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Mzala contempla son œuvre. La fille était maintenant à point. Le tsotsi bandait, c’en était presque douloureux : il sortit son membre vigoureux quand des pas cadencés résonnèrent dans le couloir.

Debeer entra le premier, soutenant un type en piteux état. Terreblanche suivait. Il vit Ruby, qui pleurait en silence, puis le sourire crispé de Mzala sur le lit…

* * *

Le monde n’était plus formaté, les données calanchées. Le temps aussi était devenu poreux, gravitation quantique à boucles. Epkeen laissa valser les gamètes dans la chimie incertaine de son cerveau : la matière expédiée de l’autre côté de l’univers, il s’accrochait aux particules de pensées qui lui sifflaient comme des météorites au-dessus de la tête. Au bout de sa folle course après lui-même, il vit la poussière moutonnant sur le parquet, puis Ruby, près de lui… Les images troubles lui tiraient des larmes brûlantes.

— Qu’est-ce qu’ils m’ont fait ? murmura-t-il.

— Je ne sais pas, répondit-elle d’une voix neutre. Mais tu as pissé dans ton froc.

Brian se contenta de respirer. Ses yeux le piquaient atrocement ; il avait mal aux muscles, aux os, son corps entier n’était plus qu’une longue plainte, et la lionne qu’il apercevait entre les herbes brûlées avait sa mine des jours de mauvaise chasse. Il évalua les dégâts de son pantalon.

— Putain…

— Ouais.

Sa chemise aussi était trempée.

Il se souvint de Terreblanche, de la gégène, de sa cervelle réduite à un transformateur, de ses cils qui cramaient, des mots qui lui sortaient tout seuls de la bouche, des serpents qu’il avait crachés au milieu de la douleur… Un doute affreux le saisit à la gorge : avait-il parlé ? Des flammèches incandescentes tambourinaient sous ses paupières, il distinguait à peine Ruby sur le lit, les ombres au mur… Epkeen fit un mouvement pour se redresser mais il avait mal partout.

— Aide-moi, s’il te plaît…

— T’aider à quoi ?! Putain, un type est venu tout à l’heure, un cinglé avec des langues qu’il m’a collées sur le visage ! Des langues d’homme ! Merde ! Tu ne vois pas que ces types sont fous ! Tu ne vois pas qu’ils vont nous tuer ?!

Ruby était à deux doigts de la crise de nerfs.

— Ils l’auraient déjà fait, répliqua-t-il.

— Si on m’avait dit qu’on mourrait ensemble, grommela-t-elle.

— Aide-moi à me relever au lieu de rêvasser.

Ruby attrapa un de ses bras :

— Qu’est-ce que tu comptes faire ?

— Aide-moi, je te dis.

Les larmes d’Epkeen coulaient toutes seules sur le plancher. La station debout lui fit l’effet d’un phare jeté en mer mais il voyait mieux les formes : les stores baissés, la fenêtre sans poignée, le secrétaire, la chaise de bois branlante, et Ruby, les mâchoires serrées pour ne pas hurler… C’était une coriace, elle ne flancherait pas. Il colla son visage entre les stores tirés de la chambre : on apercevait les arbres fruitiers du jardin, puis les vignes qui s’étendaient contre les flancs gris de la Table Mountain… Même s’ils réussissaient à s’échapper, ils n’iraient pas loin dans leur état.

— Il faut se tirer d’ici, dit-il.

— OK.

Brian évalua la situation : pas brillante.

— Si Terreblanche ne nous a pas encore liquidés, c’est qu’il compte se servir de nous.

— Comme quoi, comme otages ? Tu ne vaux rien sur le marché de l’occase, Brian. Moi encore moins.

Elle n’avait pas tort. Il désigna ses mains, compressées par l’adhésif :

— Toi qui as de beaux crocs, essaie donc de mordre là-dedans.

— J’ai déjà essayé, gros malin. Pendant que tu étais dans le cirage. C’est trop dur, assura-t-elle.

— Je n’exerçais aucune pression : essaie encore.

Ruby souffla bruyamment, s’agenouilla dans son dos, chercha une faille.

— Vas-y !

— C’est ce que je fais, grogna-t-elle.

Mais l’adhésif était solide, trop serré pour offrir la moindre prise.

— J’y arrive pas, dit-elle en abandonnant.

Les oiseaux pépiaient dans le jardin. Epkeen eut beau chercher, il ne voyait plus qu’une solution : un truc de prisonnier politique… La perspective, vu son état, lui arrachait déjà des soupirs plus proches de l’agonie.

— La première habitation se situe où ? demanda-t-il.

— Un kilomètre environ. Pourquoi ?

— On n’a plus beaucoup de choix, Ruby… Je ne vois pas de garde dans le jardin : avec un peu de chance, tu peux atteindre les vignes avant qu’ils nous tombent dessus. Cours à couvert sans te retourner et file chez le voisin prévenir les flics.

— Ah oui ? feignit-elle de s’étonner. Et comment je me transporte jusqu’à tes vignes ? En rêve ?

— Il n’y a qu’un simple vitrage à la fenêtre, dit-il tout bas : si je réussis à le casser, tu as une chance de t’échapper. En dix secondes, tu es dans les vignes. Le temps que les autres réagissent, tu seras loin.

Elle fronça les sourcils.

— Et toi ?

— Je te suis.

— Et s’il y a un garde dehors ?

— Au pire il te tue.

— C’est ça ton plan ?

— Dis-toi que ça te fera gagner du temps.

Ruby secoua la tête, peu convaincue par son sourire à deux faces.

— Tu oublies une chose, Brian : on le casse comment, le vitrage ?

— J’ai la tête dure, dit-il.

Elle froissa son joli minois :

— Défoncer la vitre à coups de tronche : c’est complètement débile ton plan.

— Oui, mais c’est rock.

Ruby le regarda comme s’il était complètement demeuré :

— Toujours aussi siphonné.

— Allez, s’impatienta-t-il, ne perdons pas de temps.

Il poussa la chaise du secrétaire sous la fenêtre :

— Ça t’aidera à l’enjamber… Tu es prête ?

Ruby fit un signe affirmatif, concentrée sur l’objectif. Leurs regards se croisèrent un instant : peur, tendresse, souvenirs emmêlés. Il l’embrassa sur la bouche sans qu’elle songe à le mordre, recula jusqu’à la porte et évalua la trajectoire idéale. Ruby se mordait les lèvres, prête à détaler. Enfin, il effaça toute pensée de son esprit et fonça tête la première.

Une chance sur deux de rester sur le carreau, d’après ses calculs : son crâne percuta la vitre, qui se brisa sous le choc. Ruby étouffa un cri. La tête de Brian se prit dans les stores, l’empêchant de passer à travers la fenêtre : il resta une seconde empêtré dans les lamelles, puis s’écroula parmi les débris de verre.

La lumière du jardin éblouit Ruby. La vitre de la chambre était en partie brisée, les arbres à quelques mètres seulement. Elle se précipita en oubliant les lames de verre qui striaient le ciel, grimpa sur la chaise adossée au mur et traversa la vitre en fermant les yeux. En un bond, elle fut dehors. Ses jambes flageolèrent sur la terre craquelée, du sang tiède gouttait sur ses paupières mais elle ne pensa plus qu’à courir. Elle se fraya un chemin sous les arbres, louvoya entre les branches basses. Les vignes n’étaient plus qu’à dix mètres.

— Ne la tuez pas ! hurla une voix sur sa droite.

Ruby atteignit les premières plantations. Elle courba l’échine, fila dans l’allée sur une vingtaine de mètres avant de brusquement bifurquer vers la gauche. Les arbustes griffaient sa peau, ses mains liées la freinaient dans sa course éperdue, elle franchit une nouvelle allée, haletante, et coupa plein nord. Un kilomètre environ, avant d’atteindre la maison des voisins. Ruby courait à travers les vignes quand un choc stoppa sa trajectoire. Elle tomba face contre terre. Un poids énorme la plaqua aussitôt au sol. Un cri de douleur s’échappa de ses lèvres : le genou enfoncé dans ses reins, l’homme la tenait fermement. On accourut depuis la maison, des ombres surgissaient des allées…