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Les glapissements sont de plus en plus présents. Je reconnais des cris d’oiseaux. Tout le monde en écrase encore. Béru et l’ours ronflent, composant un duo assez surprenant. J’adresse une pensée mélancolique à nos copains du sous-marin qui gisent dans ce qu’un journaliste spécialisé appellerait leur cercueil d’acier. Je trouve que les cris des oiseaux ont quelque chose de funèbre. Automatiquement, j’en reviens au problème de l’assassin. Avec toutes nos péripéties on l’a mis un peu sur la touche de nos préoccupations. Et pourtant… Nous ne sommes que trois survivants. Je sais — et pour cause — que je n’ai pas fait le coup. Je ne puis croire que ce soit Dominique après les preuves de dévouement qu’elle m’a données. Est-il concevable que mon Béru… Non, n’est-ce pas ? Bien sûr, il y a son rêve de la nuit précédente. Je sursaute. Mon soubresaut arrache une plainte à ma voisine de litière. La jeune fille remue et se retourne face à moi. Son regard clair me découvre. Elle repousse ma main avant de me sourire.

— Bien dormi, mon chou ?

Elle acquiesce.

— Quelle heure est-il ? demande-t-elle.

— Alors ça… Avec le traitement que nous avons infligé à nos montres hier… Le jour se lève, marcelcarné-je.

Je lui pose un petit baiser sur la bouche. Elle ne bronche pas. Enhardi, je m’apprête à lui en voter un second, beaucoup plus réfléchi, mais elle détourne la tête et c’est son oreille que je bisote.

— Il y a longtemps que vous êtes réveillé ? demande ma petite savante.

— Non. Ce sont les oiseaux qui m’ont arraché aux vapes, vous les entendez ?

Elle écoute.

— Des icebirds, assure Dominique.

— La vie est partout, je soupire. Dans les régions les plus hostiles. C’est fabuleux, la nature.

Mais je parle sans conviction. Mes lieux communs ne m’arrachent pas à l’idée saugrenue qui vient de me faire bondir.

Je revois la chambre de l’ln-the-pocket à New-Queen. Béru et la grosse radasse. Le médecin avec sa seringue…

— On dirait que quelque chose vous tourmente ? remarque ma frêle amie, je sais bien que nous avons sujet à réflexion, mais…

Je pense aux meurtres, à bord du sous-marin. Rien n’a été résolu.

— Vous vous êtes fait une opinion, commissaire ?

— Appelez-moi Antoine, on ne dit pas commissaire au monsieur qui vous a tenue dans ses bras toute une nuit, fût-ce très chastement. Oui, mon chou, je me suis fait un brin de supposition, mais tellement extravagante…

— On peut savoir ?

Alors je lui raconte l’émission télévisée de New-Queen, le triomphe de Béru, sa cuite, son coma éthylique, la piqûre…

On discute de la mort de Hourrou. Je lui parle du rêve que le Gros prétendait avoir fait…

— Est-il trop abracadabrant de penser que les gens acharnés à la ruine de notre expédition ont conditionné mon ami par des moyens chimiques pour le transformer en meurtrier du second degré ?

— Vous voulez dire qu’il serait en état de crise parfois, et tuerait ses compagnons ?

— Oui. C’est le plus chic type de la terre, mais un être fruste, le cobaye idéal.

Elle reste un instant silencieuse.

— Ça me semble, en effet, terriblement abracadabrant. N’oubliez pas qu’il n’aurait pu commettre certains meurtres puisqu’il se trouvait en notre compagnie.

— C’est vrai. Mais supposez que d’autres que lui aient été également médicamentés…

— Tout de même !

— Vous êtes sceptique ?

— Oui.

— C’est pourtant plus facile à envisager que le réchauffement du pôle Sud, chérie.

Elle rougit. Est-ce à cause du « chérie » ou à cause de mon objection ? Mystère.

— Admettons que les gens dont vous parlez aient transformé en médium soumis votre collaborateur et certains marins de l’Impitoyable, ça n’expliquerait pas que nous ayons survécu au massacre, vous et moi.

— Si.

— Comment, s’il vous plaît ?

— J’ai été épargné parce que je suis l’ami de Bérurier, jusqu’au bout de son subconscient, et vous parce que vous êtes une femme.

— À bord, on l’ignorait.

— Sauf les deux gars de la Défense ! Si le second médium avait été l’un d’eux ?

— Ils ne nous ont pas quittés pendant l’assassinat du professeur, sur le pont, ni pendant celui du steward…

— C’est vrai.

Elle regarde un instant le toit pointu de la tente, d’où pend la lampe à carbure.

— Franchement, je trouve votre version trop tirée par les cheveux, Antoine.

— Merci.

— Ça vous vexe ?

— Merci de m’appeler Antoine.

Nouvelle roseur. Dieu du ciel, ce que je peux aimer les filles qui rougissent. Y a rien de plus émouvant au monde.

— Vous oubliez une chose, reprend-elle. C’est que, pendant que l’Impitoyable se trouvait dans le port d’Hobart, on a essayé de le faire sauter.

— Et alors ?

— Si ces gens avaient choisi la bombe pour annuler notre expédition, quel besoin auraient-ils eu de droguer parallèlement les passagers d’un bâtiment destiné à exploser ?

— Pas parallèlement, Dominique : APRÈS. On a collé cette bombe à là coque, plusieurs heures avant la piqûre de Bérurier, vous semblez l’oublier. Ceux qui devaient faire sauter le sous-marin ont dû constater l’échec de leur mission. Ils ont prévenu leurs chefs, et c’est alors que ceux-ci ont décidé d’employer des moyens plus subtils…

Elle n’est pas convaincue tout de même. Ces choses-là, c’est comme la foi : on est client d’instinct, ou pas du tout. Faut dire, à sa décharge, que c’est bougrement vasouillard, et qu’en fait, ça n’explique pas complètement les meurtres perpétrés à bord. Peut-être qu’on n’aura jamais le fin mot, hein ? Allez savoir… Je dis ça pour voir vos frimes s’allonger. Vous mouillez votre Rasurel, hein, mes drôles ? Vous vous dites : « Si le San-A. se met à poser des colles sans les résoudre, c’est qu’il veut faire dans l’avant-garde, auquel cas on va lui retirer notre clientèle ». Et vous avez raison de penser ainsi. Mais rassurez-vous, j’ai trop le sentiment du devoir pour jongler avec ma conscience professionnelle. Ménagez vos méninges, les copains, elle va viendre, l’explication, belle et sublime. Bougez pas.

Une lueur ambrée se faufile par les ouvertures de la tente.

— On approfondira ça plus tard, tranché-je, en me levant. Les casse-tête, on les épluche au coin du feu ; pour l’instant, notre sagacité doit rester sur le plan géologique, climatique et scientifique.

« Allez, zou ! Debout tout le monde !

Béru grogne.

L’ours Jimmy bâille.

Y a qu’Inglinglhin qui ne dit rien.

Et comment dirait-il quelque chose, le brave barbu, vu qu’il est mort, hein ?

Vous avez vu des morts grogner ou bâiller, vous ? Moi, jamais !

CHAPITRE III

Il est quelquefois moins pénible à un soldat de se rendre au cours d’une bataille qu’à un civil de se rendre à l’évidence. On devrait graver cette maxime au fronton de toutes les écoles et de tous les édicules publics, mes frères, car elle est sublime, bien qu’étant de moi.