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XI

comme des rails dans la nuit des traits des réseaux infinis de relais et nous, le plus souvent silencieux, étrangers qui ne nous ouvrons pas plus l’un à l’autre que nous ne le faisons à nous-mêmes, obscurs, obtus, perdus dans les innombrables rails qui entourent la gare de Bologne nœud ferroviaire inextricable, des aiguillages, des circuits, des voies de garage à n’en plus finir, une gare divisée en deux parties égales où au contraire de Milan le gigantisme du bâtiment est remplacé par la profusion des voies, la verticalité des colonnes par le nombre des traverses, une gare qui n’a besoin d’aucune démesure architecturale parce qu’elle est en soi démesurée, le dernier grand carrefour de l’Europe avant le cul-de-sac italien, tout transite par ici, les bouteilles de nero d’Avola venues des pentes de l’Etna que buvait Lowry à Taormine, le marbre des carrières de Carrare, les Fiat et les Lancia y croisent les légumes séchés, le sable, le ciment, l’huile, les peperoncini des Pouilles, les touristes, les travailleurs, les émigrants, les Albanais débarqués à Bari y foncent vers Milan, Turin ou Paris : tous sont passés par Bologne, ils ont vu leur train glisser d’une voie à l’autre au gré des aiguillages, ils ne sont pas descendus visiter la basilique, ils n’ont profité d’aucun des charmes d’une ville agréable et bourgeoise, suave et cultivée, le genre de ville où l’on aime à s’établir, de ces cités qui vous offrent une retraite avant l’heure et où l’on se réveille, sans que rien se soit produit de vraiment notable, au seuil de la mort quarante ans plus tard, une cité comme Parme, où il fait bon vivre, c’est-à-dire crever agréablement et de façon bien policée, avec des distractions suffisantes pour que l’ennui devienne la caresse régulière d’une mère endormant son enfant, une ville que sa gare labyrinthique protège du monde incertain des trains de l’ailleurs du battement de l’irrégulier de la vitesse et de l’étranger, une gare dans laquelle j’entre à présent le quai défile dans une lumière orangée, les serrures pneumatiques soufflent, les portes s’ouvrent, mon voisin un peu surpris un peu endormi se lève attrape une petite valise prend son magazine et sort, bon vent l’ami me voilà seul, me demandant si quelqu’un va s’installer en face de moi ou si, alors que le hautparleur annonce trois minutes d’arrêt, je vais être livré à moi-même pour les siècles des siècles, comme le petit christ de bois médiéval rescapé on ne sait comment du XIIe siècle et perdu dans une chapelle obscure de San Petronio la basilique magnifique, à quelques pas d’ici, solitaire au milieu des Jésus flamboyants et douloureux, lui il a un demi-sourire, la première fois que je l’ai vu il pleuvait des trombes d’eau des cordes des hallebardes c’était le déluge et l’église était pleine de ceux qui s’abritaient de la pluie, y compris un groupe de Sénégalais vendeurs de faux Versace qui regardaient vers la porte la pluie tomber sans se soucier le moins du monde de ce qu’il y avait dans leurs dos, la splendeur de l’Eglise et la magnificence de son histoire n’étaient rien pour eux et ils avaient raison ils vendaient des sacs aux touristes et des statues africaines