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you didn’t know it was fiestas ? comme si sa ville natale ne méritait pas qu’on s’y arrêtât en dehors de ces dates fatidiques, les fêtes patronales, sur la grand-place était installé un marché “médiéval”, où de gentils Valenciens mimaient les Arabes disparus dans des costumes bigarrés et les chevaliers du Cid Campeador en armure sous nos fenêtres, nous étions encore dans la chambre quand une série d’explosions m’ont paralysé la trousse de toilette à la main, une rafale terrible qui faisait trembler les vitres ouvertes et résonner le cœur, un bombardement, j’ai eu une seconde de panique totale, les muscles tendus, les oreilles sifflantes, prêt à plonger sur le sol de la chambre, je ne reconnaissais pas cette arme, mon cerveau n’identifiait pas ce danger ce n’était pas une mitrailleuse pas des mortiers des grenades c’était sourd brutal vibrant rapide interminable Stéphanie était pétrifiée face à moi j’ai compris des pétards des pétards énormes reliés les uns aux autres sous nos fenêtres ils faisaient tout le tour de la place une explosion chaque demi-seconde la petite chambre se remplissait de fumée bleue à nous faire suffoquer Stéphanie a commencé à rire le matraquage n’en finissait pas boum boum boum régulièrement l’odeur était infernale et pour finir un gigantesque obus de marine a explosé une détonation formidable nous a pliés en deux de trouille laissant un silence froissé et aigu suivi immédiatement de cris de joie d’applaudissements et de bravos, j’étais tellement tendu que mon cou et mes épaules me faisaient mal, Stéphanie avait les larmes aux yeux, peut-être la fumée, ma bouche était asséchée par le goût de poudre noire, dans la rue montaient encore des clameurs d’allégresse, quelle pouvait être cette cérémonie d’une sauvagerie extraordinaire, à quel dieu du tonnerre sacrifiait-on ces kilos de pétards, avec Stéphanie nous nous sommes mis à rire de notre peur en cherchant un peu d’air à la fenêtre, le réceptionniste nous a appris que ce rituel s’appelait mascletà, et qu’il était très fréquent à Valence, patrie des feux d’artifice, du bruit et de la fureur, Zeus lui-même doit présider à ces jeux païens, nous sommes sortis faire quelques pas, qui sait peut-être Maks Luburic le boucher avait-il choisi ce coin d’Espagne à cause de cette tradition martiale, qui lui rappelait les enfants, les vieillards et les malades qu’il allongeait dans un fossé avant de les exploser à la dynamite ou à la grenade à Jasenovac sur la Save, paisible village croate où les Oustachis toujours soucieux de bien faire avaient installé leur contribution aux camps de la mort, afin de tuer Serbes, gitans et juifs au milieu des cigognes, au bord de l’eau, dans une ancienne briqueterie dont les fours se révéleraient bien pratiques pour se débarrasser des corps, Luburic avait été le commandant du réseau de camps autour de Jasenovac, les témoins le décrivaient comme un sadique et une brute épaisse, à Carcaixent il s’appelait Vicente Pérez propriétaire d’une petite imprimerie rue Santa-Anna où il imprimait de la propagande antititiste, fervent catholique il était très apprécié des gens du village, Stéphanie m’écoutait, dans un bar bondé, un verre de rouge à la main, en mangeant des croquettes de morue, elle ouvrait grands les yeux, comment est-ce possible, elle avait de la peine à croire que cette petite bourgade en fête ait caché pendant plus de vingt ans un criminel de cet acabit, au milieu des orangers, Luburic avait même épousé une Espagnole et a eu trois enfants dans les années 1950, sont-ils allés se battre comme moi pour libérer la Croatie du joug yougoslave c’est possible, les ruelles ombragées de Carcaixent sentaient le soufre, vers huit heures une grande partie de la foule s’est dirigée vers l’église où avait tant prié Maks Luburic, on y célébrait une messe en l’honneur de saint Boniface martyr, nous sommes entrés avec Stéphanie qui s’est même signée à l’eau bénite, Boniface selon le martyrologe qu’on nous servit était l’intendant d’une noble matrone appelée Aglaé, ils vivaient criminellement ensemble mais touchés l’un et l’autre par la grâce de Dieu ils décidèrent que Boniface irait chercher des reliques des martyrs dans l’espoir de mériter, au moyen de leur intercession, le bonheur du salut — après quelques jours de marche, Boniface arriva dans la ville de Tarse et, s’adressant à ceux qui l’accompagnaient, il leur dit allez chercher où nous loger : pendant ce temps j’irai voir les martyrs au combat, c’est ce que je désire faire tout d’abord, il se rendit en toute hâte au lieu des exécutions et il vit les bienheureux martyrs, l’un suspendu par les pieds sur un foyer ardent, un autre étendu sur quatre pièces de bois et soumis à un supplice lent, un troisième labouré avec des ongles de fer, un quatrième auquel on avait coupé les mains, et le dernier élevé en l’air et étranglé par des bûches attachées à son cou, en considérant ces différents supplices dont se rendait l’exécuteur un bourreau sans pitié, Boniface sentit grandir son courage et son amour pour Jésus-Christ et s’écria