Il reste un instant silencieux. Un ermite, ça n’a pas la parole facile.

— J’ai cru tout d’abord à l’explosion d’une bombe atomique dans les parages, bien que je n’aie rien entendu ni aperçu qui puisse laisser supposer une expérience nucléaire. Mais à la réflexion, il ne s’agit pas de cela, sinon, tout de suite après l’élévation de température intense, le froid serait revenu, or, il n’en est rien et nous sommes bien forcés de nous rendre à l’évidence, conclut l’ex-professeur : cette partie du pôle Sud est devenue tempérée.

CHAPITRE II

Ah ! lectrices, lecteurs, remerciez le ciel de me lire, à tout Seigneur, tout tonneur. Et ensuite, remerciez-moi de vous confier de tels secrets. (Les dons en nature doivent être adressés à mon éditeur qui me les fera parvenir, merci). Sans moi, mes amies et amis, mes ladies et mes gentlemen, vous croupiriez dans la sotte ignorance où vous laissent les journaux, les radios, les télés et les pouvoirs publics. Dans cette époque où la vérité porte un loup, l’existence d’un San-Antonio se hisse à la hauteur d’une institution. Vous vivez au sein d’une toile d’araignée de secrets, on vous tait les grands événements pour vous aveugler avec des babioles. Les guérillas, les alcôves de vedettes, les salons de l’auto, les salauds de l’autan, les gadgets, constituent la poudre-aux-yeux-d’or dont on vous aveugle. Mais courageusement, avec un froid déterminisme, une persévérance digne des loges (maçonniques et autres), San-Antonio, dans son coin, continue de révéler. Sa force vient de ce qu’on ne peut pas l’acheter (sinon dans les bonnes librairies). Quoi qu’encours-je, coac en courge, je poursuivrai mon œuvre d’information. Cette fois, je n’hésite pas à vous annoncer l’impensable nouvelle : une petite (j’ose espérer) partie du pôle Sud s’est tempérée. Affaire à suivre ! Suivons-la !