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rojos grands mangeurs d’ecclésiastiques, ils défendent la grandeur du général Yagüe le fin stratège, de la Légion de Millán Astray, des Italiens au beau plumage noir, et débutent une longue bataille de chiffres que Bardèche poursuivra seul après l’exécution de Brasillach, tous les cadavres sont de la propagande communiste ou juive, tous les morts servent l’URSS ou Israël, ils n’ont donc pas existé, ou si peu, Bardèche est le champion du coup de crayon vengeur sur les pierres tombales, on n’est pas mort tant que ça à Badajoz, pas autant qu’on le dit à Auschwitz, tout cela ce sont des mensonges pour dissimuler les crimes des républicains ou de la Résistance, les vrais criminels sont là, ceux qui violaient avec plaisir les religieuses avant de les passer par les armes, ceux qui torturaient le bourgeois dans les prisons de Madrid et de Barcelone, aujourd’hui son aveuglement me paraît si évident qu’il ne pouvait être guidé que par la haine, une haine féroce et sourde pour ceux qui lui avaient enlevé l’homme qu’il aimait, Brasillach le martyr, une haine des juifs si forte si puissante qu’il n’arrivait même pas à se persuader de leur extermination, poursuivi par des fantômes israélites jusque dans la tombe, le vieux Bardèche, sénile et convaincu du complot universel contre le Bien et le Droit, Yvan mon camarade croyait lui aussi dur comme fer à ces thèses vieilles comme le monde qui faisaient de la juiverie internationale l’ennemi à abattre, malgré tous mes efforts j’avais du mal à me persuader du danger que pouvaient représenter pour la nation quelques philosophes journalistes ou psychanalystes, j’étais un piètre antisémite, un mauvais raciste, Yvan me disait c’est parce que tu ne côtoies pas de juifs ni d’Arabes, si tu en connaissais tu les haïrais immédiatement, je lui faisais confiance, même si mes chers livres d’histoire du XXe siècle me prouvaient exactement le contraire, d’après Yvan c’était parce que toute l’histoire avait été écrite par des juifs, ce qui expliquait sans doute ses notes déplorables et son peu d’intérêt pour la matière, M. Moussempès notre professeur de terminale était un sympathique Landais originaire de Dax avec un fort accent du Sud-Ouest pourtant difficile à soupçonner de crypto-sémitisme, sa faconde gasconne en faisait un orateur extraordinaire quand il s’agissait de raconter les batailles la diplomatie les intrigues politiques c’est sans doute grâce à lui que je réussis ensuite par miracle le concours prestigieux de la rue Saint-Guillaume, Yvan me respectait surtout à cause de mes origines oustachis et des photos de famille bourrées d’uniformes sombres, l’adolescence aime les images, les images et les amitiés fortes à la vie à la mort les serments secrets le bras levé sur un autel patriotique, la folie d’Yvan se manifestait par moments mais assez peu pour autant que je m’en souvienne, parfois il se fixait sur un sujet et tournait en rond comme un disque affolé sur un gramophone, des jours et des jours enfermé dans sa chambre à relire le même minuscule paragraphe sans rien dire d’autre que c’est ça, c’est ça, c’est ça à l’infini, un fragment d’un discours économique de Hitler où il était question de monnaie et d’inflation, par exemple, pouvait lui déclencher une crise, il ne sortait plus, n’arrivait même plus à se traîner à la salle de bains et urinait dans des bouteilles en plastique en relisant en boucle le texte en question, c’est ça, c’est ça, c’est ça, comme s’il avait découvert le Saint-Graal, il écrivait une biographie des frères du Christ, un traité sur leur importance dans la lutte occulte contre le communisme, où il ramenait les origines de toutes les sociétés secrètes de défense de l’Occident aux enfants oubliés de la Vierge Marie et de Joseph, ceux qui sont restés dans l’ombre bien qu’ils soient mentionnés dans les Evangiles, baptisés eux aussi par Jean-Baptiste le décapité et je ne sais plus quoi d’autre, ses parents inquiets souhaitaient qu’il aille chez le médecin mais c’était évidemment impossible, parce que la psychiatrie et toute la psychologie étaient aux mains des juifs qui cherchaient à le corrompre, à lui pourrir le cerveau, et ainsi de suite jusqu’à l’aube d’un jour comme les autres, au printemps, quelque temps avant le baccalauréat, sur le chemin du lycée Yvan tomba nez à nez avec des colleurs d’affiches de je ne sais quel parti pour je ne sais plus quelles élections, des types plutôt pacifiques d’une quarantaine d’années qui pavoisaient un panneau municipal prévu à cet effet, j’ignore pourquoi mais Yvan a vu rouge, il les a sauvagement agressés, furieusement, avec la chaîne de vélo qu’il portait toujours dans la poche de son blouson orange et noir, il a cinglé le visage de l’un s’est jeté sur le second comme un babouin lui a arraché une oreille avec les dents en le bourrant de coups de genou dans les parties, possédé, enragé, acharné, le troisième n’a fait ni une ni deux face à la surprise de l’agression à son extraordinaire violence aux cris de douleur de ses compagnons aux hurlements d’Yvan il lui a abattu la brosse à colle sur le crâne, un bon coup bien droit bien fort qui lui a fendu l’occiput et valu une sacrée série de points de suture, aujourd’hui encore personne n’est capable de dire si la fracture du crâne a joué là un rôle précis ou si sa folie était déjà bien avancée mais Yvan est passé des urgences à l’hôpital psychiatrique et ensuite à une maison de repos pour tarés incontrôlables, Yvan schizophrène paranoïaque catatonique et violent, incurable malgré les tonnes de médicaments, d’électrochocs et de thérapies diverses qu’ont essayées ses médecins, Yvan plongé dans le noir, quand il parle c’est pour réciter un paragraphe de Mein Kampf ou des insultes antisémites, les youpins les youpins cherchent à m’assassiner, lors de ses quelques minutes de conscience par semaine Yvan est terrorisé, terrorisé ou extrêmement violent, au gré du traitement qui n’a jamais réussi à le “stabiliser”, perdu dans les limbes du ressentiment et de la frayeur — pour moi le choc fut terrible, Yvan était tombé au combat, abattu d’un coup de masse électorale sur le crâne, je suis immédiatement allé le voir à l’hôpital, j’ai longuement discuté avec ses parents, pour me rendre vite à l’évidence, il avait une vraie fêlure, une belle folie furieuse digne d’Arès, ce qui me mettait les larmes aux yeux de tristesse, je pensais je te vengerai, je te vengerai, je vengerai Yvan aux yeux exorbités et à la langue pendante, Yvan le pâle entravé dans un fauteuil et hurlant à la mort : j’ai vu sa mère pleurer doucement en ayant peur de l’approcher, peur d’approcher son propre fils dont le cerveau déglingué suait la violence la haine et la douleur, maintenant je te venge mon vieux je t’offre une nouvelle vie, tu es un peu sorti de l’asile, ton nom au moins, même si c’est avec ma gueule sur ton passeport, Francis s’est glissé dans le corps inutile d’Yvan le terrible pour sa réincarnation — Yvan interné j’ai passé mon bac pour aller m’ennuyer dans une classe préparatoire privée où on était censé m’apprendre les subtilités de la dissertation et de la culture générale, je me barbais tellement, j’avais tellement envie de violence et de vengeance que je suis allé crapahuter pendant seize mois à l’armée, Yvan aurait beaucoup aimé ça, les chants virils et les épopées nocturnes, les manœuvres, l’apprentissage des armes, de la tactique et de l’orientation, jusqu’à ce voyage en Egypte en solitaire pour fêter la quille et rencontrer Marianne la prude — mes histoires de nazillon faisaient beaucoup rire Stéphanie, surtout l’épisode d’Yvan le pauvre type abattu par la brosse à colle, elle était tout de même un peu désolée pour moi, d’avoir perdu tout ce temps, disait-elle, temps idéologique s’entend, avant de me rendre à la raison démocrate, je répondais