Un very sympathique garçon, le meneur de jeux. La lèvre inférieure en gouttière, le sourire pour réclame de laxatif, l’œil amusé par ce que son propriétaire s’apprête à dire, la cravate dénouée (style : je viens de me défoncer l’oignon pour mettre tout ça sur pied, mais ça ne fait rien, y a eu d’autres zéros du travail avant moi), la syntaxe approximative, le vocabulaire monté sur boucle, un rien canaille, suffisamment beau gosse pour humecter les douairières, mais pas au point d’incommoder les maris ; tel se présente le réputé présentateur. Il a pas peur de la vie, ça se pige au premier regard. C’est le gars des affrontements. Son micro est tout à la fois un sceptre, une lance et un bouclier. Il le postillonne, le tortille, le brandit, s’en évente, s’en vante, le hume, le lèche, le tend à autrui pour le faire goûter sans toutefois le lui laisser savourer. Il capte une syllabe, une onomatopée, un soupir et vite le ramène à ses lèvres comme s’il craignait que l’autrui vorace morde dedans. Il le fait sentir et miroiter. Il banderille avec. Au moment que l’autrui s’y attend pas, vzoum ! Le présent-tentateur virgule son goupillon à salive devant l’hébété, avec une habile indécence, moins pour l’inviter à parler que pour le déconcerter. Les autruis se laissent intimider. On leur brandirait un sexe que ça les impressionnerait moins. Il regarde ce faux cornet de glace, l’autrui, et sa sornette d’alarme se déclenche. Il bafouille, se trouble, se constipe des cordes vocales. Alors le représentant-tâteur sourit avec une hypocrite bonté et répond pour le zig qu’il interroge. Ayant répondu pour lui, il commente sa réponse avec esprit, de manière à le faire gentiment passer pour un con, ce que l’interrogé est d’ailleurs neuf fois sur huit. Mais l’autrui ne s’en rend pas compte. Lui, il est conscient de la caméra qui le regarde pour les télé-spectres-hâteurs, qui lui filme l’émotion, lui cerne le trac, lui amplifie l’ahurissement, lui monumentalise la sottise, lui évidence l’incapacité, lui transcende l’ignardise ; qui dévoile ses poils de nez, qui fait de ses grains de beauté des îlots insalubres, de ses crispations des tics, de ses cernes une maladie, de ses oreilles une atrophie, de ses vêtements un déguisement, de ses lunettes un aquarium et de tout son individu une gloire pour lendemains matins. Il peut pas à la fois trembler et parler, l’autrui. Se propulser dans des millions de rétines et s’affirmer.
Le pressent-hâbleur salue avec des gloussements qui font bien inaugurer et bien augurer de la suite. Il demande à l’assistance si elle est heureuse d’être là et l’assistance hurle que « yes », d’où le con-menteur conclut qu’elle est extrêmement sympathique. Il récompense la merveilleuse population de New-Queen en lui annonçant la première épreuve du jeu télévisé : le rodéo à dos d’autruche. Les oiseaux sont bouclés dans des boxes, dans l’attente des concurrents. Leurs têtes couvedemurviliennes dépassent de leurs enclos et les autruches dardent sur la populace de longs regards flétris avec des grâces de périscopes. Le jeu consiste, comme dans tout bon rodéo, à se maintenir sur le dos de la bête le plus longtemps possible. Sera déclaré vainqueur celui qui restera en équilibre le dernier.
— Allons, gentlemen, invite Guily-Guilyx, montrez-nous un peu ce à quoi donc vous êtes capables de faire !
— Qu’est-ce qu’il débloque ? s’inquiète le Gros.
Je lui traduis, et il hoche la tête.
— Grimper sur une bestiole commak, c’est de la rigolade ; moi, quand nous étions mômes, je faisais du cheval sur les chèvres, et une biquette, espère un peu, pour ce qui est de jouer les chevaliers d’Orgeix c’est pas du tout cuit. D’abord t’as son échine qui te fend le melon, ensuite elle aime si peu ça qu’elle te fait un vrai récital de danse de Saint-Guy.
Tandis que le Mahousse commente, une bande d’athlétiques jeunes gens se présentent au concours. Ils enjambent les barrières de bois et acalifourchonnent les autruches. On délourde comme on rabat la porte du toril, et les oiseaux s’élancent sur la place. Beaux bestiaux, mes amis. Cent kilos par bête, au moins. On les a sélectionnées soigneusement. Elles bondissent sur leurs pattes raides en tortillant du croupion comme le corps de ballet des Folies. Leurs dandinements sont si violents que la jeunesse mordorée de New-Queen se met à gésir dans la sciure. Ça n’a pas duré la minute réglementaire. Tout le monde a culbuté presque simultanément, comme pleuvent les noix sous la gaule qui flagelle leurs branches.
Le comment t’as tort déclare que personne ne s’est qualifié, et qu’il va falloir recommencer l’épreuve. Il exhorte d’autres téméraires à se manifester.
— Qui c’est qui veut venir recommencer, gentlemen ? aboie-t-il dans son cher micro.
Des volontaires y en aura toujours, et partout. Suffit de savoir les appeler. Que ça soye pour la riflette, la course en sac, la banque des yeux, la liste électorale ou le voyage cosmique, c’est plein de partants. Un miracle permanent, mes frères. Tu prends un micro, tu craches des fautes de lançais dans ses petits trous et magiquement, les mains se tendent. L’homme est entraîné depuis son plus bas âge à répondre présent ! Il n’est pas présent par vocation, mais par honte d’être absent.
Les malins qui ont bien pigé cette vérité, pour peu qu’ils disposent d’un micro, ont pratiquement le pouvoir discrétionnaire.
Bien que les premiers concurrents aient eu droit à un billet de parterre, une nouvelle vague se précipite, plus forte que la précédente.
— Vois-tu, dis-je à Béru, ce qui me frappe c’est que les hommes sont aussi glands dans cet hémisphère que dans l’autre.
Il ne me répond pas.
Il n’est plus là, Béru. Je l’aperçois sur l’estrade, sollicitant un dossard (car les connards ça se numérote).
Il a pas pu résister, le Gravos. L’équitation sur autruche, ça l’a subjugué. C’est l’apôtre de l’insurmontable, Alexandre-Benoît.
Les péones de service ont rabattu les autruches dans leurs enclos et la cérémonie recommence. Je vois mon petit camarade franchir la barrière de rondins et disparaître. Il m’étonnera toujours, mon gros plouck. Je l’imagine à l’époque des tournois, filant sa lance dans le lampion d’Henri II. Je vous demande un peu : venir dans ces contrées lointaines pour tirer au clair le mystère du siècle et participer à l’émission « Impossible n’est pas tasmanien », c’est un record dans le genre inconscience, non ? Faut avoir la santé avec la manière de s’en servir ! Toujours partant, Béru. Prêt à démolir les boîtes de fer blanc à la fête foraine, à donner son sang, à changer la roue des tomobilistes en rideau, à essayer les nouveaux appareils distributeurs. Un cas, quoi !
La foule trépigne d’impatience. Le comme-en-ta-soeur donne le top de départ ! Il crie chrono ! Le chrono c’est le joujou du siècle. À notre époque, on n’a plus comme adversaire valable que la trotteuse indiquant les dixièmes de seconde. Les portes se rouvrent et la nouvelle bordée de concurrents fonce dans le brouillard. Mesdames les autruches (au fait, pourquoi mesdames, y a des messieurs autruches, je suppose ?) cavalent sur leurs échasses en cahotant comme des diligences dans des chemins aux ornières gelées[2]. La pluie de gus s’opère, tout comme précédemment. Non, cependant, un seul reste à califourchon sur son zoziau. Et ce seul, vous l’avez déjà deviné, bravo, c’est Bérurier. Son autruche a beau décrire des zigs et des zags en courant, rouler du croupion, se démantibuler le cou, Sa Majesté demeure en parfait équilibre sur sa monture. Une ovation monstre se constitue, s’organise, se libère, enfle, démesure et trépigne sous les projos de la place. Vaguement jaloux du succès de cet intempestif concurrent, l’omni-présent-tateur calme la populace en glaviotant des « chut-chut » dans son micro. Le chrono tourne. La minute s’accomplit sans que Duchenock soit tombé. Il a beau faire, le malmeneur de jeux, il ne parvient plus à juguler l’enthousiasme général. D’autant plus que Béru accomplit un prodige, mes frères, faut reconnaître. Il parvient à maîtriser l’autruche, à la ramener dans son box et à descendre de l’animal par ses propres moyens. Triomphant, il grimpe sur le podium. Comme il est exaltant dans la lumière crue qui ruisselle sur lui. Quelle force paisible se dégage de cet homme. Guily-Guilyx lui pose des questions auxquelles mon valeureux camarade ne peut répondre, et pour cause.
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Quelle élégance de style, quelle vigueur, quelle noblesse dans la phraséologie !