Выбрать главу
My Way, elles mimaient des baisers la bouche en cul-de-poule déprimé je suis parti retrouver mon hôtel et la solitude de ma chambre très heureux de ne pas avoir besoin de succomber aux charmes des danseuses en maillot de bain, je me souviens le lendemain j’avais un “rendez-vous” avec un homme dont j’ignorais tout à une terrasse de café devant l’incroyable citadelle d’Alep, je devais être assis à une terrasse avec un pull rouge et une écharpe en laine posée sur le dossier de la chaise devant moi — parfois la réalité devient un film d’espionnage des années 1960, sans doute cet honorable correspondant avait-il lu trop de romans d’espions de la guerre froide, dans la Zone les choses étaient bien différentes, j’étais un peu inquiet tout de même, je n’avais pas trop envie que deux agents de la sécurité syrienne s’assoient à ma table et me disent “alors, pull rouge et écharpe en laine, hein ?” et m’expulsent de Syrie à coups de pied dans le fondement après m’avoir passé à tabac, ou pire, le plus probable serait qu’ils me gardent au secret quelque part en attendant de pouvoir m’échanger contre quelqu’un ou quelque chose, et même s’il y a effectivement une part de risque dans mon métier elle paraît toujours très lointaine, en service jamais je n’ai porté une arme ni rien de ce genre (j’avais bien chez moi un petit 7,65 Zastava mais c’était un souvenir de guerre inutilisable) pourtant ce matin-là en allant au rendez-vous à la citadelle je n’étais pas tout à fait rassuré, parce qu’on était en Syrie, parce que la Syrie est le pays des mouchards, parce qu’en Syrie il n’y a que peu de touristes et qu’il n’est pas facile de se fondre dans la foule comme au Caire ou à Tunis, j’ai remonté l’interminable souk d’Alep à pied, j’ai acheté trois babioles pour Stéphanie la brune (au diable les voyages secrets), du savon de laurier, un foulard en soie et un petit narghilé en cuivre sans doute impossible à fumer mais au moins j’avais l’air d’un parfait touriste quand j’ai débouché du marché couvert sur la place de la citadelle, je me suis installé à une terrasse, j’ai demandé coffee, coffee, café, s’il vous plaît, j’ai posé mon écharpe sur la chaise devant moi, et j’ai attendu en contemplant le glacis de la forteresse imprenable, chef-d’œuvre de l’architecture militaire arabe disait le Lonely Planet ouvert sur la table pour me donner une contenance d’aventurier solitaire, j’avais fini mon café quand un homme d’une soixantaine d’années, assez grand, les cheveux blancs, s’est approché de moi et m’a demandé si je parlais français, j’ai répondu oui, bien sûr, et il m’a dit c’est un plaisir de vous rencontrer, il a ajouté venez, nous allons visiter la citadelle, il a payé mon café avant même que je puisse réagir et m’a pris par le bras comme si j’étais une demoiselle, il ne l’a pas lâché pendant toute la visite, et j’avoue que cette tendresse inhabituelle donnait à notre couple étrange un air des plus naturels qui soient, il a insisté pour payer les tickets d’entrée, il me signalait les mâchicoulis, les couloirs qui se tordaient pour briser les assauts des envahisseurs, les grilles au plafond pour bombarder les assaillants, et ce n’est que lorsque nous sommes sortis du donjon central sur l’immense tertre au milieu des remparts qu’il a commencé à parler vraiment, je ne disais rien, je voulais d’abord écouter, ressentir, essayer de deviner si j’avais intérêt à faire affaire avec lui ou non, comme disait le chef Lebihan vous êtes doué pour les rapports humains, le contact avait parlé d’une source d’un intérêt exceptionnel, ce qui justifiait ma présence, j’avais déchanté quand j’avais appris qu’il était impossible de régler cette affaire par des boîtes aux lettres, une source si exceptionnelle ne prend pas de risques, normalement nous ne nous rencontrons jamais, c’est un réseau syrien qui fait parvenir les renseignements mais là la source sympathique par ailleurs me tenait le bras comme s’il s’agissait de mon père, au sommet venteux de la citadelle d’Alep la grise, d’où l’on voyait toute la ville, la grande mosquée en contrebas, les innombrables pigeons qui tournaient autour du minaret, les toits noirs du souk, les petites coupoles des caravansérails, les immeubles modernes de la banlieue et jusqu’à la campagne dont la terre paraissait rouge dans le soleil d’hiver, je m’appelle… euh… je m’appelle Harout, son hésitation était assez peu professionnelle, je commençais à sentir le coup fourré, l’erreur de mon contact, j’ai soupiré intérieurement, pfff, tout ça pour ça, j’ai répondu Harout, parfait, comme vous voudrez, sur mon passeport du moment je m’appelais Jérôme Gontrand, avec un d, j’ai dit juste “Jérôme”, j’ai patienté il faut savoir attendre être calme j’avais mon filet à papillons à la main j’attendais que Harout se détende un peu pour l’y prendre et l’ajouter à ma collection de lépidoptères, c’était lui qui allait me capturer je l’ignorais bien sûr, lui qui me précipiterait dans ce train cinq ans plus tard, tiens déjà une ville, sans doute Modène, plus qu’une quarantaine de kilomètres avant Bologne, le Pendolino ralentit, dans la nuit toutes les banlieues italiennes se ressemblent, de jour aussi très certainement, c’est bien Modène, je viens d’apercevoir le panneau qui annonce la gare, Modena, la petite ville tranquille, belle, la sœur de Reggio avec deux spécialités la charcuterie et les voitures de luxe, le cochon et les Maserati voilà bien un raccourci très italien tout comme mon voisin le lecteur de Pronto il ne cracherait sans doute ni sur l’un ni sur l’autre, avec son bonnet Ferrari, il devrait l’agiter à la fenêtre, nous venons de passer tout près des usines de la Scuderia, je me souviens du centre historique de Modène, magnifique, places, églises, Duomo, il y a tout juste un an le jeudi 11 décembre Mohammad el-Khatib se faisait exploser à cinq heures du matin à l’angle de la place Mazzini à quelques mètres de la synagogue, une des plus belles d’Italie, le Palestinien né au Koweït et titulaire d’un passeport jordanien a mis le feu à sa 205 Peugeot blanche l’a garée devant la synagogue, les policiers en faction ont tenté d’intervenir avec un extincteur mais sans succès, Mohammad a attendu au volant dans le véhicule en flammes portes et fenêtres fermées, il a attendu que le gaz GPL explose et éventre la voiture éparpillant son corps aux quatre vents, il était peut-être déjà mort carbonisé quand tout a sauté, la synagogue a été très légèrement endommagée, il n’y a eu aucune victime, à part Mohammad et une chienne yorkshire très âgée et cardiaque morte de peur dans son urine au deuxième étage du bâtiment d’en face, quelques vitres brisées, rien de plus, le chien s’appelait