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Baden Powell était à deux kilomètres à peine de la maison, accessible par la piste.

— Le 4x4 se dirigeait dans quelle direction quand on l’a filmé ? demanda Epkeen.

— L’ouest. C’est-à-dire vers Cape Town.

Soit le chemin opposé à celui des townships.

— L’un de ces propriétaires est d’origine zouloue ?

— Non, j’ai vérifié. Si l’on en croit la couleur, enchaîna-t-elle, seuls trois véhicules correspondent au signalement. J’ai appelé les agences de location concernées mais aucune n’a loué ce modèle le jour du meurtre de Dan. Quant aux entreprises privées, elles ne sont que trois à en utiliser : une agence de tourisme spécialisée dans les safaris, mais le véhicule était indisponible toute la semaine concernée. Il reste un vignoble dans la vallée près de Franschoek, que je n’arrive pas à joindre, et ATD, une entreprise de sécurité et de police privée. Ça vaudrait peut-être le coup d’aller y jeter un œil…

Epkeen acquiesça — Janet Helms sentait le lilas.

* * *

Neuman ne savait pas qui avait vendu la mèche aux médias (d’après le coroner, la moitié du service vendrait la date de sa mort au premier venu, et l’autre moitié à celui qui mettait un zéro de plus sur le chèque) mais les révélations autour du meurtre de Kate Montgomery eurent, en pleine campagne anti-crime, un effet désastreux. La sauvagerie de l’exécution, le viol, la mèche et les ongles fétiches, la revendication tribale gravée en lettres de sang sur le corps d’une jeune Blanche : le mythe du « Zoulou » pouvait germer dans les rédactions.

Première ethnie du sous-continent africain, les Zoulous avaient traumatisé leur époque en massacrant un régiment anglais[36] — avant d’être passés par les armes. Chargés de défricher les territoires hostiles, les pionniers boers avaient combattu les Zoulous avec la même âpreté, avant de les parquer dans les bantoustans de l’apartheid.

Ololo, « nous vous tuons », était interprété comme un avertissement et une menace à l’encontre de la population blanche, la réminiscence d’une forme d’ethnocide sortie d’un esprit malade, celui du tueur.

Les meurtres ravivaient un passé trouble, volontairement occulté au nom de la réconciliation nationale. La chute du Mur, l’inéluctabilité de la mondialisation et la personnalité hors norme de Mandela avaient eu raison de l’apartheid et des guerres intestines — tout le monde se souvenait de l’accession au pouvoir du leader de l’ANC, quand le Xhosa avait levé les bras de ses pires adversaires, De Klerk l’Afrikaner et Buthelezi le Zoulou, en signe de victoire. Nicole Wiese et Kate Montgomery étaient les enfants de deux symboles, le champion du monde de la première équipe multiraciale et la voix de la nation arc-en-ciel : s’y attaquer était simplement inacceptable. Entre les lignes des rédactions les plus conservatrices, il y avait en filigrane la salissure historique du viol d’une Blanche par un Noir, cette vieille idée de promiscuité où biologie et politique se mêlaient. Les soupçons de viol et de corruption qui pesaient sur Zuma, le leader le plus populiste de l’ANC, n’arrangeaient pas les choses…

Neuman sortait d’une entrevue houleuse avec le chef de la police quand il reçut le rapport détaillé de Tembo : l’arme qui avait tué Kate Montgomery était un manche de pioche, un bâton ou une sorte de casse-tête (des éclats de bois étaient incrustés dans le crâne de la victime). On n’avait pas trouvé de traces de sperme mais celles de la came en circulation, qui avait mis la jeune femme dans un état d’hébétude avancée. On l’avait attachée et bâillonnée à l’aide de ruban adhésif. Le crime était similaire à celui de Nicole Wiese, si ce n’est l’étrange mixture collée aux cheveux de Kate : un mélange d’herbes.

Il ne s’agissait pas d’une concoction d’iboga, comme le légiste l’avait d’abord cru, mais de deux plantes et d’une racine, l’uphindamshaye, l’uphind’umuva et le mazwende. Mixées sous forme de poudre, elles formaient la base de l’intelezi, un rituel zoulou d’avant combat.

L’intelezi pouvait être inséré sous la peau sous forme de poudre, ou gardé à macérer dans la bouche, avant d’être craché au visage de l’adversaire. C’est ce qui était arrivé à Kate…

Le regard de Neuman brûla d’une lueur mauvaise : en crachant sur sa victime, ce cinglé venait de leur livrer son ADN.

* * *

La salle électrique, le mur de son grondant sur la scène enfumée, un larsen comme une sirène hurlante, des images de massacre projetées sur des plaques de métal, Soweto 76, les émeutes de 85, 86, des visages de pendus, des suppliciés, Zina en transe sous le battement des tambours, son grand corps fumant, et ses yeux de folle qui le poursuivaient depuis toutes ses nuits…

— Faites attention, lança-t-elle en le voyant devant sa loge, ou vous allez devenir comme cette pauvre Nicole…

Le 366 était le club de Long Street où le groupe se produisait ce soir-là. Zina savait qu’Ali reviendrait — ils revenaient tous.

— Il ne s’agit plus de Nicole mais de Kate, dit-il : Kate Montgomery… Vous êtes au courant ?

Elle souffla, exaspérée, poussa la porte de la loge et la referma derrière lui.

— Pourquoi vous venez me parler de cette fille ?

Zina attrapa la serviette sur la coiffeuse et essuya ses bras trempés de sueur. Neuman sortit un papier plié de sa poche.

— J’aimerais que vous jetiez un œil à ça, dit-il.

— C’est quoi, une déclaration d’amour ?

— Non. Le résumé du rapport d’autopsie.

— Vous savez toujours aussi bien parler aux femmes.

— Ce n’est pas tous les jours qu’on tombe sur quelqu’un comme vous.

— Comment dois-je le prendre ?

— Ça dépend pas mal de votre appréciation, dit-il en lui tendant la feuille.

La danseuse parcourut le document d’un air désinvolte.

— Rognures d’ongles, mèches de cheveux, commenta-t-elle, c’est le kit minimum pour un remède de charlatan. Un muti, qu’il cherche à se confectionner… Oh ! Je vois aussi qu’il y a des plantes savantes, uphindamshaye, uphind’umuva, mazwende… Vous manquez de botanistes chez les flics ?

— Je manque surtout de coupables.

— Ce n’est pas ça qui manque en Afrique du Sud.

— Vous êtes une inyanga, n’est-ce pas : une herboriste…

— Je croyais que je fabriquais des potions pour midinette ?

— Je me suis trompé sur votre compte.

— Moi aussi, si ça peut vous rassurer.

Non.

— Ces plantes savantes forment la base d’un intelezi ? demanda-t-il.

— Pourquoi posez-vous des questions dont vous connaissez les réponses ?

— C’est mon métier, figurez-vous. Alors ?

— Oui, répondit Zina : un rituel zoulou d’avant combat.

— Vous pouvez m’en dire plus ?

La danseuse chercha dans ses yeux mais ils ne réfléchissaient plus rien.

— La composition de l’intelezi varie selon qu’on cherche à affaiblir l’adversaire ou à renforcer son arme, dit-elle. D’après la composition de celui-ci, je dirais qu’il a servi à réduire la force de son adversaire.

— Massacrer des gamines à coups de massue, on ne peut pas appeler ça un combat.

— Ce n’est peut-être pas avec des gamines qu’il cherche à se mesurer, fit-elle remarquer.

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36

L’armée anglaise avait la réputation d’être la meilleure armée du monde.