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— Monsieur Hains ? Il doit être à la production, mais vous trouverez son assistante quelque part… Tenez, la voilà, fit-elle en désignant une blonde auburn qui discutait avec le chef machiniste.

Ruby.

Ruby en robe moulante barbotant dans la boue… Elle se retourna en sentant sa présence, eut une seconde de stupéfaction et le foudroya de ses yeux verts.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

— Et toi ?

— Je travaille, figure-toi !

Dix mois qu’ils ne s’étaient pas vus. Elle avait le teint cuivré et laissé pousser ses cheveux, mais ce n’est pas sa robe de communicante, son maquillage et ses escarpins crottés qui allaient changer son allure de garçonne en guerre contre le monde.

— J’ai déjà quatre abrutis qui puent la bière sur le dos, s’impatienta Ruby, qu’est-ce que tu veux ?

— Te parler de Kate Montgomery, dit-il : c’est moi qui suis chargé de l’enquête.

— Merde.

— Ouais, acquiesça-t-il. Personne ne m’a prévenu que tu faisais partie de l’histoire, mais à partir de maintenant tu oublies l’homme de ta vie et tu réponds au détective : OK ?

Le soleil revenu illuminait sa peau de sable.

— OK ?! insista-t-il en la tirant à l’écart.

— Oh ! Pas la peine de gueuler !

— Tu le fais exprès, on dirait… Bon, plus vite on commencera, plus vite on aura fini.

Ruby était d’accord.

— Dans ce cas, j’exige d’être vouvoyée, dit-elle.

Epkeen ne soupira même pas.

— C’est vous la responsable du tournage ?

— Oui.

— Régisseuse ?

— Assistante de production, précisa-t-elle.

— C’est pareil, non ?

— Vous êtes là pour ergoter sur mon métier ou pour enquêter ?

— Kate, vous la connaissiez bien ?

— Un peu.

— Vous avez déjà travaillé ensemble ?

— Non, c’était la première fois.

— Vous la connaissiez donc de manière privée.

— Kate venait de temps en temps dîner à la maison, parmi d’autres amis. C’est tout.

— Des amis de quel genre ?

— À mi-chemin entre l’opposé et l’inverse de vous.

— Des gens du show-biz, j’imagine.

— Des gens bien, insinua-t-elle.

— Quand s’est terminé le tournage hier soir ?

— Vers sept heures… Le soleil déclinait.

— Kate, vous l’avez vue quand pour la dernière fois ?

— Justement vers sept heures. Nous sommes descendues ensemble par le téléférique.

— Elle allait rejoindre quelqu’un ?

Ruby repoussa ses mèches chahutées par le vent des hauteurs.

— Je n’en sais rien. Kate ne m’a rien dit. Ou plutôt si, se ravisa-t-elle : qu’elle allait se coucher tôt. On avait une grosse journée de tournage le lendemain.

— C’est votre boîte qui a embauché la styliste ?

— Oui. Kate a commencé le tournage hier, comme les autres.

Ruby ne fumait plus : elle broyait méthodiquement une allumette tirée de sa boîte.

— Elle avait un rapport particulier avec des membres de l’équipe ? demanda Epkeen.

— Vous voulez dire anal ?

— Très marrant. Je crois d’ailleurs me souvenir que vous étiez une fervente pratiquante.

— Mufle.

— Vous êtes excusée pour ce débordement mais ce sera le seul. Alors : Kate avait-elle des rapports privilégiés avec un ou des membres de l’équipe ?

— Non !

— Elle prenait de la drogue ?

— Comment voulez-vous que je le sache ?

— Le milieu du show-biz est un aspirateur à coke, ne me dites pas que vous n’êtes pas au courant.

— Je ne travaille pas dans le show-biz, grinça Ruby.

— Vous vivez pourtant avec le dentiste des stars ; vous devez avoir des dîners passionnants avec des présentateurs de télé, des mannequins, voire des publicitaires…

Ruby prétendait détester la vulgarité du fric et la plupart des gens qui allaient avec.

— Vous voulez en venir où, inspecteur Gadget ?

Les yeux de Ruby brillaient méchamment.

— Kate ne vous a pas paru différente ces derniers temps ? continua-t-il.

— Non.

— Irritable ? Impatiente ?

— Non.

— Vous lui connaissez un amant ?

— Pas spécialement.

— Ça veut dire quoi, qu’elle en changeait souvent ?

— Comme toutes les filles de vingt-deux ans qui ne font pas la connerie de tomber amoureuses du premier venu.

Vingt-deux ans : l’âge de Ruby quand il l’avait rencontrée au concert de Nine Inch Nails. Une autre vie.

— Kate avait des préférences ? Un type d’homme particulier ?

— Je ne sais pas.

— Des hommes noirs ?

— Je vous ai dit que je n’en savais rien.

— Vous dînez souvent avec des gens que vous ne connaissez pas ?

Ruby haussa un sourcil, finement dessiné au crayon. Pas d’autre réaction.

— Alors ?

— Kate avait vingt ans de moins que moi, s’échauffa-t-elle, et c’était une fille angoissée qui ne se livrait pas. Il faut vous répéter les choses dix fois avant que vous compreniez ?

— Dix-huit fois, répondit-il : c’est la théorie de John Cage.

— Vous vous intéressez à l’art conceptuel maintenant ?

Ils échangèrent un sourire caustique.

— Personne n’a cherché à joindre Kate hier ? reprit Epkeen.

— Pas à ma connaissance.

— Elle vous avait déjà parlé d’un ancien petit copain ?

— Non.

— Un rendez-vous quelconque ?

— Non, souffla Ruby. Je vous répète que nous avions une grosse journée de tournage. On s’est séparées sur le parking, je suis partie chercher les licols au club hippique et je ne l’ai plus revue…

Epkeen eut un frisson malgré le soleil revenu.

— Des licols ?

— Vous savez, ces sortes de grandes laisses qu’on met aux chevaux pour qu’ils arrêtent de s’exciter, ironisa-t-elle.

— Et alors ?

— C’est dans le script du clip, expliqua l’assistante de production : « des furies s’abattent sur les quatre démons de la nuit, leur passent un licol au cou et les fouettent pour qu’ils traînent leur reine… ». Vous n’aimez pas l’imaginaire du Death Metal, lieutenant ?… Vous aimez pourtant ça, faire le cheval, non ?

Un doute l’envahit. Énorme.

Tara.

Leur rencontre inopinée sur la plage.

Leur nuit d’amazone.

Brian connaissait son démon par cœur : le sourire à deux têtes qu’arborait Ruby était trop beau pour être honnête. Elle avait engagé Tara pour le séduire, elle avait loué une call-girl pour lui faire tourner la tête et l’abandonner, comme une trace de foutre dans les draps…

— Quelque chose ne va pas, lieutenant ?

Ruby souriait toujours, avec l’indifférence criminelle de la chatte devant la souris.

— Quel club hippique ? demanda-t-il.

— Noordhoek.

Epkeen chassa ses sueurs chaudes — Noordhoek : rien à voir avec la plage de Muizenberg, où il avait rencontré la cavalière… Bon Dieu, il commençait à devenir complètement paranoïaque avec ces histoires.

— Quel véhicule avait Kate lorsque vous l’avez quittée ? se reprit-il.

— Un coupé Porsche.

On avait retrouvé la voiture sur la corniche, à deux kilomètres de sa maison… Plantée dans la brise, Ruby le regardait d’un air laconique.

— C’est tout ce que vous pouvez me dire ?