Выбрать главу

— Pourquoi tu n’es pas allé directement chez tes copains flics ?

— Pour éloigner Ruby… Vous pouviez vous en servir… comme objet de chantage.

— Tu soupçonnais le dentiste ?

— Oui…

Il compressa le visage sous sa chaussure :

— Et tu n’as prévenu personne sur la route ?

— Plus de portable, articula l’homme à terre. Les autres à mes trousses…

Debeer avait récupéré le fax avec le listing du Project Coast, les échantillons et le disque dur volé à Hout Bay. Mais ce fouille-merde avait eu le temps de le consulter… Terreblanche ôta sa rangers, laissant des marques de crampon sur la joue du flic : son récit semblait coller avec celui de Debeer.

Il sortit un objet de sa veste :

— Regarde ce qu’on a trouvé dans ta poche…

L’Afrikaner redressa la tête, vit la clé USB. La semelle de cuir lui fracassa le ventre. Epkeen avait beau s’y attendre, il se tortilla sur le parquet.

— Laissez-le ! lâcha Ruby depuis le lit.

Terreblanche ne lui adressa même pas un regard :

— Toi, la petite pute, je te conseille de la boucler si tu ne veux pas que je t’enfonce un manche de pioche dans le cul. Tu l’as montré à qui, le contenu du disque dur ?

Epkeen happait l’air comme un poisson volant.

— Personne…

— Ah ouais ?

— Pas…

— Pas quoi !

— … eu le temps.

Terreblanche s’agenouilla et attrapa le flic par le col de sa chemise :

— Tu as envoyé une copie au central ?

— Non…

— Pourquoi ?

Il hoquetait, en apnée.

— Les lignes… les lignes n’étaient pas sécurisées… Trop de noms effacés des fichiers…

Terreblanche hésita : ses hommes avaient détruit l’ordinateur de la chambre lors de l’attaque, on n’avait plus aucun moyen de savoir ce qu’il avait pu trafiquer avec les documents.

— Tu as envoyé une copie du disque dur à quelqu’un d’autre ? Hein ?! (Terreblanche s’impatienta.) Parle ou je la bute !

Il dégaina son arme et visa la tête de Ruby. Elle reflua vers le lit, effrayée.

— Ça ne changera rien, souffla Epkeen. Je déchiffrais les dossiers quand vos types me sont tombés dessus…

La main qui tenait l’arme était couverte de taches brunes : au bout du canon, Ruby tremblait pour deux.

— Ainsi, personne ne connaît l’existence des fichiers…

Brian secoua la tête — ce connard lui rappelait son père.

— Non, dit-il. Que moi…

Le silence heurtait les murs de la chambre. Terreblanche baissa son arme et jeta un œil à sa Rolex.

— Bon… On va voir ça…

* * *

La cave était une pièce lugubre et froide à l’odeur de barrique. Epkeen tentait de desserrer ses liens, sans beaucoup d’espoir. On l’avait attaché à une chaise, les mains dans le dos, et il ne voyait qu’un point noir avec la lampe projetée sur son visage.

Un homme corpulent préparait quelque chose sur la table voisine : il crut deviner Debeer, et une machine à l’aspect peu réjouissant…

— Je vois qu’on n’a pas perdu les bonnes habitudes, lança-t-il aux militaires.

Terreblanche ne répondit pas. Il avait déjà torturé des gens. Des Noirs pour la plupart. Certains qui n’appartenaient même pas à l’ANC, ni à l’UDF. De pauvres types en général, qui s’étaient fait manipuler par des agitateurs communistes. Thatcher et les autres les avait laissé tomber à la chute du Mur mais sa haine restait la même pour les communistes, les cafres, les libéraux, toute cette chienlit aujourd’hui au pouvoir…

— Tu ferais mieux d’économiser ta salive, dit-il en surveillant le montage.

Le boss regarda sa montre. Ils avaient encore un peu de temps avant de filer à l’aérodrome. La maison de VDV était isolée, personne ne viendrait les importuner. C’est en rentrant à Hout Bay pour le chargement qu’ils avaient trouvé les employés et le vigile inanimés : quelqu’un était entré dans l’agence par effraction et avait volé le disque dur. La piste du flic fouineur était la bonne mais ce branquignol leur avait échappé. Debeer avait heureusement vu le fax qu’il venait de recevoir, l’organigramme du Project Coast et le nom de VDV en bas de la liste : le flic avait forcément fait le lien…

Epkeen ne pensait qu’à gagner du temps.

— C’est vous qui avez imaginé cette histoire de Zoulou, dit-il, n’est-ce pas… Vous avez gardé Gulethu en vie pour que son ADN l’inculpe du meurtre de Kate et fasse croire à un tueur raciste. Gulethu fournissait la dope aux gamins des rues des Cape Flats, sauf qu’il a voulu vous doubler en dealant des doses auprès des petits Blancs de la côte. Lui et sa bande surveillaient la maison pendant que Rossow bricolait ses petites potions… Des expériences du genre comme vous en meniez avec le docteur Basson ?

Terreblanche dressa l’oreille, ses gros avant-bras poilus croisés sur sa veste beige.

— La maison de Muizenberg, c’était une unité de recherche mobile, escamotable d’un coup de Pinzgauer ? Vous saviez qu’on allait fouiner dans le coin, alors vous avez imaginé cette histoire de squat sur la plage, d’où rayonneraient les tsotsis… Vous le testiez sur qui, votre produit miracle : des gamins des rues ?

L’autre regardait Debeer s’escrimer avec son matériel, impassible.

— Des handicapés mentaux, relança Epkeen, vous n’avez pas pensé ? Ça parle encore moins qu’un orphelin, et puis, entre nous, ça ne sert à rien… Pas vrai ?

Terreblanche le toisa d’un rictus — le flic avait repris du poil de la bête, on dirait… La machine était presque prête.

— Des Blancs n’allaient pas dealer dans les townships, c’est pour ça que vous avez sous-traité l’affaire à des gangs. Sauf qu’avec Gulethu, vous êtes tombés sur un cinglé de première… C’est lui qui a tué Nicole Wiese, hein… Il a voulu faire porter le chapeau à Ramphele sans savoir ce qu’il y avait dans la dope : un produit miracle mêlé aux cristaux à tester sur des cobayes, et une souche de sida pour les réduire au silence. Quelques semaines, c’est ça leur espérance de vie ?

Debeer fit signe que tout était prêt.

— Maintenant c’est moi qui pose les questions, lâcha Terreblanche en s’approchant de la chaise.

Il passa le bout de sa cravache sur ses yeux, jusqu’à l’agacement.

— Je te le demande pour la dernière fois : qui connaît l’existence des fichiers volés ?

— Personne, je vous ai dit. Trop de fuites dans nos réseaux informatiques.

— Qu’est-ce que tu as fait en quittant Hout Bay ?

Epkeen tenta d’éloigner la tige de cuir qui effleurait ses paupières.

— Je suis rentré chez moi pour décrypter le contenu du disque dur : vos tueurs sont arrivés alors que j’essayais de comprendre ce qu’il y avait dedans.

— Tu as très bien pu donner une copie à ton chef, contesta l’autre.

— Je n’ai pas de chef.

— Neuman a une copie ? gronda-t-il.

— Non.

— Pourquoi ?

— Je n’ai pas eu le temps de lui donner.

La cravache caressa son nez :

— Pourquoi tu ne l’as pas envoyée ?

— J’étais encore en train de déchiffrer le contenu du disque dur, rétorqua Epkeen. Il faut vous le dire en afrikaans ?

— Tu mens.

— J’aimerais bien.

— Envoyer le dossier par mail prenait deux minutes. Pourquoi tu ne l’as pas fait ?

— Nos lignes ne sont plus sécurisées.

— Ça ne t’a pas empêché de recevoir un fax.

— Si j’avais envoyé une copie au central, je n’aurais pas embarqué la clé USB.

— Il existe une autre copie ?