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— Où est-ce que tu comptais aller comme ça, petite pute ? grogna Terreblanche.

Ruby avait la bouche pleine de terre. Le plan de Brian était foireux. La vie décidément sans surprise.

* * *

Epkeen attendait contre le mur de la chambre, groggy. Le choc avait manqué de le tuer mais il était resté conscient. Miracle pour têtes brûlées : les gardes l’avaient trouvé à terre, parmi les débris de verre et de store arraché. Occupés à rattraper la fille qui s’échappait par la fenêtre, ils l’avaient laissé à ses plaies ouvertes et organisé la battue. Ruby n’irait pas loin, il le savait.

De fait, la voilà qui revenait, le front méchamment entaillé. Sa jolie robe était en lambeaux, ses bras éraflés, son visage et ses épaules aussi étaient barbouillés de sang. Terreblanche la jeta sur le lit comme un jouet qui aurait trop servi.

— Lie-leur les chevilles, ordonna-t-il à Debeer. Et déblaie ces bouts de verre : ce serait bête qu’ils se coupent…

Humour de militaire. Ruby jeta un regard désemparé à Brian, le scalp en partie arraché. Debeer commença par lui.

— Tu enlèveras les liens quand ils seront morts, dit le boss.

C’était la deuxième partie de son plan : la première reposait au milieu du salon, avec la balle du flic dans la nuque. Terreblanche avait prévu d’éliminer Van der Verskuizen et sa poule avant de gagner l’aérodrome — un cambriolage qui aurait mal tourné — mais les derniers événements avaient modifié ses plans.

— Fais une première injection à 4 cc : laisse agir une demi-heure avant de faire la deuxième piqûre… Ils seront dans les vapes et n’opposeront aucune résistance.

Debeer acquiesça tandis que son chef essuyait ses empreintes sur le.38.

— Après quoi, tu abattras la fille avec cette arme, fit-il en posant le revolver sur le secrétaire. N’oublie pas les gants, ni de déposer les empreintes du flic sur le flingue. Il faut que ça ait l’air d’un meurtre dans une crise de folie, suivi d’une overdose : compris ?

— Affirmatif.

Debeer était chargé des basses besognes. Il n’aimait pas spécialement ça. Il suffisait de ne pas penser. Le boss déposa une mallette de cuir sur le sol : il y avait un garrot à l’intérieur, des seringues, de la poudre, un manche de pioche…

— Tu violeras la fille avant de la tuer, précisa-t-il. Ce sera important pour l’autopsie… On se rejoint comme prévu.

Ruby se recroquevilla sur le lit, les yeux exorbités.

— Personne ne croira à un meurtre, lança Epkeen depuis le mur : tout le monde sait qu’on s’adore.

— Ouais ! assura Ruby.

Terreblanche n’eut pas même un regard :

— Exécution.

La première injection fut comme un coup de tonnerre dans un ciel déjà noir. Epkeen sentit la chaleur monter jusqu’à ses joues, se propager dans un spasme à ses muscles et courir le long de ses doigts. La brûlure était intense, quoique autrement plus subtile que la gégène : il passa de la douleur à l’insensibilité, s’arrêta entre l’indifférence et la dynamite, manquant de peu l’implosion. Enfin, encaissé le premier choc, le miracle : la coulée de lave qui emportait ses veines, les éclats de verre plantés dans sa tête, ses reins, il ne sentait plus rien. La Terre atomisée sous ses pieds, les odeurs de peau et le feu de l’incendie le ravageaient du sol au plafond. Une longue déchirure l’étendit bientôt comme une plaine sous la lune.

— Ne me touche pas !

La voix avait surgi de nulle part. Il ouvrit des yeux globuleux.

— Putain ! Ne me touche pas ! répéta la voix.

Epkeen frémit : Ruby était là, tout près. Il sentait son haleine sur sa bouche.

— Mais… je ne te touche pas ! se récria-t-il.

Il regarda autour de lui, ne vit qu’un cauchemar : bon Dieu, si, il la touchait… Pourtant ce n’était pas lui : ces mains, ces doigts… Ruby était là, à quelques centimètres. Le sang gouttait de ses plaies, faisait des taches sur son visage, et lui se tenait couché sur elle, ailleurs… Le désir avait fui l’amour, disparition de l’infini : il vit sans le croire des choses qui n’existaient pas, Ruby allongée sous lui les cuisses ouvertes, ses yeux roulant sous l’effet de la dope, les convulsions, les motifs sur la couverture zébrée, et toujours ce souffle féminin, dans son cou… Tout lui remonta en même temps : la cave, leur tentative de fuite, la première injection.

Epkeen roula sur le lit et se laissa choir sur le parquet de la chambre.

Les gardes avaient rappliqué sitôt la vitre brisée mais il avait eu le temps d’envoyer un éclat de verre sous le lit : il chercha dans les angles, ne vit que du noir parmi les étoiles. Enfin, il aperçut une lueur pâle contre la plinthe. Le bout de verre… Il pivota sur le sol et, du bout du pied, le fit venir à lui.

Des pas lourds approchèrent dans le couloir. La clé tourna dans la serrure. Epkeen se contorsionna et ferma les yeux au moment où la porte s’ouvrit.

Debeer entra dans la chambre. Une demi-heure qu’ils étaient dans les vapes. Il s’avança vers le lit et posa la mallette près de la fille. Le flic aussi était en phase de léthargie, répandu sur le plancher… Le gros homme passa une paire de gants de latex, prépara ses ustensiles ; plus vite ce serait fini, plus vite il rejoindrait l’aérodrome. Il commença par arracher ce qui restait de la robe, fit sauter l’élastique de son string et l’envoya valser sur le sol. Après quoi il enfila une capote à l’extrémité du manche de pioche et écarta les jambes de la fille. Il suffisait de ne pas penser.

— Montre-moi ton cul, petite pute…

Epkeen, à terre, apercevait l’Afrikaner sur le lit, qui lui tournait le dos. Ruby ne réagissait plus. Il s’activait sur ses liens mais la dope l’avait rendu comme le bois, il avait les doigts gourds, presque insensibles — qui sait s’il n’était pas en train de se couper les veines… Un string déchiré voltigea sur le parquet. Brian avait des crampes à force de scier l’adhésif, ses doigts étaient tailladés de mille coupures mais rien ne venait. Debeer ruminait des insultes en afrikaans quand tout à coup ses mains se libérèrent. Epkeen hésita une seconde, réalisa qu’il pouvait à peine bouger. Son cerveau envoya des ordres, sans effets. Il vit Ruby sur le lit, la jambe que Debeer avait posée sur son épaule pour mieux l’écarteler. La pesanteur qui le tenait rivé au sol disparut le temps d’un éclair : il se jeta sur lui, la bouche écumante d’amour et de rage. Une chimie mortelle : le bout de verre s’enfonça dans la gorge de Debeer, sectionnant la carotide.

7

La lune s’effaçait lentement dans le ciel. Neuman définissait le plan d’attaque qu’il présenterait tout à l’heure au chef de la SAP quand il reçut un appel de Myriam. La jeune infirmière était passée devant la maison de Josephina tôt ce matin, avant de prendre son service : surprise de trouver les volets ouverts, Myriam avait frappé à la porte sans obtenir de réponse. Inquiète, elle avait réveillé les amies de la vieille femme. L’une d’elles affirmait que Josephina avait rendez-vous la veille au soir à l’église de Lengezi, en bordure de Khayelitsha, avec une certaine Sonia Parker, la bonne du prêtre, à propos d’une bande d’enfants des rues…

Neuman blêmit.

Parker.

Pamela, la métisse retrouvée morte dans la cave, avait le même nom…

Ali avait remercié l’ange gardien de sa mère avant de consulter les fichiers de la SAP. Il retrouva vite la trace : Pamela Parker, née le 28/11/1978. Parents décédés. Une sœur, Sonia, domicile inconnu