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— Limiter leur espérance de vie, fit Neuman. La période d’incubation est trop longue pour qu’on ait pu le déceler chez Nicole ou Kate, expliqua-t-il, mais le surfeur de False Bay et Simon ont contracté le même virus il y a plusieurs semaines : une souche de sida, qu’on a introduite dans la came… Ça signifie que toutes les personnes qui ont touché au produit sont aujourd’hui infectées. Sans traitement rapide, ils n’en ont plus que pour quelques mois à vivre…

— Ce ne serait donc pas les jeunes Blancs de la côte qui étaient visés, mais les gamins du township.

— On dirait.

Janet Helms prenait des notes sur son carnet, les lèvres sucrées. L’Afrikaner jura dans le fond de son espresso.

— Terreblanche, il est où ?

— Pour le moment, nulle part, répondit Neuman.

— Je n’ai rien trouvé dans les fichiers de la SAP, confirma la métisse, ni dans les différents services administratifs ou médicaux. Juste une note dans les archives de l’armée.

— Comment ça se fait ?

— Mystère, dit-elle. Terreblanche a des parts d’entreprises sud-africaines mais il ne réside plus ici depuis des années. Impossible de le localiser à l’étranger. J’ai fouillé dans les archives de l’armée mais on n’a pratiquement rien sur lui : à peine ses états de service et sa participation au Project Coast du Docteur la Mort.

— On peut quand même essayer d’en parler à l’attorney général pour qu’il ouvre une enquête, tenta Epkeen.

— Il nous enverrait sur les roses, dit Neuman. On n’a rien, Brian : que des informations obtenues de manière illégale et un organigramme vieux de vingt ans sur une affaire définitivement classée. Acquérir une maison depuis un compte offshore ou patrouiller en Pinzgauer la nuit d’un meurtre n’est pas un délit passible de poursuites : il nous faut des preuves.

Par les haut-parleurs, une voix enregistrée invitait les touristes à ne pas s’aventurer au-delà des grilles du complexe marchand, comme si une horde de gangsters attendait pour les dévaliser. Epkeen ralluma une cigarette.

— Je peux aller tirer les oreilles de Debeer, dit-il.

— Ça risquerait de mettre Terreblanche en alerte, objecta Neuman. Je ne veux pas qu’il nous échappe… Janet, dit-il en se tournant vers l’aspirateur à milk-shake : tâchez de me dresser l’organigramme des collaborateurs de Basson sur le Project Coast, avec leurs coordonnées, toutes les infos que vous pourrez trouver. Terreblanche a pu débaucher d’anciens chimistes pour cette affaire. Cherchez dans les fichiers des services spéciaux, de l’armée… Peu importe les moyens.

Janet acquiesça au-dessus des restes de crème. Elle piraterait les ordinateurs du Pentagone s’il le lui demandait.

— Vous pouvez vous introduire dans les réseaux informatiques sans laisser de traces ? questionna-t-il.

— Eh bien, heu… oui… Avec les codes et un ordinateur sécurisé, ça doit pouvoir se faire… Mais, enfin, c’est risqué, capitaine…

Elle jouait quand même sa carrière sur ce coup.

— Il y a eu trop de fuites dans cette affaire, dit Neuman. Si la mort de Kate Montgomery a été une mise en scène pour accuser Gulethu et clore l’affaire, ça signifie que Terreblanche et ses complices ont eu accès aux rapports d’autopsie de la morgue. Voire à nos propres fichiers.

— Je croyais qu’ils étaient sécurisés ? fit remarquer Epkeen.

— Les archives de l’armée consultées par Janet aussi.

Brian eut un geste de dépit. La corruption touchait tous les échelons de la société, du particulier qui rachetait du matériel volé au coin de la rue aux élites au pouvoir — évasion fiscale, fraudes, irrégularités, truquages financiers, les deux tiers des dirigeants étaient impliqués.

— Janet, vous vous sentez de taille ?

La métisse opina avec une raideur toute militaire :

— Oui, capitaine.

Petit soldat.

— OK : vous vous occupez du Project Coast. Brian, tu vas faire un tour à l’agence de Hout Bay. Vois si tu peux trouver quelque chose, des documents, n’importe quoi. Le 4×4 n’a pas traîné près de la maison de Muizenberg pour rien, et s’ils ont pris le risque de laisser des cadavres dans la cave, c’est qu’ils voulaient cacher autre chose.

Epkeen suivait le raisonnement :

— Leurs traces.

— Sans doute. Effacées par le sang et la merde.

Janet oublia son fond de milk-shake.

— Tu crois qu’il y avait quoi dans cette maison ? reprit Brian. Un labo où ils fabriquaient la came ?

— À toi de voir… Une visite discrète, précisa-t-il d’un air entendu. Je me charge du reste… On se donne rendez-vous demain matin, même endroit : disons huit heures. D’ici là, conclut-il, réduisons nos communications au minimum.

Neuman avait besoin de l’autorisation de Krugë pour mener une descente en règle dans le township. Si, comme il le croyait, Gulethu avait été sacrifié lors de l’attaque-suicide contre le shebeen, Mzala et les Americans étaient complices. Leurs arrestations ne se feraient pas sans grabuge…

Le vent du soir ramenait le dernier ferry de Robben Island quand ils finirent de régler les ultimes détails de leur plan. Janet Helms partit la première, avec ses carnets d’écolier et ses talons, en quête de ses précieux codes. Neuman profita de ce que Brian allait régler au bar pour téléphoner.

La danseuse décrocha à la première sonnerie.

— Alors, s’esclaffa-t-elle, tu es sorti de ton sarcophage ?

— Disons que je tiens à mes bandelettes… Je te dérange ?

— Je monte sur scène dans trois minutes.

— Je ne serai pas long.

— On a le temps.

— Pas sûr.

— Pourquoi ? Tu me prends toujours pour une terroriste ?

— Oui : c’est pour ça que tu vas m’aider.

— C’est si gentiment dit. T’aider à quoi ?

— Je cherche un homme, dit-il, Joost Terreblanche : un ancien colonel de l’armée recyclé dans le business sécuritaire, avec comptes numérotés dans des paradis fiscaux et une opacité maximum autour de ses activités.

Zina souffla dans le combiné.

— Tu fais chier, Ali.

— Terreblanche a disparu de nos fichiers, mais sûrement pas des vôtres.

— De quoi tu parles au juste ?

— Des fichiers de l’Inkatha.

— Je me fous de l’Inkatha.

— Ça n’a pas été toujours le cas.

— Je ne fais plus de politique ! Je ne fais plus que danser et bricoler des poudres à la con pour des pauvres types comme toi : tu n’avais pas remarqué ?

Il pleuvait des baisers morts sur la terrasse désertée.

— J’ai besoin de toi, dit-il.

— Pas autant que moi, Ali.

Il jetait des regards vers l’entrée du bar, où Brian pouvait surgir d’une seconde à l’autre. Il ne voulait pas qu’il le voie lui parler.

— Terreblanche a collaboré avec le docteur Basson, reprit le Zoulou à mi-voix. Il n’a pas témoigné à la Commission Vérité et Réconciliation et bénéficie de protections : son nom a quasiment disparu de nos fichiers. L’Inkatha a forcément gardé un dossier sur lui, des renseignements auxquels nous n’avons plus accès.