Выбрать главу

Myriam fumait sur les marches, les mains croisées sur ses genoux, faisant semblant de ne pas l’attendre.

— Bonjour ! lui lança-t-elle, des paillettes dans les yeux.

— Bonjour…

Mais le Zoulou passa devant elle sans presque la voir. Il rappela Tembo.

* * *

Epkeen avait laissé son portable allumé dans son pantalon, abandonné comme le reste sur le parquet de la chambre. Il vibra trois fois, avant de déclencher la sonnerie. Le réveil fêlé au pied du lit affichait sept heures trente du matin : Brian tâtonna dans la pénombre, trouva la cause de ses désagréments, vit le nom affiché et prit l’appel en chuchotant pour ne pas déranger la licorne qui dormait à ses côtés.

— Je vous réveille ? dit Janet Helms.

— Faites comme si je vous écoutais…

— J’ai poursuivi mes recherches au sujet de la maison sur la plage, annonça l’agent de renseignements. Le propriétaire est toujours injoignable mais j’ai obtenu quelques infos. D’abord le terrain : un hectare et demi en bordure de Pelikan Park, acheté il y a un peu plus d’un an. Aucuns travaux n’ont été envisagés pour rénover la maison mais des négociations sont en cours pour l’extension de la réserve voisine : le terrain pourrait donc se retrouver sous peu sur un site protégé, ce qui triplerait le prix du lot. Délit d’initié ou simple spéculation, ça reste difficile à déterminer. En tout cas, l’opération immobilière a eu lieu avec le maximum d’opacité : impossible d’obtenir le nom du propriétaire ou de la société acquéreuse, mais en remontant la filière, j’ai trouvé un numéro sur un compte aux Bahamas. Strictement confidentiel, comme vous le savez. Vous pouvez en toucher deux mots à l’attorney mais ça a peu de chances d’aboutir…

Epkeen essuya la tornade matinale et remit un peu d’ordre dans ses idées. Engager une procédure sur aussi peu d’arguments ne mènerait effectivement à rien, sinon à des mois de paperasserie aussi compliquée qu’inutile puisqu’un simple clic suffisait à transférer le compte dans un autre paradis fiscal.

— Le monde de la banque est vraiment à dégueuler, commenta-t-il.

— Si ça peut vous consoler, celui du renseignement aussi.

— Bof.

L’animal ailé bougea sous les draps.

— J’ai dressé une liste des 4x4 Pinzgauer Steyr Puch recensés dans la province, poursuivit-elle. Un parc privé d’une trentaine de véhicules, dont un quart seulement est de couleur sombre, soit huit véhicules. J’ai aussi dressé une liste de personnes ayant loué un modèle semblable ces dernières semaines. Si vous voulez y jeter un œil…

— OK, soupira-t-il.

Epkeen balança le portable sur la pile de livres en vrac qui constituait sa table de nuit, et reposa la tête sur l’oreiller.

— Dis donc, fit la voix à ses côtés, tu as de ces discussions le matin…

Tara devait avoir chaud sous les draps mais, le bras enroulé comme un serpentin autour de la couette, la jolie bête ne semblait pas décidée à bouger.

Brian l’avait retrouvée au bar de Greenmarket où elle lui avait donné rendez-vous. L’amazone l’avait ensorcelé avec son franc-parler, son esprit rieur et sa croupe cambrée comme à l’assaut du vide. Tara avait trente-six ans, un cheval en pension qu’elle montait aussi souvent qu’elle le pouvait, et travaillait en free-lance pour un gros cabinet d’architecte. Elle ne dit rien de sa vie privée, de ses goûts, de ses amours, sinon qu’elle aimait Radiohead et les types aux yeux vert d’eau dans son genre.

La fin du rêve s’était déroulée chez lui, dans la chambre à l’étage où ils avaient fait l’amour avec un sans-gêne qui, ce matin encore, les rendait tout familiers.

— Epkeen, dit-elle en émergeant des draps : ce n’est pas un nom afrikaner.

— Mon père était procureur sous l’apartheid, dit-il : à la majorité, j’ai pris le nom de ma mère.

Tara était issue d’une famille britannique libérale qui avait combattu les Boers lors de la guerre éponyme. Elle lui attrapa le bout du nez :

— Tu es un petit malin, toi…

Il était surtout complètement foutu d’elle.

— Tu as faim ? demanda-t-il.

— Hum hum…

Son sourire à angles aigus le poussa hors du lit. Il se leva, se demandant comment faisaient les femmes pour être si belles au réveil. Tara mata ses fesses tandis qu’il déambulait dans la chambre, à la recherche de ses vêtements éparpillés.

— Dis donc, estima-t-elle, pour un cheval au bout du rouleau, tu tiens le choc…

— En fait, c’est pas mon vrai corps.

— Il m’avait pourtant semblé, cette nuit…

Brian fila vers la cuisine, en proie au vertige après lequel il courait depuis l’adolescence. Il ne savait pas s’il avait été à la hauteur hier soir, s’il le serait un jour, s’il rêvait encore. Il prépara le petit déjeuner, copieux, divers, qu’il remonta fumant. Tara était dans la salle de bains. Il posa le plateau surchargé sur le lit, inonda de thé les œufs brouillés et passa un tee-shirt. Son parfum flottait dans la chambre, petite brise dans les rideaux… Tara sortit bientôt de la salle d’eau, habillée et aussi pimpante que la veille.

C’est à peine si elle jeta un œil au petit déjeuner.

— Je suis en retard, dit-elle : il faut que je file.

Son sourire isocèle semblait soudain figé.

— Là ? fit-il benoîtement.

Tara regarda sa montre :

— Oui, je sais, c’est un peu précipité comme adieux, mais j’ai complètement oublié que c’est à moi d’emmener les enfants chez la nourrice ce matin.

Adieux.

Nourrice.

Train fantôme.

— Je croyais que tu n’avais pas d’enfants ?

— Moi non, répondit-elle, mais mon mec si.

Tara attrapa une petite bouteille de parfum français, s’aspergea de deux traits discrets et le rangea aussi sec dans son baise-en-ville.

— Je sens bon ?

Elle lui tendait le cou, gracile, blanc — envie de mordre dedans.

— Du vrai picotin, dit-il.

Tara eut un petit rire qui ne cacha pas sa gêne.

— Bon, j’y vais.

— Tu devrais déjà être à demain, fit-il en masquant mal son amertume.

— Hum, acquiesça-t-elle comme si elle comprenait. En tout cas, hier c’était super.

Super.

Brian voulut lui dire que la moitié du plaisir était pour lui mais Tara déposa un baiser mélancolique sur ses lèvres, avant de disparaître comme une ville sous les bombes.

Une porte qui claque, et puis plus rien.

C’était fini les galopades, les courses contre l’écume. Ne restaient que la brise molle dans les rideaux, le café fumant sur les draps et l’impression d’être comme eux, complètement défaits…

Le portable vibra alors depuis la pile de livres : Epkeen voulut l’expédier à l’autre bout de l’Atlantique mais c’était Neuman.

— Ramène-toi, dit-il.

* * *

Epkeen traversa la haie de journalistes et de curieux agglutinés derrière les cordons bicolores de la police. Les vagues s’affalaient sur la plage de Llandudno, repartaient par paquets, couvrant l’horizon d’embruns affolés… L’art de la chute, c’était toute sa vie.

Neuman le vit arriver de loin, débraillé, maussade.

— Désolé pour le réveil, dit-il en le voyant.

Brian pensait toujours à Tara, aux stratégies fatales, et tout cet amour qui foutait le camp… Il se pencha sur le sable.

La jeune femme était étendue à deux mètres de là, les bras en croix, comme si elle venait de tomber du ciel. Un vol macabre : Epkeen détourna le regard du visage de la fille. Il n’avait pas déjeuné et la fuite de Tara lui retournait encore l’estomac.